Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2022 par lequel le préfet du Doubs lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2201735 du 7 novembre 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 mai 2023, M. A..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 novembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2022 du préfet du Doubs ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 8 jours suivants notification de l'arrêt à intervenir, à renouveler en l'attente du réexamen du droit au séjour et sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît son droit à être entendu prévu par les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration et de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la notification de ses droits lors de sa retenue administrative a été tardive en méconnaissance des dispositions de l'article L. 813-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'interprète qui l'a assisté lors de la procédure de retenue administrative n'était pas inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur de fait quant à l'existence d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à l'existence d'un risque de fuite ;
- l'interdiction de retour est illégale par exception d'illégalité de la décision refusant un délai de départ volontaire ;
- elle méconnaît son droit d'être entendu prévu à l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Berthou a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 octobre 2022, suite à un contrôle de police, M. A..., ressortissant tunisien né le 4 mai 1980, a fait l'objet de la part du préfet du Doubs d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, désignation du pays de renvoi et interdiction de retourner sur le territoire français durant un an à compter de l'exécution effective de la mesure d'éloignement. Par la présente requête, M. A... relève appel du jugement du 7 novembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes des dispositions de L. 813-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel est notifié un placement en retenue en application de l'article L. 813-1 est aussitôt informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, des motifs de son placement en retenue, de la durée maximale de la mesure et du fait qu'il bénéficie des droits suivants : / 1° Etre assisté par un interprète ; (...) Lorsque l'étranger ne parle pas le français, il est fait application des dispositions de l'article L. 141-2. ". Aux termes de l'article L. 141-2 de ce code : " Lorsqu'un étranger fait l'objet d'une décision de refus d'entrée en France, de placement en rétention ou en zone d'attente, de retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour ou de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qu'il ne parle pas le français, il indique au début de la procédure une langue qu'il comprend. Il indique également s'il sait lire. / Ces informations sont mentionnées sur la décision de refus d'entrée, de placement ou de transfert ou dans le procès-verbal prévu au premier alinéa de l'article L. 813-13. / Ces mentions font foi sauf preuve contraire. La langue que l'étranger a déclaré comprendre est utilisée jusqu'à la fin de la procédure. / Si l'étranger refuse d'indiquer une langue qu'il comprend, la langue utilisée est le français ". Aux termes de l'article L. 141-3 : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
3. Si M. A... fait valoir qu'il n'a pas bénéficié de l'assistance d'un interprète dûment assermenté et qualifié, à l'occasion de sa retenue pour vérification de son droit de circulation ou de séjour, et qu'il n'a pas été informé dans un délai raisonnable des motifs de son placement en retenu, les mesures de contrôle et de retenue prévues par les dispositions citées au point précédent sont uniquement destinées à la vérification du droit de séjour et de circulation d'un ressortissant étranger qui en fait l'objet et sont placées sous le contrôle du procureur de la République. Il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la régularité des conditions du contrôle et de la retenue qui ont, le cas échéant, précédé l'intervention de mesures d'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière. Par suite, le moyen tiré d'éventuelles irrégularités entachant la mise en œuvre de ces mesures ne peut être qu'écarté comme inopérant.
4. En deuxième lieu, d'une part, il résulte des dispositions du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure auxquelles sont soumises les décisions portant obligation de quitter le territoire français ainsi que les décisions accessoires. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ne peut qu'être écarté comme inopérant.
5. D'autre part, il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne (arrêt C-141/12 et C-372/12 du 17 juillet 2014), que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations par une autorité d'un Etat membre est inopérant. D'autre part, une atteinte au droit d'être entendu garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été mis à même de présenter toutes observations utiles sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement, au cours de l'entretien dont il a bénéficié le 25 octobre 2022 avant son placement en retenue administrative. Il a notamment pu bénéficier du concours d'un interprète assermenté, sans qu'aucune disposition n'impose que celui-ci soit inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel, et a été assisté par son avocat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être préalablement entendu ne peut qu'être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
8. M. A..., âgé de quarante-deux ans, soutient résider habituellement en France depuis 2018 et vivre en couple depuis le mois d'août 2021 avec une ressortissante française. Ces seuls éléments ne suffisent pas à établir qu'à la date de la décision attaquée le préfet aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. S'il allègue par ailleurs que sa concubine serait enceinte, il n'apporte aucun élément sur sa paternité. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, le préfet n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
En ce qui concerne la décision portant refus d'un délai de départ volontaire :
9. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de son article L. 612-3 : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. ".
10. Pour refuser un délai de départ volontaire à M. A... le préfet du Doubs s'est fondé sur l'absence de sollicitation d'un titre de séjour depuis son entrée en France, l'absence de possession d'un document d'identité ou de voyage en cours de validité, l'absence de résidence effective et permanente et les déclarations de l'intéressé quant à son absence de volonté de retourner dans son pays d'origine. Si M. A... produit, dans la présente instance, des éléments tendant à établir sa résidence chez sa compagne depuis l'automne 2021 et remet en cause l'expression d'une intention de se soustraire à la mesure d'éloignement, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision en se fondant sur l'absence de sollicitation d'un titre de séjour depuis son entrée en France et l'absence de possession d'un document d'identité ou de voyage en cours de validité, éléments qui ne sont pas contestés par le requérant. Ce dernier ne justifie par ailleurs d'aucune circonstance particulière au sens de l'article L. 612-3. Par suite le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions précitées doit être écarté.
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour en France pendant un an :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que cette décision est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire.
12. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 6, M. A... a pu présenter ses observations sur la perspective de son éloignement du territoire français lors de son audition par les services de police le 25 octobre 2022. Le préfet n'avait par ailleurs pas l'obligation de le mettre à même de présenter des observations spécifiques à la décision lui interdisant son retour en France pendant un an. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
13. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bauer, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. BERTHOULa présidente,
Signé : S. BAUERLe greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 23NC01692 2