Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner l'Etat à lui verser une somme de 220 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la décision du 27 avril 2015 par laquelle le ministre chargé du travail et de l'emploi a autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 1900741 du 16 août 2021, le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 24 941,24 euros à titre de dommages et intérêts, mis à la charge de l'Etat une somme de 2 050 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 octobre 2021, et un mémoire complémentaire enregistré le 17 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Rattaire, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 435 000 euros à titre de dommages et intérêts outre les intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et sous le bénéfice de la capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable, étant présentée par son avocat et signée sous télérecours ;
- il a droit à la réparation de l'intégralité des préjudices causés par l'illégalité de la décision d'autorisation de son licenciement prise par le ministre ; c'est donc à tort que le jugement attaqué a prononcé un partage de responsabilité à 50 % avec son employeur alors que tous les préjudices subis ont pour seule cause la décision du ministre, son employeur n'ayant au demeurant jamais engagé de procédure de licenciement ;
- la décision a majoré considérablement le syndrome anxiodépressif dont il était atteint et qui l'empêche de reprendre toute activité de sorte qu'il se trouve en arrêt de travail non indemnisé ; l'indemnisation de ce chef de préjudice devra également tenir compte des éléments nouveaux survenus après le jugement et donc couvrir la période jusqu'au certificat médical du 21 avril 2021 ;
- son préjudice moral, du fait de l'atteinte à son honneur et sa réputation, doit être réévalué à 60 000 euros ;
- son préjudice d'agrément doit être réévalué à 40 000 euros ;
- son préjudice économique doit être évalué à 80 000 euros ;
- le préjudice résultant de la perte de gains professionnels futurs s'établit à 100 000 euros ;
- les souffrances endurées par lui-même, son épouse et sa fille justifient une indemnisation à hauteur de 70 000 euros ;
- les préjudices matériel et économique de ses proches s'établissent à 60 000 euros ;
- subsidiairement, le partage de responsabilité prononcé par le tribunal administratif n'étant pas fondé, le montant des dommages et intérêts alloués par le jugement devra être porté à 49 882,48 euros.
Par un mémoire enregistré le 15 septembre 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est irrecevable pour n'avoir pas été signée et qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Mine représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... a été recruté à compter du 17 juillet 2006 par la société SAS Longwy Espace Automobile en qualité de conseiller commercial et a été désigné représentant de la section syndicale du syndicat CGT à compter du 18 août 2011, bénéficiant à ce titre de la protection prévue par les articles L. 2411-1 et suivants du code du travail. Le 14 août 2014, son employeur a sollicité l'autorisation de le licencier. Par une décision prise le 27 avril 2015, sur recours hiérarchique de la SAS Longwy Espace Automobile, la ministre du travail de l'emploi et de la formation professionnelle a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 23 septembre 2014 refusant ce licenciement et autorisé le licenciement de M. A.... Par un jugement du 11 octobre 2016, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Par un arrêt n° 16NC02719 du 6 mars 2018, cette cour a rejeté l'appel de la société formé contre ce jugement. Par lettre du 27 décembre 2018, M. A... a sollicité auprès de l'Etat le versement de dommages et intérêts en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subi du fait de la décision du 27 avril 2015. M. A... relève appel du jugement du 16 août 2021 en tant que le tribunal administratif de Nancy n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 220 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur la recevabilité de l'appel :
2. La requête présentée par un avocat pour M. A... a été signée électroniquement au moyen de l'application télérecours conformément à l'article R. 611-8-4 du code de justice administrative. Par suite, le ministre chargé du travail et de l'emploi n'est pas fondé à soutenir que l'appel de M. A... ne serait pas recevable à défaut de signature de sa requête.
Sur la responsabilité :
3. L'illégalité de la décision du ministre du travail autorisant le licenciement d'un salarié protégé annulée par un jugement passé en force de chose jugée constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Par suite, le salarié est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant, pour lui, de cette décision. En application des principes généraux de la responsabilité de la puissance publique, il incombe au juge saisi d'une demande du salarié tendant à la réparation d'un tel préjudice d'apprécier si et dans quelle mesure le comportement d'un tiers, en l'occurrence l'employeur, ou encore celui du salarié lui-même, ayant concouru à la réalisation du dommage sont de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat.
4. En premier lieu, en application des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle laquelle incombe exclusivement à l'administration du travail et de l'emploi à qui il revient de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Il résulte de l'instruction que la décision de la ministre du travail autorisant le licenciement de M. A... a été définitivement annulée par le juge de l'excès de pouvoir, à la suite du jugement et de l'arrêt ci-dessus analysés au point 1, au motif que le comportement de M. A... n'avait pas été suffisamment grave pour permettre son licenciement. Par suite, l'illégalité de la décision du ministre constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
5. En second lieu, M. A... justifie, en particulier par les pièces médicales versées aux débats de première instance, que la décision du 27 avril 2015 a occasionné une aggravation de son état de santé causée par la crainte de subir un licenciement à raison de l'autorisation accordée à son employeur. Contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, le fait que l'employeur a présenté une demande d'autorisation de licenciement ne saurait constituer, à lui seul, une faute de nature à exonérer, partiellement ou totalement, l'Etat de sa responsabilité. Il ne résulte pas de l'instruction que le contenu de cette demande d'autorisation de licenciement ou les agissements de l'employeur au cours de la procédure ou encore le comportement de M. A... lui-même aient été de nature, en l'occurrence, à égarer l'administration dans le cadre de l'exercice de la mission rappelée ci-dessus, au point de l'inciter à prononcer cette autorisation illégale. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que la décision illégale du ministre chargé du travail et de l'emploi a, en l'espèce, provoqué l'intégralité des dommages. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a exonéré l'Etat de la moitié des conséquences dommageables de la décision illégale du 27 avril 2015 tandis que le ministre chargé du travail et de l'emploi n'est pas fondé à soutenir que la faute commise par M.A... le 5 juillet 2014 serait exonératoire de la responsabilité de l'Etat.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices des proches de M. A... :
6. M. A... fait valoir qu'en raison de l'intervention de la décision illégale du 27 avril 2015 et des arrêts de travail qui s'en sont suivis, ses proches ont subi des pertes économiques importantes liées à la chute de ces revenus. Il demande également la réparation du préjudice moral subi par son épouse et des troubles d'anxiété subis par sa fille. Toutefois, faute pour de tels chefs de préjudice de présenter un caractère personnel à son égard, M. A... n'est pas fondé à demander à être lui-même indemnisé à ce titre.
