Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS polyclinique des Ursulines a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 27 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'Etablissement français du sang (EFS) a rejeté sa demande tendant au remboursement de la somme de 5 020,50 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été indûment facturée entre les mois de janvier 2015 et décembre 2018 pour l'acquisition de produits sanguins labiles à usage thérapeutique.
Par une ordonnance du 8 juillet 2020, le président de la 9e chambre du tribunal administratif de Montreuil a transmis au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne la requête de la polyclinique des Ursulines.
Par un jugement n° 2001512 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 septembre 2021 et 9 avril 2024, la SAS polyclinique des Ursulines, représentée par Me Labro, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 juillet 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande de remboursement ;
2°) de condamner l'EFS à lui rembourser la somme de 5 020,50 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'EFS la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les livraisons de produits labiles par l'EFS étaient exonérées de TVA, dès lors que ces produits étaient destinés à un usage thérapeutique ;
- la seule existence d'un contrat valide ne saurait suffire à rejeter sa demande en répétition de l'indu, celle-ci étant fondée sur la voie de droit permettant à un opérateur économique assujetti à une charge pécuniaire imposée en violation du droit communautaire ou national d'en obtenir le remboursement ;
- sa demande pouvait être adressée directement à l'EFS, sans être nécessairement adressée à l'administration fiscale ;
- seule la prescription quadriennale est applicable à cette créance, à la différence de la prescription spécifique prévue par l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales applicable aux demandes adressées à l'administration fiscale.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 février 2022, 9 mars 2022 et 21 décembre 2022, l'EFS conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS polyclinique des Ursulines la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande indemnitaire fondée sur la répétition de l'indu est irrecevable car nouvelle en appel, et par exception de recours parallèle compte tenu du recours de plein contentieux fiscal ouvert à la requérante aux conditions posées aux articles L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales et dont l'inefficacité n'est pas établie ;
- seule la responsabilité de l'Etat peut être recherchée du fait d'une loi contraire à une norme supérieure ;
- il n'existe aucun indu ni aucune obligation de restitution, le contrat a été exécuté et la TVA collectée a été reversée à l'administration fiscale ;
- il n'a commis aucune faute, que ce soit dans l'exécution de son contrat ou en se bornant à appliquer la loi, telle qu'interprétée par la doctrine fiscale, dont il est en droit de se prévaloir ;
- la TVA participe au prix ferme et définitif convenu entre les parties au contrat ;
- le présent litige relève de la prescription propre aux créances fiscales fixée par les articles L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
-le rapport de Mme Ghisu-Deparis, présidente,
-et les conclusions de M. Denizot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'Etablissement français du sang (EFS), établissement public de l'Etat chargé du service public transfusionnel, a vendu à la polyclinique des Ursulines, de janvier 2015 à décembre 2018, des produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique. La polyclinique des Ursulines a demandé le 30 septembre 2019 à l'EFS de lui rembourser la taxe qu'elle estimait avoir supportée à tort sur ces livraisons. Sa demande a été rejetée. La SAS polyclinique des Ursulines a demandé l'annulation de cette décision et la condamnation de l'EFS à lui rembourser la TVA indue. Par un jugement n° 2001512 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande. La polyclinique des Ursulines relève appel de ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté sa demande de remboursement.
Sur la recevabilité de la requête :
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1302 du code civil : " (...) ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. " En vertu de l'article 1302-1 du même code : " Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ".
3. D'autre part, il résulte de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne notamment dans son arrêt du 15 mars 2007 Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH C-35/05, que lorsque l'acquéreur d'un bien a versé à son fournisseur la TVA mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, il ne peut se prévaloir d'un droit à déduction de cette taxe. Les autorités fiscales nationales sont dès lors fondées à refuser à l'acquéreur l'exercice de ce droit ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle. En revanche, l'acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu'il a indûment supportée. Si la restitution de la TVA devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d'insolvabilité du fournisseur, le principe d'effectivité peut exiger que l'acquéreur puisse présenter sa demande de restitution directement aux autorités nationales lesquelles peuvent, avant d'accorder la restitution demandée, vérifier que le risque de perte de recettes fiscales a été préalablement éliminé, notamment du fait que l'auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.
4. Il en résulte que, pour obtenir la restitution de la TVA qui lui a été facturée à tort, l'acquéreur doit prioritairement s'adresser, y compris le cas échéant par la voie juridictionnelle, à son fournisseur si celui-ci n'a pas pris l'initiative de lui rembourser l'indu correspondant, et, seulement à titre subsidiaire, à l'administration fiscale si l'obtention de la restitution de la taxe indue auprès du fournisseur est impossible ou excessivement difficile.
