Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 16 mars 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2302613 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Airiau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 juin 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 16 mars 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 mars 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre, à titre principal, à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre, à titre subsidiaire, à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant qu'il pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé en cas de retour en Géorgie ;
sur l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision portant refus de titre de séjour a été prise au terme d'une procédure irrégulière :
. alors qu'il a été convoqué par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) , il n'a pas été informé de la possibilité de se faire assister par un interprète et un médecin de son choix tel que cela est prévu à l'article R. 425-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
. il a été privé d'une garantie ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
. plus d'un an s'est écoulé entre l'avis de l'OFII du 8 février 2022 et la décision litigieuse du 16 mars 2023 et sa situation médicale a évolué défavorablement ;
. le défaut de prise en charge médicale de sa pathologie pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
. il ne pourra pas bénéficier des soins appropriés à sa pathologie en cas de retour en Géorgie ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
sur l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour prive de base légale l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : il n'aura pas accès à son traitement médical en Géorgie ;
sur l'illégalité de la décision fixant le pays de destination :
- l'illégalité de la précédente décision prive de base légale la décision fixant le pays de destination ;
- la décision contestée est contraire aux dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés ;
- le requérant a été convoqué uniquement au stade de l'élaboration de l'avis par le médecin instructeur et non au stade de l'élaboration de l'avis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de sorte qu'il n'avait pas à disposer de la possibilité d'être assisté par un interprète comme le prévoit l'article R. 425-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant géorgien né le 13 décembre 1986, est entré en France le 14 juillet 2021. Il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 décembre 2021 et par la Cour nationale du droit d'asile le 17 octobre 2022. Le requérant a sollicité son admission au séjour pour raisons de santé le 19 novembre 2021. Par un arrêté du 16 mars 2023, la préfète du Bas-Rhin a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination. Le requérant a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cet arrêté. M. A... relève appel du jugement du 6 juin 2023 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. A... ne peut donc utilement se prévaloir d'une erreur manifeste d'appréciation qu'auraient commis les premiers juges quant à la possibilité pour lui de bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine pour demander l'annulation du jugement attaqué.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté préfectoral du 16 mars 2023 :
3. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 425-11 de ce code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ".
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'accès effectif ou non à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Dans son avis du 8 février 2022, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, son état de santé peut lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine.
6. Pour contester l'avis du collège des médecins de l'OFII selon lequel le défaut de prise en charge ne devrait pas entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, le requérant, qui a levé le secret médical, fait valoir, d'une part, qu'il souffre d'une affection de longue durée sous traitement médicamenteux coûteux en trithérapie qu'il doit prendre à vie et qu'il est actuellement suivi au service d'hépatologie du nouvel hôpital civil de Strasbourg. Il produit un certificat médical du 4 mai 2023 des hôpitaux universitaires de Strasbourg qui suit le requérant et qui précise que son suivi est trimestriel, que dans le cadre de sa pathologie hépatique des bilans sanguins sont rapprochés, des imageries semestrielles sont réalisées et que son état de santé peut avoir des conséquences graves avec progression de la maladie vers la cirrhose avec ses complications. Dans ces conditions, le requérant, qui a levé le secret médical, apporte suffisamment d'éléments permettant de contester l'appréciation de la gravité de son état de santé. Il est par suite fondé à soutenir que la préfète du Bas-Rhin a commis une erreur d'appréciation en estimant que l'absence de prise en charge médicale ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour lui refuser, pour ce motif, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La décision portant refus de titre de séjour doit donc être annulée, ainsi que par voie de conséquence, celles portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
8. Eu égard à son motif, l'annulation de l'arrêté préfectoral en litige n'implique pas qu'un titre de séjour soit délivré à M. A.... En revanche, elle nécessite qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. A..., au regard des dispositions applicables à la date de sa demande de titre de séjour, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
9. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut ainsi se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Airiau, avocat de M. A..., de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2302613 du 6 juin 2023 du tribunal administratif de Strasbourg et l'arrêté du 16 mars 2023 de la préfète du Bas-Rhin sont annulés.
Article 2 : ll est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, durant cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Airiau, avocat de M. A..., une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Airiau.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 27 août 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Guidi, présidente assesseure,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
2
N° 23NC02191