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03/10/2024 | FRANCE | N°23NC02296

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 03 octobre 2024, 23NC02296


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 23 mai 2023 par lequel la préfète des Vosges lui a fait obligation au premier de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pendant deux ans,



Mme B... A..., épouse D..., a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 30 juin 2023 par lequel la préfète

des Vosges lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a ...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 23 mai 2023 par lequel la préfète des Vosges lui a fait obligation au premier de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pendant deux ans,

Mme B... A..., épouse D..., a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 30 juin 2023 par lequel la préfète des Vosges lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour en France pendant un an.

Par deux jugements n° 2301577 et n° 2302475 des 15 juin et 7 décembre 2023, le magistrat désigné par le président le tribunal administratif de Nancy, d'une part, le tribunal administratif de Nancy, d'autre part, ont rejeté les demandes respectives de M. et de Mme D....

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2023 sous le n° 23NC02296, M. C... D..., représenté par Me Boulanger, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301577 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy du 15 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète des Vosges du 23 mai 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui restituer sans délai son passeport ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il n'existe pas de risque qu'il se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ;

- l'illégalité de cette décision entraîne l'annulation subséquente de la mesure d'éloignement prise à son encontre ;

- la décision portant fixation du pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation administrative ;

- la décision portant interdiction de retour en France pendant deux ans est illégale en raison de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination ;

- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'il justifie de circonstances humanitaires et qu'il ne trouble nullement l'ordre public ;

- en préjudiciant à l'achèvement de son insertion dans la société française et en l'éloignant durablement de son épouse et de ses deux enfants mineurs, elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2023, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués par M. D... ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 avril 2024.

II. Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2024 sous le n° 24NC00082, Mme B... A..., épouse D..., représentée par Me Boulanger, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2302475 du tribunal administratif de Nancy du 7 décembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète des Vosges du 30 juin 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant fixation du pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation administrative ;

- la décision portant interdiction de retour en France pendant un an est illégale en raison de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination ;

- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'elle justifie de circonstances humanitaires compte tenu de la fragilité de l'état de santé de son époux ;

- en préjudiciant à l'achèvement de son insertion dans la société française, elle porte une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2024, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués par Mme D... ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 23NC02296 et 24NC00082, présentées pour M. C... D... et Mme B... A..., épouse D..., concernent la situation d'un couple d'étrangers au regard de son droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions analogues et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. et Mme D... sont des ressortissants bosniens, nés respectivement les 22 juin 1988 et 3 mai 1995. Ils ont déclaré être entrés irrégulièrement en France le 4 novembre 2013. Le 16 décembre 2013, ils ont présenté une demande d'asile, qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 21 février 2014, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 27 octobre 2014. Après avoir fait l'objet chacun de deux obligations de quitter le territoire français les 2 juin 2014 et 4 juin 2015, auxquelles ils n'ont pas déféré malgré le rejet successif de leurs recours par les jugements n° 1402507, 1402508 et n° 1600021, 1600022 du tribunal administratif de Nancy des 18 décembre 2014 et 29 mars 2016 et, à la suite de l'appel formé contre le premier jugement, par l'arrêt n°15NC00753 de la cour administrative d'appel de Nancy du 29 décembre 2015, M. et Mme D... ont été mis en possession, du 11 janvier au 23 décembre 2017, d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, pour le premier, et d'accompagnant d'un étranger malade, pour la seconde. Leur demande de renouvellement de ce titre a été rejetée par des arrêtés du 19 juin 2019, assortis de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la fixation du pays de destination, dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 1902077 du tribunal administratif de Nancy du 17 octobre 2019. Les intéressés n'ont pas exécuté spontanément la mesure d'éloignement dont ils faisaient ainsi l'objet. M. D... a été condamné, le 29 août 2018, à un mois d'emprisonnement par le tribunal judiciaire d'Épinal pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis en récidive. Mis sous bracelet électronique en décembre 2019 et placé en rétention administrative le 3 février 2020 à sa levée d'écrou, il a été éloigné du territoire français le 8 mars 2020. Il est néanmoins revenu en France et il a sollicité avec son épouse, le 4 février 2021, son admission exceptionnelle au séjour. Toutefois, par un arrêté du 13 octobre 2021, dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 2103363, 2103364 du tribunal administratif de Nancy du 14 avril 2022, puis par un arrêt n° 22NC01329, 22NC01330 de la cour administrative d'appel de Nancy du 15 novembre 2022, le préfet des Vosges a refusé de fait droit à la demande des intéressés et leur a fait obligation de quitter le territoire français. Les requérants s'étant maintenus irrégulièrement en France, M. D... a été interpellé le 23 mai 2023 à l'occasion d'un contrôle routier et placé en rétention pour vérification de son droit au séjour dans les locaux du commissariat de police central d'Epinal. Par un arrêté du même jour, la préfète des Vosges lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pendant deux ans. Par un arrêté du 30 mai 2023, elle a prononcé son assignation à résidence dans le département des Vosges dans l'attente de son départ. Enfin, par un arrêté du 30 juin 2023, la préfète des Vosges fait obligation à Mme D... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour en France pendant un an. Les requérants ont saisi le tribunal administratif de Nancy de demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 23 mai et 30 juin 2023. Ils relèvent appel des jugements n° 2301577 et n° 2302475 des 15 juin et 7 décembre 2023 qui rejettent leurs demandes respectives.

