Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) P3 Conseil a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 12 octobre 2020 par laquelle la préfète du Bas-Rhin a mis à sa charge le paiement de la somme de 86 012 euros sur le fondement des articles L. 6362-6 et 6362-7-1 du code du travail et de prononcer la décharge de cette somme.
Par un jugement n° 2007697 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 décembre 2021, la SARL P3 Conseil, représentée par Me Hamann-Weill, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision attaquée et de prononcer la décharge de la somme de 86 012 euros outre les intérêts et majorations éventuelles ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure est irrégulière en ce que l'administration ne lui a pas communiqué les renseignements et pièces obtenus des tiers et sur lesquelles elle a fondé le montant des remboursements mis à sa charge ;
- l'avis de vérification est irrégulier en ce que les actions et factures ayant donné lieu à la somme mise à sa charge sont, pour une large part, postérieures à la période vérifiée mentionnée sur cet avis ;
- ayant présenté tous les documents et toutes les pièces établissant la réalité des actions de formation qu'elle a réalisées, en application du premier alinéa de l'article L. 6362-6 du code du travail, elle ne pouvait faire l'objet d'une décision de remboursement en application du deuxième alinéa de cet article ; au demeurant le jugement s'est fondé sur une rédaction de cet article qui n'était pas encore en vigueur ;
- les six actions de formation visées dans la décision ont toutes été effectivement dispensées dans les magasins du groupe Cora, ce qu'elle a justifié par toutes les pièces utiles ; la circonstance que certains stagiaires ne se sont pas présentés le jour de la formation ou encore auraient émargé la feuille de présence puis seraient repartis travailler, ne saurait lui être imputée.
Par un mémoire enregistré le 8 mars 2022, la ministre chargée de l'emploi et de la formation professionnelle conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- et les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL P3 Conseil, enregistrée comme organisme de formation professionnelle, exerce son activité dans le domaine du conseil pour les affaires et la gestion. Elle a fait l'objet par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'un contrôle portant sur la réalité de son activité au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 juillet 2018 à la suite duquel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation, par une décision du 26 juin 2020, de verser au trésor public, d'une part, en application des articles L. 6362-10 et L. 6362-7-1 du code du travail, une somme de 86 012 euros au titre d'actions de formation non exécutées, et d'autre part, solidairement avec son dirigeant, en application de l'article L. 6362-7-2 du même code, une somme de 86 012 euros pour avoir établi et utilisé intentionnellement des documents portant des mentions inexactes en vue d'obtenir indûment des paiements. La SARL P3 Conseil a alors formé le recours administratif préalable obligatoire prévu à l'article R. 6362-6 du code du travail. Par une décision du 12 octobre 2020, laquelle s'est substituée à celle du 26 juin 2020, la préfète du Bas-Rhin a mis à sa charge la somme de 86 012 euros sur le fondement des articles L. 6362-6 et L. 6362-7-1 du code du travail. La SARL P3 Conseil relève appel du jugement du 2 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette somme.
Sur la régularité de la procédure :
En ce qui concerne la régularité du contrôle sur place :
2. Aux termes de l'article L. 6362-8 du code du travail : " Les contrôles en matière de formation professionnelle continue peuvent être opérés soit sur place, soit sur pièces ". Aux termes de l'article R. 6362-1 du même code : " Les personnes et organismes mentionnés aux articles L. 6361-1 et L. 6361-2, qui ont fait l'objet d'un contrôle sur place, sont informés de la fin de la période d'instruction par lettre recommandée avec avis de réception. / Des faits nouveaux constatés postérieurement à la réception de cette lettre peuvent justifier l'ouverture d'une nouvelle période d'instruction ". Aux termes de l'article R. 6362-2 du même code : " La notification des résultats du contrôle prévue à l'article L. 6362-9 intervient dans un délai ne pouvant dépasser trois mois à compter de la fin de la période d'instruction avec l'indication des procédures dont l'organisme contrôlé dispose pour faire valoir ses observations ".
3. Il résulte de l'instruction que la SARL P3 Conseil a été avisée qu'elle ferait l'objet d'un contrôle sur place des actions de formation qu'elle avait réalisées au titre de la période du 1er août 2016 au 31 juillet 2017, par un avis de contrôle du 11 avril 2019. Il n'est pas contesté que par courriel du 27 septembre 2019, la société a été informée que la période contrôlée serait prolongée jusqu'au 31 juillet 2018. L'avis de fin de période d'instruction lui a été notifié le 29 novembre 2019 et le rapport de contrôle le 11 décembre 2019. Il ne résulte pas des dispositions ci-dessus reproduites, non plus que d'aucun autre texte, que l'engagement du contrôle des actions de formation professionnelle continue, prévu par les articles L. 6361-1 et suivants du code du travail, soit subordonné à la notification préalable d'un avis de contrôle. Par suite, la circonstance qu'une partie des anomalies imputées à la SARL P3 Conseil a concerné une période qui n'avait pas été visée dans l'avis de contrôle du 11 avril 2019 demeure sans influence sur la régularité de la procédure.
