Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 15 décembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée d'office.
Par un jugement n° 2202206 du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 avril 2023, Mme B... épouse C..., représentée par Me Berry, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2202206 du tribunal administratif de Strasbourg du 23 juin 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 décembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée d'office ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours avec une astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours avec une astreinte de 100 euros par jour de retard et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en lui imputant l'intégralité de la charge de la preuve du défaut d'accès aux soins dans son pays d'origine ;
- la décision refusant de l'admettre au séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'illégalité du refus de séjour prive de base légale l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions des articles L. 425-9 et L. 611-3, 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lusset, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante géorgienne née le 5 octobre 1959, est entrée en France le 29 septembre 2019. Un titre de séjour d'une durée d'un an lui a été délivré le 30 juillet 2020, à raison de son état de santé. Elle en a demandé le renouvellement le 15 mars 2021. Par un arrêté du 15 décembre 2021, la préfète du Bas-Rhin a rejeté sa demande d'admission au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement n° 2202206 du 23 juin 2022 du tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme B... ne peut ainsi utilement se prévaloir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, d'une erreur de droit commise selon elle par les premiers juges dans l'application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant refus d'admission au séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ".
4. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. Toutefois, en cas de doute, il lui appartient d'ordonner toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces produites par la préfète du Bas-Rhin en première instance que le collège de médecins du service médical de l'OFII a estimé, dans un avis du 20 mai 2021, que si l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressée pouvait effectivement bénéficier du traitement approprié en Géorgie et que son état de santé lui permettait de voyager sans risque vers son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que la requérante a souffert d'un mélanome au mollet droit, diagnostiqué en Géorgie, qui a nécessité l'exérèse d'une lésion puis un traitement par chimiothérapie et immunothérapie. Elle a, en outre, été atteinte par un adénocarcinome papillaire de la thyroïde, diagnostiqué en France en 2020, et traité par une thyroïdectomie totale assortie d'un curage. Toutefois, il ressort tant du certificat médical établi le 16 mars 2021 par un médecin la suivant habituellement, adressé au médecin de l'OFII, que du certificat rédigé par un oncologue en Géorgie le 24 janvier 2022, que ses pathologies sont en phase de régression complète et ne nécessitent plus qu'une surveillance. Son traitement se limite désormais, selon ces pièces, à une perfusion de traitement d'immunothérapie deux fois par an et le suivi consiste en des examens d'imagerie médicale, et notamment un contrôle par tomographie à émission de positons tous les six mois. Or, par les pièces qu'elle produit, et notamment celles relatives à la prise en charge du cancer en Géorgie, émanant de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, de l'Organisation mondiale de la santé ou encore de l'école de droit de Sciences Po, Mme B... n'établit ni qu'elle ne pourrait pas avoir accès dans son pays d'origine au traitement d'immunothérapie qui lui est actuellement prescrit ou à une molécule équivalente, ni qu'elle ne pourrait pas y bénéficier des examens d'imagerie destinés à la surveillance des deux pathologies cancéreuses dont elle a souffert. Enfin, elle ne démontre pas davantage, par la production de documents généraux sur le système de santé en Géorgie, qu'elle ne pourrait pas effectivement accéder aux soins qui lui sont actuellement nécessaires, en l'absence de tout élément précis sur le coût de ces prises en charge et sur le caractère insuffisant de ses ressources et de sa couverture sociale. Dans ces conditions, les éléments produits ne permettent pas de remettre en cause l'appréciation portée par la préfète sur l'état de santé de Mme B... et sur la possibilité pour elle de bénéficier effectivement d'un traitement approprié en cas de retour dans son pays d'origine. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle doit également être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision faisant obligation à Mme B... de quitter le territoire français devrait être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ne peut qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".
8. Ainsi qu'il a été dit au point 5, Mme B... n'établit pas qu'elle ne pourrait pas effectivement bénéficier en Géorgie d'une prise en charge médicale adaptée aux troubles dont elle souffre. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la préfète du Bas-Rhin a méconnu les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni qu'elle aurait dû obtenir un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faisant obstacle à son éloignement.
9. En troisième lieu, Mme B... est entrée en France le 29 septembre 2019 accompagnée de son époux, et a, en vain, sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. En outre, il ressort des pièces du dossier que son conjoint a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le 15 décembre 2021. Dès lors, la requérante ne justifie d'aucune circonstance faisant obstacle à ce que la vie commune avec son mari se poursuive dans son pays d'origine, dans lequel elle a vécu jusqu'à l'âge de 60 ans et où résident notamment son fils et sa sœur. Par suite, ainsi que pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5, la préfète du Bas-Rhin n'a pas entaché la décision en litige d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la gravité de ses conséquences sur la situation personnelle et familiale de la requérante.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
10. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / (...) / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Eu égard à ce qui a été dit au point 5, Mme B... ne démontre pas qu'elle ne pourrait pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine et y serait, en conséquence, exposée à des traitements inhumains ou dégradants. Par ailleurs, si la requérante soutient qu'elle a des craintes de subir de tels traitements en cas de retour dans son pays d'origine en raison d'un conflit avec le propriétaire de la clinique dans laquelle elle exerçait, elle n'assortie ses allégations d'aucun élément probant. Dès lors, et alors, au demeurant, que sa demande d'asile a été rejetée, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la préfète du Bas-Rhin aurait méconnu les dispositions et stipulations précitées en adoptant la décision contestée.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 15 décembre 2021. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être également rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse C..., au ministre de l'intérieur et à Me Berry.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- M. Barteaux, président assesseur,
- M. Lusset, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. LussetLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 23NC01232