5. En sollicitant auprès du tribunal la condamnation de l'EFS à lui rembourser la TVA qui a indûment grevé les livraisons de produits sanguins labiles, la polyclinique des Ursulines a, dès la première instance, présenté une action en répétition de l'indu. La fin de non-recevoir tirée de ce que l'action en répétition de l'indu serait nouvelle en appel ne peut ainsi qu'être écartée.
6. Par ailleurs, comme indiqué au point 4, cette action était ouverte à la polyclinique des Ursulines sans que ne puisse lui être opposée une exception de recours parallèle de la procédure fiscale de restitution d'impositions indues prévue par l'article L. 190 du livre des procédures fiscales. Par suite, la fin de non-recevoir opposée sur le fondement d'une telle exception par l'EFS, qui n'est pas davantage fondé à soutenir que seule une action en responsabilité sans faute du fait des lois pouvait être engagée à l'encontre de l'Etat, ne peut être retenue.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la prescription :
7. Comme indiqué au point 5, la demande de la polyclinique des Ursulines constitue une action en répétition de l'indu, non une réclamation fiscale au sens des articles L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales. Par suite, l'EFS ne peut utilement se prévaloir du délai de prescription de deux ans prévu par ces articles.
En ce qui concerne l'assujettissement des livraisons de produits sanguins labiles à la TVA :
8. Les dispositions du d du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, transposées en droit interne par les dispositions du 2° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, prévoient que les livraisons de sang humain sont exonérées de TVA. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne et notamment de l'arrêt du 5 octobre 2016 TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH C-412/15, que sont inclues dans le champ de cette exonération les livraisons de produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.
9. Par suite, les dispositions de l'article 281 octies du code général des impôts dans leur rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021, aux termes desquelles : " La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 2,10 % pour les livraisons portant (...) sur les produits visés au 1° (...) de l'article L. 1221-8 du code de la santé publique (...) ", c'est-à-dire les " produits sanguins labiles, comprenant notamment le sang total, le plasma dans la production duquel n'intervient pas un processus industriel, quelle que soit sa finalité, et les cellules sanguines d'origine humaine ", étaient contraires aux dispositions du d du 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 en tant qu'elles assujettissaient à la TVA les produits sanguins labiles destinés à un usage thérapeutique direct.
En ce qui concerne le droit à restitution de la taxe sur la valeur ajoutée facturée à tort :
10. Il résulte de l'instruction que jusqu'au mois de décembre 2018, l'EFS a facturé les produits sanguins labiles à usage thérapeutique qu'il livrait en soumettant ces livraisons à la TVA au taux de 2,10 % en application des dispositions de l'article 281 octies du code général des impôts, dans leur rédaction alors en vigueur, et de celles de l'article 4 de l'arrêté du 9 mars 2010 relatif au tarif de cession des produits sanguins labiles, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 26 décembre 2018. Il résulte de ce qui a été indiqué au point 9 que cette TVA a été facturée en méconnaissance du droit de l'Union européenne. En conséquence, la polyclinique des Ursulines a acquitté des sommes correspondant à la TVA qui n'étaient pas légalement dues, pour un montant non contesté de 5 020,50 euros entre les mois de janvier 2015 et de décembre 2018. Alors même qu'ils procédaient de l'application de la réglementation et de la doctrine fiscale alors en vigueur, ces versements étaient ainsi indus, sans que l'EFS ne puisse utilement se prévaloir ni d'une parfaite exécution du contrat qui le liait à la requérante, ni de l'absence de tout enrichissement après reversement à l'Etat de la taxe collectée, ni davantage du défaut de toute faute qui lui serait imputable en ce qu'il s'est borné à faire application de la loi alors en vigueur.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la polyclinique des Ursulines est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'EFS à lui verser la somme de 5 020,50 euros en restitution de la TVA qui lui a été indûment facturée sur la livraison de produits sanguins labiles entre les mois de janvier 2015 et décembre 2018. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires présentées sur ce fondement et de condamner l'EFS à verser à la société requérante la somme de 5 020,50 euros.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SAS polyclinique des Ursulines, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par l'EFS. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le paiement au bénéfice de la SAS polyclinique des Ursulines de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n° 2001512 du 6 juillet 2021 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de la SAS polyclinique des Ursulines tendant à ce que l'EFS lui rembourse la somme de 5 020,50 euros.
Article 2 : L'Etablissement français du sang est condamné à verser à la SAS Polyclinique des Ursulines la somme de 5 020,50 euros.
Article 3 : L'Etablissement français du sang versera la somme de 2 000 euros à la SAS polyclinique des Ursulines en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de l'Etablissement français du sang sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS polyclinique des Ursulines et à l'Etablissement français du sang.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2024, où siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,
- M. Barteaux, président-assesseur,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : V. Ghisu-DeparisL'assesseur le plus ancien,
Signé : S. Barteaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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