Vu la procédure suivante :
Sur la requête du centre hospitalier de Chaumont, enregistrée sous le n° 20NC00330 et tendant à l'annulation des jugements n° 1702119 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne des 17 juillet et 6 décembre 2019 en tant qu'ils ont retenu que sa responsabilité était engagée du fait de la prise en charge fautive de Mme G... B... et l'ont condamné à verser aux consorts B... la somme totale de 475 712 euros, aux consorts L... la somme totale de 20 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne la somme totale de 14 428,80 euros, la cour, par un arrêt du 31 janvier 2023, a ordonné avant dire droit une expertise médicale.
Le rapport d'expertise a été enregistré au greffe de la cour le 20 décembre 2023.
Par une ordonnance n° 20NC00330 de la présidente de la cour du 23 janvier 2024, les frais d'expertise ont été liquidés et taxés à la somme de 3 200 euros TTC pour chacun des trois experts.
Par deux mémoires complémentaires, enregistrés les 16 janvier et 15 février 2024, le centre hospitalier de Chaumont, représenté par Me Le Prado, conclut à l'annulation des jugements n° 1702119 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne des 17 juillet et 6 décembre 2019 et au rejet des demandes présentées en première instance par les consorts B... et L... et par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne.
Il soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dès lors que les experts ont considéré que la prise en charge de Mme B... avait été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science et que son décès est la conséquence d'un accident médical non fautif en lien avec la ponction lombaire réalisée le 14 mars 2014 à des fins diagnostiques et justifiée sur le plan médical.
Par deux mémoires complémentaires, enregistrés les 31 janvier et 28 février 2024, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Welsch, conclut à la confirmation du jugement n° 1702119 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 décembre 2019 et à sa mise hors de cause.
Il soutient que la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Chaumont est engagée et que les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse,
- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,
- et les observations de Me Mouton, représentant les consorts B... et L....
Considérant ce qui suit :
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Chaumont :
1. En premier lieu, aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".
2. Née le 19 juin 1973, Mme G... B... a été admise au service de rhumatologie du centre hospitalier de Chaumont le 13 mars 2014 en raison de douleurs atypiques coccygiennes, pelviennes et périnéales chroniques. Une imagerie par résonnance magnétique, réalisée le jour même, a révélé la présence d'un " méga cul-de-sac ". Traitée par des antalgiques (" kétoprofène ", de la famille des anti-inflammatoires non stéroïdiens) et par un anti-coagulant à dose préventive (" fragmine ", de la famille des héparines de bas poids moléculaire), elle a subi, le 14 mars 2014, une ponction lombaire à visée diagnostique, laquelle a été complétée, conformément à la " méthode de Luccherini ", par une injection intrathécale de corticoïdes (acétate de prednisolone). Après avoir été autorisée à rentrer chez elle, le 15 mars 2014, compte tenu de l'amélioration de son état de santé, la victime a présenté des céphalées, des nausées et une reprise des douleurs pelviennes, qui ont été traitées par voie médicamenteuse, puis, le 19 mars 2014, par un " blood-patch ". Un scanner cérébral, réalisé le 20 mars 2014 en l'absence d'amélioration de l'état de la patiente, ayant révélé la présence d'un hématome intra-cérébral occipital droit avec effet de masse, d'un hématome sous-dural droit, d'un hématome hémisphérique gauche et d'une hémorragie sous-arachnoïdienne diffuse, Mme B... a été transférée en urgence dans le service de neurochirurgie du centre hospitalier de Dijon, où, après avoir été admise en réanimation, elle est finalement décédée le 25 mars 2014 des suites de ses hémorragies cérébrales multiples.
3. Il résulte de l'instruction, spécialement du rapport du 15 décembre 2023 de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant dire droit de la cour du 31 janvier 2023 et confiée à un collège de trois experts spécialisés en rhumatologie, en neurochirurgie et en neurologie, que la prise en charge de la victime par le centre hospitalier de Chaumont a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science et que son décès est la conséquence d'un acte médical non fautif en lien avec la ponction lombaire réalisée le 14 mars 2014.
