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23/07/2024 | FRANCE | N°22NC00174

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 23 juillet 2024, 22NC00174


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... et M. B... D..., agissant en qualité de représentants légaux de l'enfant mineure E... D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 15 novembre 2019 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé la délivrance d'une carte d'identité et d'un passeport à l'enfant mineure E... D..., d'enjoindre au préfet de la Moselle de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à leur fille et de mettre à la charge de l'Etat un

e somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... et M. B... D..., agissant en qualité de représentants légaux de l'enfant mineure E... D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 15 novembre 2019 par laquelle le préfet de la Moselle a refusé la délivrance d'une carte d'identité et d'un passeport à l'enfant mineure E... D..., d'enjoindre au préfet de la Moselle de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à leur fille et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2000204 du 16 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête de Mme A... et M. D....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 janvier 2022, Mme A... et M. D..., représentés par Me Kouadio, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler la décision du 15 novembre 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à leur fille dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le lien de filiation entre M. D... et l'enfant est incontestable ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Mme A... et M. D... ont produit des pièces qui ont été enregistrées le 30 mars 2022 et le 18 août 2022.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... et M. D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;

- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Peton, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante ivoirienne, est entrée en France le 25 juin 2018. Elle a donné naissance à une fille, E..., le 2 avril 2019 et a sollicité la délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport pour son enfant le 3 mai suivant. Par une décision du 15 novembre 2019, le préfet de la Moselle a refusé cette délivrance au motif que le lien de filiation entre l'enfant et le père déclaré n'était pas établi. Mme A... et M. D..., ressortissant français ayant reconnu l'enfant par acte anticipé le 7 février 2019, ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une requête tendant à l'annulation de cette décision. Ils relèvent appel du jugement du 16 novembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande. Elle est délivrée ou renouvelée par le préfet ou le sous-préfet. / (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques : " Le passeport électronique est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande ".

3. Il appartient aux autorités administratives, qui ne sont pas en état de compétence liée, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou d'un passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement du titre demandé.

4. Aux termes de l'article 4 du décret du 22 octobre 1955 : " I. En cas de première demande, la carte nationale d'identité est délivrée sur production par le demandeur : a) De son passeport, de son passeport de service ou de son passeport de mission délivrés en application des articles 4 à 17 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 modifié relatif aux passeports valides ou périmés depuis moins de cinq ans à la date de la demande, sans préjudice, le cas échéant, de la vérification des informations produites à l'appui de la demande de cet ancien titre . La production de l'un de ces passeports dispense le demandeur d'avoir à justifier de son état civil et de sa nationalité française ; b) Ou de son passeport délivré en application des dispositions antérieures au décret du 30 décembre 2005 susmentionné, valide ou périmé depuis moins de deux ans à la date de la demande. En pareil cas, sans préjudice, le cas échéant, de la vérification des informations produites à l'appui de la demande de cet ancien titre, la production de ce passeport dispense le demandeur d'avoir à justifier de son état civil et de sa nationalité française ; c) Ou, à défaut de produire l'un des passeports mentionnés aux deux alinéas précédents, de son extrait d'acte de naissance de moins de trois mois, comportant l'indication de sa filiation ou, lorsque cet extrait ne peut pas être produit, de la copie intégrale de son acte de mariage ;/ Lorsque la nationalité française ne ressort pas des pièces mentionnées aux alinéas précédents, elle peut être justifiée dans les conditions prévues au II. / II. La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au c du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. (...) Lorsque les documents mentionnés aux alinéas précédents ne suffisent pas à établir sa nationalité française, le demandeur peut justifier d'une possession d'état de Français de plus de dix ans ".

5. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre d'identité que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte d'identité ou du passeport.

6. Il est constant que Mme A..., ressortissante ivoirienne, a donné naissance à un enfant, prénommé E..., qui a fait l'objet d'une reconnaissance anticipée de paternité par M. D..., ressortissant français. Pour refuser de délivrer à l'enfant une carte nationale d'identité et un passeport, le préfet de la Moselle s'est fondé, au moyen d'un dossier particulièrement étayé, sur la circonstance que la reconnaissance de paternité de l'enfant était frauduleuse.

7. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le préfet a saisi le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny d'une procédure en reconnaissance frauduleuse de paternité. A la suite de cette saisine, le tribunal judiciaire de Bobigny, se fondant uniquement sur des éléments postérieurs à la décision du préfet de la Moselle, a, par un jugement du 1er février 2022, jugé l'action du ministère public irrecevable après avoir constaté que les conditions de la fraude n'étaient pas réunies. Dans ces conditions très particulières de l'espèce il y a lieu de considérer qu'il n'existe pas de doutes suffisants sur le lien de filiation entre M. D... et l'enfant de Mme A..., et dès lors, c'est à tort que le préfet de la Moselle a estimé que la reconnaissance de paternité de cet enfant a été souscrite dans le but de faciliter la délivrance d'une carte d'identité et d'un passeport au nom de l'enfant E....

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... et M. D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard à ce qui a été énoncé précédemment, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, sauf changement de circonstance de droit ou de fait qui y ferait obstacle, qu'une carte nationale d'identité et un passeport soient délivrés à l'enfant E.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Moselle d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la mise à disposition de l'arrêt.

Sur les frais d'instance :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que demandent Mme A... et M. D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2000204 du 16 novembre 2021 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 15 novembre 2019 du préfet de la Moselle est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de délivrer une carte d'identité et un passeport à l'enfant mineure E... D... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à M. B... D... en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 juillet 2024.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

N° 22NC00174 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NC00174
Date de la décision : 23/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : KOUADIO

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-23;22nc00174 ?
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