Sur le bien-fondé des jugements :

En ce qui concerne les décisions des 23 mai et 30 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, M. D... ne saurait utilement se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui concerne la délivrance d'un titre de séjour, pour contester la légalité de la mesure d'éloignement prise à son encontre. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

5. M. et Mme D... se prévalent essentiellement de la durée de leur séjour sur le territoire français, de la naissance à Epinal de leurs deux fils les 29 janvier 2020 et 9 février 2022, de la scolarisation de l'aîné en petite section d'école maternelle et de leurs efforts d'intégration. Il ressort cependant des pièces du dossier que, depuis leur arrivée en France le 4 novembre 2013, les intéressés se sont soustraits chacun à l'exécution de plusieurs mesures d'éloignement. Ayant été admis à séjourner uniquement en qualité d'étranger malade et d'accompagnant d'un étranger malade, ils n'ont pas vocation à demeurer sur le territoire français. S'ils allèguent avoir un oncle de nationalité française, ils n'apportent aucun élément permettant d'apprécier l'effectivité de leur relation avec l'intéressé. Les requérants n'établissent pas davantage être isolés dans leur pays d'origine, où vivent notamment les parents de M. D.... Si les certificats médicaux des 26 juin 2015 et 30 août 2019 versés aux débats indiquent que ce dernier a été traité en France pour une importante lombosciatalgie et des troubles de l'humeur, il n'est pas démontré que son état de santé actuel ferait obstacle à son éloignement, ni qu'un traitement approprié à ses pathologies ne serait pas effectivement disponible en Bosnie-Herzégovine. Les requérants font encore valoir qu'ils maîtrisent la langue française et respectent les valeurs de la République, qu'ils apportent une aide quotidienne à un couple de personnes âgées, qu'ils ont travaillé comme technicien poseur et commis de cuisine au cours de la période où ils se trouvaient en situation régulière, que Mme D... a participé à des ateliers organisés par le Secours catholique et que M. D... est titulaire d'une promesse d'embauche en qualité de façadier. Toutefois, de telles circonstances ne suffisent pas à leur conférer un droit au séjour. Enfin, les intéressés demeurant tous deux illégalement sur le territoire français, rien ne s'oppose à ce qu'ils reconstituent avec leurs deux enfants leur cellule familiale en Bosnie-Herzégovine. Par suite et alors que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantit pas à l'étranger le droit de choisir le lieu qu'il estime le plus approprié pour y développer une vie privée et familiale, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations en cause.