En ce qui concerne les préjudices personnels de M. A... :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
7. En premier lieu, si M. A... soutient qu'en raison de son traitement médical, il était dans l'obligation d'utiliser des transports en commun pour effectuer ses déplacements, ce qui était générateur de frais supplémentaires pendant la totalité de la période au cours de laquelle il était en arrêt de travail, il n'établit pas la réalité de ce préjudice.
8. En deuxième lieu, si M. A... demande le versement d'une indemnité à raison de " frais divers ", il n'apporte aucune précision quant à la nature de ces frais et de leur lien direct avec la faute de l'Etat et ne justifie pas les avoir effectivement exposés. Par suite, ses conclusions à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
9. En troisième lieu, si M. A... fait valoir que les troubles comportementaux et cognitifs dont il souffre font désormais obstacle à la reprise de toute activité professionnelle future, un tel préjudice ne peut être regardé comme établi par les pièces produites et notamment pas par le seul certificat médical du 21 avril 2021 alors que la décision le plaçant en invalidité a retenu un taux d'incapacité de seulement 10 %. Par suite, les conclusions présentées en ce qui concerne ce chef de préjudice ne peuvent qu'être rejetées.
10. En quatrième lieu, M. A..., qui n'a jamais été licencié, a justifié de la perte de revenu liée à la décision illégale du 27 avril 2015, ayant causé une aggravation du syndrome anxiodépressif dont il est atteint depuis l'année 2011, cette aggravation ayant nécessité son placement en arrêt de travail pendant des durées plus longues qu'auparavant. C'est par une juste appréciation que les premiers juges ont évalué cette perte de revenu à la somme de 41 496,48 euros pour la période du 27 avril 2015, date de la décision, au 11 octobre 2016, date de son annulation par le juge de l'excès de pouvoir. Si M. A... soutient que ce préjudice, de nature continue, s'est poursuivi et même aggravé postérieurement au 11 octobre 2016, il ne l'établit pas, alors que l'aggravation de son état de santé découlant directement de la décision illégale, dont il a justifié, est exclusivement liée à sa crainte de subir un licenciement et que cette crainte a nécessairement disparu dès que l'autorisation illégale de licenciement a elle-même cessé d'exister. Par suite, M. A... n'est pas fondé à demander que lui soit allouée une somme supplémentaire en réparation de sa perte de revenu liée à l'augmentation de ses arrêts de travail.
11. En cinquième lieu, M. A... ne justifie pas, par les pièces qu'il produit, avoir été dans la nécessité de liquider dans des conditions défavorables ses différents produits d'épargne et que la vente de ces actifs serait directement liée à la décision du 27 avril 2015 fut-ce à raison de ses arrêts de travail supplémentaires.
12. En sixième lieu, les premiers juges ont fait une évaluation suffisante des frais de procédure exposés par M. A... afin de contester la décision du 27 avril 2015 en fixant à 6 386 euros le montant de son préjudice de ce chef.
S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :
13. Si M. A... fait valoir qu'en raison de la faute commise par l'administration résultant de l'illégalité de la décision du 27 avril 2015, il souffre d'un préjudice d'agrément qui se manifeste par la privation de toute vie sociale, l'impossibilité dans laquelle il se trouve de pratiquer certaines activités ou de partir en vacances en famille, il n'apporte, pas davantage devant cette cour qu'il ne l'a fait en première instance, aucune justification utile au soutien de ses prétentions. Par suite, ses conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
14. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles de toutes natures dans les conditions d'existence de M. A... en fixant à 2 000 euros le montant des dommages et intérêts qui lui seront alloués à ce titre.
15. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander que la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ses préjudices soit portée à la somme de 49 882,48 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué.
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
16. La somme de 49 882,48 euros portera intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2018, date de la demande d'indemnisation adressée par M. A... à l'administration. La capitalisation des intérêts pouvant être demandée à tout moment devant le juge du fond, mais ne pouvant prendre effet au plus tôt qu'à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière, les intérêts échus le 14 octobre 2021, puis tous les douze mois consécutifs à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui dans la présente instance et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La somme mise à la charge de l'Etat à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par M. A... est portée à 49 882,48 euros.
Article 2 : La somme de 49 882,48 euros portera intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2018 et les intérêts échus au 14 octobre 2021, puis tous les douze mois consécutifs à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement n° 1900741 du 16 août 2021 du tribunal administratif de Nancy est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre du travail et de l'emploi en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 21NC02718
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