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17/10/2024 | FRANCE | N°21NC01201

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 17 octobre 2024, 21NC01201


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 10 mars 2020 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par l'association auboise pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et de l'adulte contre la décision du 2 juillet 2019 par laquelle l'inspectrice du travail avait refusé d'autoriser son licenciement, d'autre part, an

nulé cette décision du 2 juillet 2019 et, enfin, autorisé cette association à le lic...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 10 mars 2020 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par l'association auboise pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et de l'adulte contre la décision du 2 juillet 2019 par laquelle l'inspectrice du travail avait refusé d'autoriser son licenciement, d'autre part, annulé cette décision du 2 juillet 2019 et, enfin, autorisé cette association à le licencier.

Par un jugement no 1902135, 2000441, 2000864 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande et a mis à sa charge le versement à l'association auboise pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et de l'adulte d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 avril 2021 et 27 juillet 2022, M. B..., représenté par Me Paragyios, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 10 mars 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que son inaptitude et, par suite, son licenciement pour inaptitude sont en lien direct avec l'exercice de ses mandats ;

- la décision par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par l'association auboise pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et de l'adulte est tardive.

Par des mémoires, enregistrés les 25 juin 2021 et 28 septembre 2022, l'association auboise pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et de l'adulte (ci-après l'AASEAA), représentée par Me Lecourt de la société Fidal, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2023, la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'elle s'en rapporte aux écritures qu'elle a produites en première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique,

- les observations de Me Lecourt, avocat de l'AASEAA.

Considérant ce qui suit :

1. Educateur sportif au sein de l'association auboise pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (AASEAA) depuis le 5 juillet 2014, M. B... exerçait par ailleurs des fonctions représentatives compte tenu de ses mandats de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (ci-après CHSCT), dont il a été le secrétaire entre le 2 octobre 2017 et le 12 mars 2019, ainsi que de membre suppléant du comité d'entreprise et de délégué du personnel suppléant depuis avril 2017. En arrêt de travail à compter du 7 septembre 2018, le salarié a été déclaré inapte à son poste par un avis, non contesté, du médecin du travail du 28 mars 2019. Son employeur a alors sollicité l'autorisation de le licencier pour inaptitude. Par une décision du 2 juillet 2019, l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité départementale de l'Aube a refusé d'accorder à l'AASEAA cette autorisation. Saisie d'un recours hiérarchique par l'association, la ministre du travail a, par une décision du 10 mars 2020, d'une part, retiré la décision implicite de rejet née le 31 décembre 2019, d'autre part, annulé la décision de l'inspectrice du travail et, enfin, autorisé le licenciement de M. B... pour inaptitude. Par un jugement du 26 février 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les demandes formées par l'AASEAA tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail ainsi que de la décision implicite rejetant son recours hiérarchique et a, d'autre part, rejeté la demande formée par M. B... tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 10 mars 2020. Ce dernier relève appel du jugement en tant que le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur la légalité de la décision du 10 mars 2020 :

2. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

3. Après avoir été réélu membre du CHSCT en septembre 2017, M. B..., qui était le seul candidat à ces fonctions, a été désigné secrétaire de cette instance lors de la réunion du 2 octobre 2017, alors au demeurant qu'il avait été empêché d'y assister par la directrice des ressources humaines au motif, illégal, qu'il était en arrêt de travail. Il ressort des pièces du dossier que, dès après la visite du centre éducatif fermé le 11 décembre 2017, des pressions ont été exercées sur lui, qu'il a dénoncées lors du CHSCT de mai 2018. Il est établi que, lors du comité d'entreprise du 14 décembre 2017 qui examinait le plan de formation, et alors que M. B... n'apparaissait pas parmi les personnels dont la demande avait été acceptée, la directrice des ressources humaines a indiqué qu'il n'était pas possible d'exercer un mandat syndical et de suivre une formation professionnelle en même temps. Elle a, par la suite, cherché à faire retirer cette mention du compte-rendu de l'instance. Il ressort également des pièces du dossier que le secrétaire du CHSCT a subi des pressions en vue de lui faire remettre plus rapidement les comptes-rendus du comité, tandis que ceux du précédent secrétaire n'avaient pas encore été rédigés, et n'ont d'ailleurs été finalisés qu'au cours de l'été 2018. Il ressort à cet égard des pièces du dossier que les moyens logistiques et informatiques permettant aux membres du comité de se réunir et de travailler n'ont été définitivement mis en place, en particulier l'accès à un ordinateur, qu'en novembre 2018, après intervention de l'inspecteur du travail lors du CHSCT du 24 septembre 2018. La ministre du travail a d'ailleurs reconnu dans la décision en litige que M. B... avait été confronté à des difficultés dans l'exercice de ses fonctions de secrétaire du CHSCT. En outre, il est établi que la délibération adoptée par le CHSCT lors de cette réunion du 24 septembre 2018 en vue de faire réaliser une expertise sur les risques psychosociaux au sein d'un des centres gérés par l'AASEAA a donné lieu à une tentative d'entrave de la part de la direction de l'association. Le 5 octobre 2018, la directrice des ressources humaines a ainsi enjoint à M. B... d'informer, sans délai, le cabinet d'expert qui avait été désigné que son mandatement n'était pas valide, alors que l'inspectrice du travail, présente lors de cette même réunion du 24 septembre 2018, avait au contraire validé cette désignation. Puis, au lieu de recourir aux voies de droit dont elle disposait, la direction de l'AASEAA a convoqué le CHSCT pour le faire délibérer à nouveau sur le principe de cette expertise, faisant pression sur les membres présents pour qu'ils modifient leur vote, ce qui a partiellement abouti. La délibération n'ayant toutefois pas été rapportée, l'employeur a alors, le 26 novembre 2018, rendu public auprès des salariés de l'entreprise son différend avec le CHSCT, ce qui a déclenché une pétition de quelques éducateurs contre le comité. Bien qu'en arrêt de travail à compter du 7 septembre 2018, il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est assuré de la bonne tenue de l'expertise en risques psychosociaux, faisant remonter à l'inspectrice du travail les difficultés qui s'étaient présentées.