4. D'une part, l'indication d'une ponction lombaire à visée diagnostique, aux fins d'analyser le liquide céphalo-rachidien, était justifiée au regard de l'état de santé de la patiente et de l'absence de compression de la queue de cheval. Cette ponction a été réalisée dans des conditions conformes aux bonnes pratiques. Il résulte en particulier de l'avis du 20 novembre 2013 de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé que la " méthode de Luccherini " est une méthode admise pour " la prise en charge des radiculalgies en cas d'échec d'autres traitements ou à l'occasion d'analyse du liquide céphalo-rachidien ". Pour les experts, l'injection à cette occasion d'un corticoïde (" hydrocortancyl ") a été " conforme aux bonnes pratiques, notamment en termes de respect des contre-indications et des interactions médicamenteuses ".
5. D'autre part, alors même que l'intéressée n'était pas encore alitée en permanence et qu'elle pouvait circuler librement dans l'enceinte de l'hôpital, l'injection à but préventif de l'anti-coagulant " fragmine ", à la dose modérée de 5 000 UI par jour, était également médicalement justifiée, eu égard au risque de thrombose présenté par Mme B... en raison de varices des membres inférieurs, de tabagisme actif et d'anémie ferriprive chronique. Les experts indiquent, à cet égard, que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé recommandait son emploi en 2009 " dans la prévention de la maladie thrombo-embolique veineuse chez un patient de plus de quarante ans, hospitalisé pour une durée prévue de plus de trois jours en raison d'une affection rhumatologique aiguë ". En outre, il n'est pas contesté que ce traitement anti-coagulant à dose curative avait été arrêté vingt-et-une heures avant la réalisation de la ponction lombaire, le délai à respecter étant d'au moins douze heures pour un patient sans trouble de la coagulation et de la fonction rénale, comme c'était le cas de l'intéressée.
6. Enfin, il résulte du rapport d'expertise du 15 décembre 2023, que la dose de " kétoprofène " administrée à la patiente à titre d'antalgique dans les premiers jours était certes élevée, mais en rapport avec l'intensité du syndrome douloureux. Si l'interaction éventuelle entre les anti-inflammatoires non stéroïdiens et l'héparine de bas poids moléculaire peut présenter un risque de saignement digestif d'un éventuel ulcère gastroduodénal, il n'y a pas d'argument scientifique, selon les experts, pour retenir un lien physiopathologique, et donc médico-légal, entre cette association et la pathologie cérébrale de Mme B.... Du reste, malgré les bilans réalisés, notamment le 20 mars 2020, aucun signe d'hypocoagulation n'a été noté cliniquement.
7. Les conclusions du rapport d'expertise du 15 décembre 2023, au demeurant non contestées par les consorts B... et L..., ne sont pas sérieusement remises en cause par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, qui se borne à reprendre, pour l'essentiel, l'analyse médicale critique de son médecin référent, dont les conclusions, soumises au collège d'experts dans le cadre d'un dire, ont été intégralement réfutées par eux. Dans ces conditions, en l'absence d'éléments nouveaux, le centre hospitalier de Chaumont est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que sa responsabilité pour faute était engagée du fait des erreurs commises lors de la prise en charge de Mme B... et l'ont condamné à verser aux consorts B... la somme totale de 475 712 euros, aux consorts L... la somme totale de 20 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne la somme totale de 14 428,80 euros.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. / La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. / (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. / (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
10. Si les requérants font valoir que Mme B... n'aurait pas été informée des risques associés aux traitements médicamenteux mis en œuvre, une telle circonstance, à la supposer établie, s'avère sans incidence, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 7 du présent arrêt, il n'y a pas de lien entre ces traitements et le risque lié à la survenance des hémorragies cérébrales multiples à l'origine du décès de la patiente.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement avant dire droit n° 1702119 du 17 juillet 2019, en tant qu'il a retenu que la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Chaumont était engagée, et le jugement n° 1702119 du 6 décembre 2019 doivent être annulés.
