Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet du Territoire de Belfort lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2300184 du 7 février 2023, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision portant assignation à résidence, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. A... et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 juin 2023, M. A..., représenté par Me Andreini, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 février 2023 en ce qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation des décisions du 3 février 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
2°) d'annuler les décisions du préfet du Territoire de Belfort du 3 février 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre au préfet du Territoire de Belfort de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros hors taxes, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :
- elle doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
sur la décision fixant le pays de destination :
- elle doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle doit être annulée en conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2023, le préfet du Territoire de Belfort conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant albanais, né en 1991, est entré en France irrégulièrement, selon ses déclarations, en 2021. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 juin 2021, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 18 octobre 2021. A la suite de l'interpellation de l'intéressé dans le cadre d'un contrôle par la gendarmerie de Belfort, par un arrêté du 3 février 2023, le préfet du Territoire de Belfort lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et l'a assigné à résidence. Par un jugement du 7 février 2023, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision portant assignation à résidence et rejeté le surplus de sa demande. M. A... fait appel du jugement en tant qu'il a rejeté ce surplus.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. M. A... fait valoir qu'il est présent sur le territoire français depuis plus de deux ans, qu'il a une relation de couple avec une compatriote ayant le statut de réfugiée avec laquelle il est engagé dans un processus de procréation assistée, qu'il envisage d'épouser dès qu'il aura obtenu un certificat de coutume, et qu'il travaille depuis avril 2022 en qualité d'ouvrier en peinture. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la communauté de vie avec sa compatriote, qui n'est établie au mieux que depuis le mois de septembre 2022, est très récente. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'en dehors d'examens préliminaires pour établir un diagnostic, le processus de procréation médicalement assisté n'était pas encore engagé à la date de la décision contestée, le premier rendez-vous à cette fin étant planifié pour le 28 février 2023. Dans ces conditions, compte tenu de la courte durée de présence en France de M. A... et du caractère très récent de sa communauté de vie avec une compatriote, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au regard des buts qu'elle poursuit une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, et à supposer qu'il ait entendu soulever ce moyen, le requérant n'est pas davantage fondé à soutenir que la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :
4. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision portant refus de délai de départ volontaire et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
5. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, les moyens tirés de ce que la décision portant refus de délai de départ volontaire méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doivent en tout état de cause être écartés.
Sur la décision fixant le pays de destination :
6. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, la décision en litige a pour objet de renvoyer M. A... vers son pays d'origine, soit l'Albanie, ou tout autre pays où il serait légalement admissible. Il ressort des pièces du dossier que sa compagne, de même nationalité que lui, a obtenu le statut de réfugiée et ne pourra pas, dès lors, le suivre en Albanie. Dans ces conditions, l'exécution de la décision en litige peut avoir pour effet en tant qu'elle fixe l'Albanie comme pays de destination d'entraîner la séparation du couple. Par suite, la décision contestée doit être annulée en tant qu'elle fixe l'Albanie comme pays de destination.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
8. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, les moyens tirés de ce que la décision portant refus de délai de départ volontaire méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
11. Il est constant que M. A... n'a pas d'enfant issu de sa relation avec une compatriote. Il s'ensuit qu'en l'absence d'enfant né, il ne peut utilement se prévaloir d'une méconnaissance des stipulations précitées à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en tant qu'il fixe l'Albanie comme pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
13. L'annulation de l'arrêté du 3 février 2023 en tant qu'il fixe l'Albanie comme pays de destination n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme dont M. A..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, demande le versement au profit de son avocat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du préfet du Territoire de Belfort du 3 février 2023 en tant qu'il fixe l'Albanie comme pays de destination est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 février 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie de l'arrêt sera adressée au préfet du Territoire de Belfort.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : S. Barteaux
La présidente,
Signé : V. Ghisu-DeparisLa greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffière,
F. Dupuy
N° 23NC02123 2