4. Il ressort de ce qui précède que les pressions exercées sur le secrétaire du CHSCT et les obstacles mis à l'exercice de son mandat révèlent un traitement discriminatoire de son employeur à son égard en lien avec ce mandat. Le comportement de son employeur se caractérise également, au cours de la période concernée, par un manque de respect et de considération, qu'illustrent, entre autres, la décision de déplacer ses affaires personnelles et son bureau en mars 2018, sans l'en informer, ni justifier d'un motif valable pour ce faire, la publicité donnée aux erreurs d'orthographe présents dans les comptes-rendus qu'il rédigeait ainsi que l'attitude de la directrice des ressources humaines le 5 septembre 2018, alors qu'il demandait à avoir accès au cahier des délégués du personnel. Un certain nombre des faits exposés ci-dessus a d'ailleurs été retenu par la cour d'appel de Reims, dans un arrêt du 1er juin 2022, pour condamner l'AASEAA à indemniser le salarié du préjudice subi à raison du harcèlement moral dont il avait été victime et qualifier l'inaptitude de M. B... comme étant d'origine professionnelle. Si l'association fait valoir en défense que l'investissement du secrétaire du CHSCT dans ses fonctions était négligeable, cette circonstance ne saurait être de nature à justifier le comportement de la direction à son encontre. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est investi dans ses fonctions normalement exercées jusqu'à sa démission le 12 mars 2019, en relayant auprès de l'AASEAA les problématiques de sécurité et de danger que les salariés de l'association lui faisaient remonter, en proposant au CHSCT de conduire des enquêtes à la suite de plusieurs accidents du travail, en s'inquiétant que le CHSCT soit consulté sur les décisions relevant de sa compétence, en rédigeant les comptes-rendus des réunions, avec l'aide d'un autre membre du comité et en dépit de l'absence de moyen informatique mis à sa disposition, ou encore en prenant l'initiative de faire voter la réalisation d'une expertise en risques psychosociaux pour répondre à la situation des salariés du CEIP. Enfin, la dégradation de l'état de santé de M. B... à partir du 6 septembre 2018, qui a conduit à ce qu'il démissionne de ses fonctions représentatives en mars 2019, est en lien notamment avec les entraves manifestées par la direction de l'AASEAA à la tenue de l'expertise sur les risques psycho-sociaux et les obstacles opposés au bon déroulement de cette expertise, obligeant l'intéressé, qui était déjà en arrêt maladie, à intervenir auprès de l'inspectrice du travail pour dénoncer l'attitude de son employeur et prendre conseil sur la marche à suivre. Dans les circonstances de l'espèce, M. B... est fondé à soutenir que son licenciement n'est pas sans rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par lui. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, le requérant est fondé à demander l'annulation de la décision de la ministre du travail du 10 mars 2020.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 10 mars 2020.

Sur les frais liés au litige :

6. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par l'AASEAA et non compris dans les dépens.

7. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement no 1902135, 2000441, 2000864 du 26 février 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé en tant qu'il a statué sur la demande de M. B....

Article 2 : La décision de la ministre du travail du 10 mars 2020 est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'association auboise pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et de l'adulte tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à l'association auboise pour la sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et de l'adulte et à la ministre du travail et de l'emploi.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 21NC01201


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01201
Date de la décision : 17/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : CABINET A-P

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-17;21nc01201 ?
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