Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision implicite du préfet de Meurthe-et-Moselle portant refus de délivrance d'un récépissé de demande de titre assorti d'une autorisation de travail, d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 9 avril 2021 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle, à titre principal, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, un titre de séjour " travailleur temporaire/salarié " ou " vie privée et familiale " avec autorisation de travailler, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2101634 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision implicite par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé la délivrance d'un récépissé de demande de titre de séjour et a rejeté le surplus des conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 23NC02059 le 26 juin 2023 et un mémoire enregistré le 12 juin 2024, M. B... représenté par Me Jeannot demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 mars 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 9 avril 2021 lui refusant un titre de séjour ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit en remettant en cause un jugement étranger qui produit effet de plein droit et en s'estimant lié par les conclusions du service de fraude documentaire de la police aux frontières ; le tribunal a méconnu le principe de la présomption d'innocence ;
- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'erreur de droit, d'erreur de fait, d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est contraire à l'article 47 du code civil ; le préfet ne pouvait légalement remettre en cause les documents d'état civil maliens qu'il a présentés à l'appui de sa demande de titre de séjour ; le préfet a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation dans l'application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation personnelle ; la décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, elle est contraire à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle et d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- il a été relaxé par un arrêt de la cour d'appel du 20 février 2024 des faits de détention et usage de faux documents aux fins de se voir délivrer un titre de séjour ; l'autorité de la chose jugée au pénal est absolue.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 20 septembre et 3 octobre 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique ;
- le rapport de Mme Guidi, présidente,
- et les observations de Me Jeannot, pour M. B....
M. B... a présenté une note en délibéré enregistrée le 27 juin 2024 qui n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant malien né le 4 mai 2002, est entré sur le territoire français au cours de l'année 2018, selon ses déclarations. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par jugement en assistance éducative du tribunal pour enfant du 3 septembre 2018. Pris en charge par le conseil départemental dans le cadre d'un contrat " jeune majeur ", il a, le 16 novembre 2020, sollicité la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant de son souhait de poursuivre une formation professionnelle commencée dans le cadre d'un contrat d'apprentissage. Par un arrêté du 9 avril 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté sa demande et l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de renvoi. M. B... relève appel du jugement du 16 mars 2023 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour et à fin d'injonction.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. D'une part, aux termes des dispositions de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur version alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
3. D'une part, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.
5. D'une part, le préfet de Meurthe-et-Moselle se prévaut des constatations d'un fonctionnaire de la police aux frontières, selon lesquelles le jugement supplétif d'acte de naissance produit par M. B... comporterait des informations incomplètes ou des anomalies, dont certaines au regard de dispositions du code des personnes et de la famille malienne qui ne s'appliquent au demeurant pas aux jugements supplétifs. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. B... a été relaxé des faits consistant à avoir détenu frauduleusement un document administratif (acte de naissance) délivré par une administration publique d'Etat en vue de constater un droit, une identité ou une qualité ou accordé une autorisation qu'il savait falsifié au préjudice de l'Etat français et avoir tenté d'obtenir un titre de séjour en fournissant un faux acte de naissance par un arrêt de la cour d'appel de Nancy du 20 février 2024, la cour ayant relevé tant l'absence de preuve de l'inauthenticité des documents que l'absence de l'élément intentionnel de la fraude alléguée. D'autre part, si l'acte de naissance produit par l'intéressé, établi à partir de ce jugement supplétif, a été qualifié de faux par ce même fonctionnaire de la police aux frontières, il n'est pas contesté que les autorités maliennes ont, le 9 juillet 2020, délivré à l'intéressé, sur la base de ce même acte d'état civil, qu'elles ont en conséquence regardé comme probant, une carte d'identité consulaire. Dans ces conditions, et alors que la carte consulaire ne présente aucune irrégularité flagrante et que les autorités maliennes ont également délivré à M. B... un passeport le 8 aout 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle ne renverse pas la présomption de validité des documents d'état civil de M. B.... Par suite, le préfet de Meurthe-et-Moselle, en estimant que les actes de l'état civil produits par M. B... n'étaient pas authentiques, a entaché sa décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour d'une erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 9 avril 2021 lui refusant un titre de séjour ainsi que ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation de la décision du préfet de Meurthe-et-Moselle retenu au point 5, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et dans l'attente de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il résulte des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée, et peut, même d'office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.
9. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Jeannot en application de ces dispositions, combinées avec celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 mars 2023 est annulé.
Article 2 : La décision du préfet de Meurthe-et-Moselle du 9 avril 2021 refusant de délivrer un titre de séjour à M. B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et dans l'attente de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 4 : L'Etat versera à Me Jeannot, avocate de M. B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Jeannot renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 juillet 2024.
La rapporteure,
Signé : L. GuidiLe président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 23NC02059