Sur le droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale :
12. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ". Aux termes du premier alinéa de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. ".
13. Il résulte de ces dispositions que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.
14. D'une part, ainsi qu'il a déjà été dit, il résulte de l'instruction, spécialement du rapport médical du 15 décembre 2023, que les hémorragies cérébrales multiples, qui ont provoqué le décès de Mme B... le 25 mars 2014, sont constitutives d'un accident médical non fautif en lien avec la ponction lombaire réalisée le 14 mars 2014. Dans ces conditions, les conséquences dommageables de cet accident présentent un caractère de gravité au sens du II de l'article L. 1142-1 et du premier alinéa de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.
15. D'autre part, il est constant que cette ponction lombaire a eu, pour Mme B..., des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles elle aurait été exposée, de manière suffisamment probable, en l'absence de traitement de son " méga cul-de-sac ". Il résulte de l'instruction, spécialement de l'avis technique du 2 septembre 2019 rendu par un médecin neurologue à la suite du jugement avant dire droit n° 1702119 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 17 juillet 2017, que cette anomalie congénitale, caractérisée par un cul-de-sac dural trop dilaté contenant une plus grande quantité de liquide céphalo-rachidien que la normale, n'entraîne, par elle-même, aucun risque d'hématome sous-dural ou intracérébral et qu'elle provoque essentiellement, du fait du poids excessif de cette colonne de liquide, des douleurs lombaires, génitales et périnéales, de l'incontinence urinaire et des céphalées. Dans ces conditions, alors que, au surplus, le rapport d'expertise du 15 décembre 2023 indique que l'hémorragie cérébrale est une complication connue, mais très rare des ponctions lombaires, moins de dix cas ayant été recensés dans la littérature médicale internationale, les conséquences dommageables de l'accident médical non fautif, qui a entraîné le décès de Mme B..., présente également un caractère d'anormalité au sens des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Par suite, la victime directe étant décédée, les consorts B... et L... remplissent les conditions pour prétendre, en leur qualité de victimes indirectes, à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Sur le montant de la réparation au titre de la solidarité nationale :
En ce qui concerne les préjudices de la victime directe :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire total :
16. Il résulte de l'instruction que, du fait de la survenance des hémorragies cérébrales provoquées par la ponction lombaire réalisée le 14 mars 2014, Mme B..., qui avait été autorisée à regagner son domicile le 15 mars 2014 en raison d'une amélioration de son état de santé, a été à nouveau hospitalisée du 16 au 25 mars 2014, soit pendant dix jours. Sur la base d'un déficit fonctionnel temporaire total évalué à vingt euros par jour, il y a lieu de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser à M. B..., en sa qualité d'ayant droit de la victime directe, la somme de 200 euros à ce titre.
S'agissant des souffrances endurées :
17. Il n'est pas contesté que la survenance des hémorragies cérébrales, à compter du 16 mars 2014, s'est manifestée par des nausées, des céphalées et une reprise des douleurs pelviennes de la patiente. Ces douleurs et ces céphalées n'ont pu être apaisées malgré l'administration d'un traitement médicamenteux, puis, le 19 mars 2014, la réalisation d'un " blood patch " consistant à injecter du sang autologue sur le site de la ponction lombaire en vue d'obturer une éventuelle brèche. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 7 500 euros.
S'agissant de la douleur morale résultant de la conscience d'une espérance de vie réduite :
18. Le droit à réparation du préjudice résultant pour la victime décédée de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers.
