Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 18 avril 2023 par lequel la préfète de l'Aube l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2300863 du 14 juin 2023, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Gaffuri, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 14 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 avril 2023 par lequel la préfète de l'Aube l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de réexaminer sa situation dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée, ce qui révèle que la préfète n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur de droit ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que c'est à tort que l'administration a estimé qu'il présentait un risque de fuite ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
sur la décision fixant le pays de destination :
- elle doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- des circonstances humanitaires s'opposaient à l'édiction de cette décision ;
- il ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- la décision contestée n'est pas justifiée dans son principe et dans sa durée ;
- elle n'est pas motivée au regard des circonstances humanitaires ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La procédure a été communiquée à la préfète de l'Aube qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier, notamment celles produites par la préfète de l'Aube le 4 septembre 2023.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant kosovar, né en 1984, est entré en France irrégulièrement, selon ses déclarations, en 2013. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 10 avril 2014, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 14 novembre 2014. L'intéressé a sollicité un titre de séjour en qualité d'étranger malade que la préfète de l'Aube a refusé de lui délivrer par un arrêté du 8 janvier 2019 qu'il a contesté, en vain, devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, puis la cour administrative d'appel de Nancy. Par un arrêté du 18 avril 2023, la préfète de l'Aube l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. L'intéressé fait appel du jugement du 14 juin 2023, par lequel le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, la décision en litige mentionne les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lesquelles s'est fondée la préfète de l'Aube. En outre, elle rappelle les conditions d'entrée et de séjour de M. A... en France ainsi que sa situation personnelle et familiale en précisant notamment que s'il se prévaut d'attaches familiales en France, il ne démontre pas être dépourvu de liens dans son pays d'origine si bien que la décision ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect de son droit à mener une vie familiale normale. Cette décision comporte ainsi, alors que la préfète n'est pas tenue de mentionner tous les éléments relatifs à la situation de M. A..., l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle démontre également que la préfète a procédé à un examen particulier de sa situation. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de cette décision et du défaut d'examen de la situation du requérant manquent en fait et doivent, dès lors, être écartés.
3. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d'une erreur de droit n'est pas assorti des précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé.
4. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. M. A... fait valoir qu'il a transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux en France où il réside depuis 2013, avec son épouse qui l'a rejoint avec son premier fils, né en 2013 au Kosovo, qu'il a eu un son second fils, né en France, en 2016, et que ses parents ainsi que son frère et sa belle-sœur, résident régulièrement sur le territoire français. Toutefois, le requérant ne peut être regardé comme dépourvu de liens au Kosovo où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans. En outre, l'ancienneté de sa présence en France ne tient qu'à l'inexécution de précédentes mesures d'éloignement prises à son encontre, notamment le 3 juillet 2015, le 8 janvier 2019 et le 10 décembre 2021. S'il allègue ne pas pouvoir retourner dans son pays d'origine en raison des risques qu'il encourt, il n'établit ni leur réalité, ni leur actualité alors que sa demande d'asile a été rejetée. Il ne justifie ainsi d'aucun obstacle s'opposant à la recomposition de sa cellule familiale au Kosovo avec son épouse, également en situation irrégulière, et ses enfants qui, eu égard à leur jeune âge, pourront y poursuivre leur scolarité. S'il fait valoir qu'il s'est occupé de sa mère malade, celle-ci était décédée à la date de la décision contestée. Si M. A... établit les liens entretenus avec les membres de sa famille installés sur le territoire français, il n'en demeure pas moins qu'il a aussi vécu séparé d'eux jusqu'à son entrée en France. Dans ces conditions, alors même que l'intéressé parle le français et justifie de ses efforts d'intégration, la décision portant obligation de quitter le territoire prise par la préfète de l'Aube n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Ainsi, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, la préfète n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La préfète de l'Aube n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a fait l'objet de plusieurs obligations de quitter le territoire français qu'il n'a pas exécutées, dont la dernière prononcée le 10 décembre 2021, qui n'a pu être mise à exécution en raison du refus de l'intéressé d'embarquer. Par suite, la préfète de l'Aube n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. A... au motif qu'il existait un risque que l'intéressé se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français.
8. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, le moyen tiré de ce que la préfète de l'Aube aurait commis une erreur manifeste d'appréciation de la situation du requérant en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de destination :
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
10. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
11. En premier lieu, M. A... soutient que des circonstances humanitaires s'opposaient au prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français, tenant à sa présence en France depuis neuf ans avec son épouse et ses enfants scolarisés, auprès de son père et de son frère, à ses efforts d'intégration, notamment par l'apprentissage du français, et à son implication dans les activités organisées par la communauté éducative ou au sein d'associations. Toutefois, ces éléments ne constituent pas des circonstances humanitaires s'opposant au principe de l'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français prévue par les dispositions précitées en l'absence de délai de départ volontaire. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la préfète de l'Aube aurait fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 612-6 en édictant une interdiction de retour sur le territoire français.
12. En deuxième lieu, si M. A... fait valoir que la décision en litige n'est pas motivée au regard des circonstances humanitaires, les éléments invoqués par l'intéressé, notamment dans son courrier d'observations du 10 janvier 2023, et exposés au point 11, ne constituent cependant pas de telles circonstances. Par suite, et alors qu'il n'est pas contesté que la préfète de l'Aube a pris en compte l'ensemble des critères prévus par les dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision en litige, au regard en particulier des circonstances humanitaires, doit être écarté.
13. En troisième lieu, la préfète de l'Aube n'a pas davantage commis d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-10 précité, en fixant, eu égard à la situation de M. A..., et alors même qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public, la durée de cette interdiction à un an.
14. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5 et eu égard à la durée de l'interdiction de retour, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la préfète de l'Aube aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Il s'ensuit que ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie de l'arrêt sera adressée à la préfète de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- M. Lusset, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : S. Barteaux
La présidente,
Signé : V. Ghisu-DeparisLa greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
N° 23NC02245 2