En ce qui concerne la régularité des sommes mises à la charge de la société requérante :
4. Aux termes de l'article L. 6362-9 du code du travail : " Les résultats du contrôle sont notifiés à l'intéressé ". Aux termes de l'article L. 6362-10 du même code : " Les décisions de rejet et de versement mentionnées au présent livre prises par l'autorité administrative ne peuvent intervenir, après la notification des résultats du contrôle, que si une procédure contradictoire a été respectée ". Aux termes de l'article R. 6362-3 du même code : " Les résultats des contrôles prévus aux articles L. 6361-1 à L. 6361-3 sont notifiés à l'intéressé avec l'indication du délai dont il dispose pour présenter des observations écrites et demander, le cas échéant, à être entendu. / Ce délai ne peut être inférieur à trente jours à compter de la date de la notification ".
5. Le caractère contradictoire de la procédure applicable aux remboursements prévus par les articles L. 6362-6 et L. 6362-7-1 du code du travail implique que les résultats du contrôle soient notifiés à l'organisme de formation de manière motivée afin de lui permettre de formuler ses observations. L'administration est ainsi tenue d'informer l'intéressé de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir les remboursements qu'elle envisage de mettre à sa charge et lui en communique la copie dans le cas où il lui en fait la demande.
6. Il résulte de l'instruction que le rapport de contrôle du 11 décembre 2019, notifié à la SARL P3 Conseil, indique que le service a obtenu, dans le cadre de son droit de communication effectué auprès des clients de l'organisme de formation, les relevés de présence des salariés convoqués aux cessions de formation programmées au cours de la période vérifiée ainsi que leurs feuilles de paye. Les annexes à ce rapport comportent l'analyse détaillée de ces documents pour chaque formation et chaque salarié. La SARL P3 Conseil, informée de la nature et de la teneur des documents obtenus des tiers, a ainsi été mise à même de discuter utilement de ces éléments ainsi qu'elle l'a fait par ses observations du 12 février 2020. Si la société P3 Conseil fait grief au service de ne pas lui avoir communiqué copie des documents obtenus des tiers, elle ne justifie pas en avoir fait la demande. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le caractère contradictoire de la procédure aurait été méconnu.
Sur le bien-fondé des remboursements mis à la charge de la société requérante :
7. Aux termes de l'article L. 6362-6 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les organismes prestataires d'actions de formation entrant dans le champ de la formation professionnelle continue au sens de l'article L. 6313-1 présentent tous documents et pièces établissant la réalité de ces actions. / A défaut, celles-ci sont réputées ne pas avoir été exécutées et donnent lieu à remboursement au cocontractant des sommes perçues conformément à l'article L. 6354-1 ". L'article L. 6354-1 du même code dispose que : " En cas d'inexécution totale ou partielle d'une prestation de formation, l'organisme prestataire rembourse au cocontractant les sommes indûment perçues de ce fait ". Aux termes de l'article L. 6362-7-1 du même code : " En cas de contrôle, les remboursements mentionnés aux articles L. 6362-4 et L. 6362-6 interviennent dans le délai fixé à l'intéressé pour faire valoir ses observations. / A défaut, l'intéressé verse au Trésor public, par décision de l'autorité administrative, une somme équivalente aux remboursements non effectués ". Aux termes de l'article L. 6362-7-2 du même code : " Tout employeur ou organisme chargé de réaliser tout ou partie des actions mentionnées à l'article L. 6313-1 qui établit ou utilise intentionnellement des documents de nature à obtenir indûment le versement d'une aide, le paiement ou la prise en charge de tout ou partie du prix des prestations de formation professionnelle est tenu, par décision de l'autorité administrative, solidairement avec ses dirigeants de fait ou de droit, de verser au Trésor public une somme égale aux montants indûment reçus ". Il résulte de ces dispositions que l'organisme de formation supporte la charge de la preuve de la réalité des actions de formation qu'il a facturées à ses clients.
8. La décision du 12 octobre 2020 s'est substituée à celle du 26 juin précédent. Dès lors, la circonstance que cette décision du 26 juin 2020 aurait cité des textes inapplicables, en l'admettant établie, n'a pas pour effet de priver de base légale les remboursements litigieux. Demeure également sans incidence sur le bien-fondé des sommes qui ont été assignées à la société requérante la circonstance que le jugement attaqué a cité une version de l'article L. 6362-6 du code du travail qui n'était pas en vigueur dans le présent litige.
9. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de contrôle, que le service a rapproché les documents présentés par la SARL P3 Conseil, constitués des conventions et programmes de formation, des feuilles de présence et des factures, des relevés de présence et des fiches de paye des salariés concernés, fournis par les employeurs. Le service a ainsi mis en lumière que les bénéficiaires des formations étaient soit absents de l'entreprise, soit en action de travail au sein de l'entreprise à des horaires incompatibles avec la cession de formation programmée. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il lui incombe de justifier de l'assiduité des bénéficiaires des formations qu'elle organise et elle ne saurait se borner à soutenir qu'elle n'avait pas à conserver les relevés de présence. Compte tenu de la fréquence et du nombre d'anomalies constatées par le service, ces discordances ne sauraient s'expliquer par des manipulations erronées du logiciel de pointage des heures de présence par les salariés. Enfin, la circonstance que les formateurs ont été présents sur sites les jours et heures des cessions de formation, ce dont elle a justifié, ne saurait attester la réalité de celles-ci compte tenu des discordances relevées ci-avant et alors que la société exerce également une activité de conseil aux entreprises. Par suite, la société requérante ne rapporte pas la preuve de la réalité des actions de formation ayant donné lieu aux remboursements litigieux mis à sa charge par la décision du 12 octobre 2020.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL P3 Conseil n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL P3 Conseil est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL P3 Conseil et au ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre du travail et de l'emploi en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 21NC03365
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