19. Il résulte de l'instruction que, si l'état de conscience de Mme B... s'est nettement détérioré à compter du 21 mars 2014 et qu'elle a sombré dans le coma le lendemain, elle était, en revanche, pleinement consciente le 20 mars 2014 lorsque, à la suite d'un scanner mettant en évidence la présence d'hémorragies cérébrales multiples, il a été décidé de la transférer en urgence dans le service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire de Dijon, le pronostic vital étant alors clairement engagé. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de la douleur morale éprouvée par la victime directe du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite, laquelle constitue un préjudice distinct des souffrances endurées, en l'évaluant à la somme de 4 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices des victimes indirectes :
S'agissant des frais d'obsèques :
20. M. B... produit une facture, acquittée le 5 juin 2014, d'un montant total de 4 148,93 euros correspondant aux frais d'enterrement de son épouse, ainsi qu'un devis établi le 9 septembre 2014 en vue de l'acquisition d'un monument funéraire d'une valeur de 9 000 euros, dont un acompte de 2 500 euros a d'ores et déjà été versé. Dans ces conditions, en l'absence de contestation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affection iatrogènes et des infections nosocomiales sur le montant des sommes réclamées à ce titre, il sera fait une exacte appréciation de son préjudice en lui allouant la somme totale de 13 148,93 euros au titre des frais d'obsèques.
S'agissant du préjudice économique de M. B... et de ses quatre enfants :
21. Le préjudice économique subi, du fait du décès d'un patient, par les ayants droit appartenant au foyer de celui-ci, est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à l'entretien de chacun d'eux, en tenant compte, d'une part et si la demande en est faite, de l'évolution générale des salaires et de leurs augmentations liées à l'ancienneté et aux chances de promotion de la victime jusqu'à l'âge auquel elle aurait été admise à la retraite, d'autre part, du montant, évalué à la date du décès, de leurs propres revenus éventuels, à moins que l'exercice de l'activité professionnelle dont ils proviennent ne soit la conséquence de cet événement, et, enfin, des prestations à caractère indemnitaire susceptibles d'avoir été perçues par les membres survivants du foyer en compensation du préjudice économique qu'ils subissent. En outre, l'indemnité allouée aux enfants de la victime décédée est déterminée en tenant compte de la perte de la fraction des revenus de leur parent décédé qui aurait été consacrée à leur entretien jusqu'à ce qu'ils aient atteint au plus l'âge de vingt-cinq ans.
22. Il résulte de l'instruction, spécialement de l'avis d'imposition sur le revenu 2014, que le revenu annuel du foyer de Mme B... s'élevait pour l'année précédant celle de son décès à la somme totale de 39 153 euros, soit 21 628 euros pour l'intéressée et 17 525 euros pour son époux. La part de consommation personnelle de la victime s'élevant à 15 %, le revenu annuel disponible pour M. B... et ses quatre enfants alors mineurs s'élèvent ainsi à 33 280,05 euros. Il résulte des avis d'imposition au titre des années 2016, 2017 et 2018, versés aux débats par l'intéressé, que le revenu annuel moyen de M. B... s'élève, au cours de la période considérée, à 21 478 euros . Dans ces conditions, la perte de revenus annuelle du foyer s'élève donc à 11 802,05 euros. Né le 30 décembre 1973, M. B... était âgé de 40 ans à la date du décès de son épouse. En application du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022, avec un taux d'actualisation de 0 %, le coefficient applicable est de 40.408. Il en résulte que le préjudice économique capitalisé du foyer s'élève à la somme de 476 897,23 euros.
23. Le préjudice économique de chacun des quatre enfants, tous mineurs au moment du décès de leur mère, et lié à la perte des revenus de leur mère, doit être calculé jusqu'à l'âge de 25 ans, compte tenu d'une part d'autoconsommation respective de 15 %. Le préjudice économique de M. C... B..., né le 8 janvier 1999, de Mme F... B..., née le 22 août 2001, de Mme D... et M. A... B..., nés le 17 juillet 2002 s'élève respectivement à 17 343,60 euros, à 21 985,05 euros, à 23 580,70 euros et à 23 580,70 euros. M. B... indique qu'il a perçu de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, un capital-décès de 19 806,15 euros. Il en résulte que son propre préjudice économique s'élève, quant à lui, après déduction de l'ensemble des sommes précitées, à 370 601,03 euros.