6. En troisième et dernier lieu, eu égard aux circonstances qui ont été analysées au point précédent, M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions en litige seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle. Par suite, ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la décision du 23 mai 2023 portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire à M. D... :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".

8. En premier lieu, en raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale.

9. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas été prise en application de la décision du même jour portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, laquelle n'en constitue pas davantage la base légale. Dans ces conditions, l'annulation éventuelle de cette seconde décision n'est pas de nature à entraîner l'annulation par voie de conséquence de la première. Par suite, ce moyen, ainsi articulé, ne peut qu'être écarté.

10. En second lieu, si M. D... fait valoir qu'il ne s'est pas opposé à son éloignement auquel il a été procédé le 8 mars 2020 après l'exécution de sa condamnation à un mois d'emprisonnement pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis en récidive, il n'est pas contesté que l'intéressé s'est soustrait à l'exécution de plusieurs obligations de quitter le territoire français, dont la dernière a été prononcée à son encontre le 13 octobre 2021. Dans ces conditions, à supposer même que le requérant n'aurait pas déclaré explicitement, lors que son audition du 23 mai 2023 par les services de police d'Epinal, son intention de ne pas se conformer à l'obligation de quitter le territoire français dont il fait actuellement l'objet, la préfète des Vosges était fondée à considérer que le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile était établi et, en conséquence, à refuser à M. D... le bénéfice d'un délai de départ volontaire. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d'une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne les décisions des 23 mai et 30 juin 2023 portant fixation du pays de destination :

11. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que les décisions en litige doivent être annulées par voie de conséquence des décisions portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, il ne résulte ni des motifs des décisions en litige, ni des autres pièces des dossiers que la préfète des Vosges se serait abstenue de procéder à un examen particulier de leur situation administrative avant de fixer le pays de destination de leur éloignement. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut d'un tel examen.

13. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

14. Si M. et Mme D... font valoir qu'ils risquent, en cas de retour dans leur pays d'origine, d'être exposés à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par le second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison de " problèmes " récurrents avec la population serbe voisine, leurs allégations, au demeurant dépourvues de toute précision, ne sont étayées par aucun élément probant. Par suite et alors d'ailleurs que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ont rejeté leurs demandes d'asile respectives, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations et des dispositions en cause ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les décisions des 23 mai et 30 juin 2023 portant interdiction de retour en France :

15. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-8 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

16. Il ressort des pièces du dossier que la préfète des Vosges a prononcé à l'encontre de M. D... une interdiction de retour en France d'une durée de deux ans sur le fondement de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à l'encontre de Mme D... une interdiction de retour en France d'une durée d'un an en application de l'article L. 612-8 du même code. Si M. D... soutient que sa présence sur le territoire français ne trouble pas l'ordre public, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que les intéressés se sont soustraits chacun à l'exécution de plusieurs mesures d'éloignement et que, eu égard aux éléments analysés au point 6 du présent arrêt, ils ne justifient pas de circonstances humanitaires susceptibles de faire obstacle à l'exécution des décisions en litige, ni, nonobstant la durée de leur séjour sur le territoire français, de liens étroits avec la France. Dans ces conditions et alors que ces décisions n'ont ni pour objet ni pour effet, de séparer M. D... de son épouse et de ses enfants, la préfète des Vosges n'a pas commis d'erreur d'appréciation en prononçant les mesures d'interdiction contestées. Elle n'a pas davantage porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale des intéressés. Par suite, ces moyens doivent être écartés.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à demander l'annulation des arrêtés de la préfète des Vosges des 23 mai et 30 juin 2023, ni à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, les premiers juges ont rejeté leurs demandes respectives. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction, ainsi que leurs conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de M. et de Mme D... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme B... A..., épouse D..., et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète des Vosges.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente assesseure,

- M. Meisse, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

Le président,

Signé : C. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC02296 et 24NC00082 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02296
Date de la décision : 03/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : BOULANGER

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-03;23nc02296 ?
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