24. Par suite, il y a lieu de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser à l'époux de Mme B... la somme de 370 601,03 euros et à ses quatre enfants les sommes respectives susmentionnées de 17 343,60 euros, de 21 985,05 euros, de 23 580,70 euros et de 23 580,70 euros au titre de leur préjudice économique.
S'agissant du préjudice d'affection de M. B... et de ses quatre enfants :
25. Eu égard à l'âge de Mme B... et aux conditions de son décès, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par son époux et ses quatre enfants alors mineurs en leur allouant à chacun la somme de 30 000 euros.
S'agissant du préjudice d'affection des autres membres de la famille de Mme B... :
26. Il fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant 10 000 euros à la mère de la victime et 5 000 euros chacun à la sœur et aux trois frères de celle-ci.
S'agissant du préjudice d'affection de Mme J... I... :
27. En se bornant à faire valoir qu'elle est une amie d'enfance de la victime directe et qu'elle est restée très proche d'elle, Mme I... n'établit pas la réalité de son préjudice. Par suite, ses conclusions à fin d'indemnisation ne peuvent qu'être rejetées.
28. Il résulte de tout ce qui précède que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à M. H... B... la somme de 425 449,96 euros, à M. C... B... la somme de 47 343,60 euros, à Mme F... B... la somme de 51 985,05 euros, à M. A... B... la somme de 53 580,70 euros, à Mme D... B... la somme de 53 580,70 euros, à Mme E... L... la somme de 10 000 euros et à Mme K... L... et MM. Richard, Albin et Antoine L... la somme de 5 000 euros chacun.
En ce qui concerne les intérêts :
29. Ces sommes, ainsi mises à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales porteront intérêt au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable d'indemnisation formée par les intéressés le 18 juillet 2017.
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne :
30. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le centre hospitalier de Chaumont n'a commis aucune faute dans la prise en charge de Mme B.... Par suite les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne au titre de ses débours et de l'indemnité forfaitaire de gestion doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
31. D'une part, il y a lieu de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales les frais des expertises ordonnées en première instance et en appel, liquidés et taxés respectivement aux sommes de 2 940 euros, de 1 200 euros et de 9 600 euros.
32. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier de Chaumont, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par les consorts B... et L... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales le versement aux intéressés d'une somme totale de 4 000 euros en application de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement avant dire droit n° 1702119 du 17 juillet 2019, en tant qu'il a retenu que la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Chaumont était engagée, et le jugement n° 1702119 du 6 décembre 2019 sont annulés.
Article 2 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à M. H... B... la somme de 425 449,96 euros, à M. C... B... la somme de 47 343,60 euros, à Mme F... B... la somme de 51 985,05 euros, à M. A... B... la somme de 53 580,70 euros, à Mme D... B... la somme de 53 580,70 euros, à Mme E... L... la somme de 10 000 euros et à Mme K... L... et MM. Richard, Albin et Antoine L... la somme de 5 000 euros chacun. Ces sommes porteront intérêt taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable d'indemnisation formés par les intéressés le 18 juillet 2017.
Article 3 : Les conclusions présentées en première instance par Mme I... et par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne sont rejetées.
Article 4 : Les frais d'expertise liquidés et taxés aux sommes respectives de 2 940 euros, de 1 200 euros et de 9 600 euros sont mis à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Article 5 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera aux consorts B... et L... la somme totale de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Chaumont, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à M. H... B..., représentant unique en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne et aux experts MM. Jacques Cohen, Arnaud Dagain et Anthony Faivre.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bauer, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : E. MEISSE
La présidente,
Signé : S. BAUER
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 20NC00330 2