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23/07/2024 | FRANCE | N°19NC01637

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 23 juillet 2024, 19NC01637


Vu la procédure suivante :



Sur la requête du centre hospitalier régional de Metz-Thionville, enregistrée le 27 mai 2019 sous le n° 19NC01637 et tendant à l'annulation des jugements n° 1501208 des 10 août 2017 et 26 mars 2019, par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, a condamné cet établissement public de santé à verser à Mme C... B... une indemnité provisionnelle de 20 000 euros, puis ordonné avant dire droit un supplément d'instruction et une expertise médicale, d'autre part, a condamné ce même établissement à verser respecti

vement à Mme B..., pour le compte de son fils A..., la somme de 890 789,15 euros...

Vu la procédure suivante :

Sur la requête du centre hospitalier régional de Metz-Thionville, enregistrée le 27 mai 2019 sous le n° 19NC01637 et tendant à l'annulation des jugements n° 1501208 des 10 août 2017 et 26 mars 2019, par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, a condamné cet établissement public de santé à verser à Mme C... B... une indemnité provisionnelle de 20 000 euros, puis ordonné avant dire droit un supplément d'instruction et une expertise médicale, d'autre part, a condamné ce même établissement à verser respectivement à Mme B..., pour le compte de son fils A..., la somme de 890 789,15 euros, assortie des intérêts au taux légal, ainsi qu'une rente annuelle de 6 700 euros, et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle les sommes de 115 774,35 euros au titre de ses débours et de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, puis a mis à la charge de l'établissement les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 2 950 euros, ainsi que le versement à Mme B... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle des sommes respectives de 1 500 et de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour, par un arrêt n° 19NC01637 du 23 novembre 2021, a jugé que l'erreur d'interprétation de l'enregistrement cardiaque fœtal du 6 novembre 2008 était constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional

de Metz-Thionville , puis a ordonné avant dire droit une expertise médicale.

Le rapport d'expertise a été enregistré au greffe de la cour le 15 mars 2023.

Par une ordonnance n° 19NC01637 de la présidente de la cour du 27 mars 2023, les frais d'expertise ont été liquidés et taxés à la somme totale de 6 000 euros.

Par deux mémoires complémentaires, enregistrés les 17 avril 2023 et 5 mai 2023, le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, représenté par Me Le Prado, demande à la cour :

1°) d'annuler les jugements n° 1501208 du tribunal administratif de Strasbourg des 10 août 2017 et 26 mars 2019 ;

2°) de rejeter les conclusions de Mme B... et de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- le taux de perte de chance, évalué à 75 % dans le dernier rapport d'expertise, apparaît plus proche de 50 % ;

- il appartient à la cour de confirmer la méthodologie suivie par les premiers juges pour évaluer les besoins d'assistance par tierce personne de l'enfant et d'inviter Mme B... à justifier précisément les prestations, aides sociales et avantages fiscaux dont elle bénéficie à ce titre ;

- l'assistance par tierce personne, dont a besoin l'enfant, ne requiert pas une compétence particulière de sorte que le taux horaire n'a pas lieu d'excéder le salaire minimum ;

- les demandes d'indemnisation de Mme B... au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice d'accompagnement sont excessives ;

- la demande de remboursement de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle doit être rejetée dès lors que le lien direct entre les manquements qui lui sont reprochés et les troubles de l'enfant est loin d'être établi ;

- en tout état de cause, il ne peut être fait droit aux demandes de la caisse que dans la limite du taux de perte de chance de 75 % retenu par les experts.

Par trois mémoires complémentaires, enregistrés les 17 avril, 18 avril et 3 mai 2023, Mme C... B..., représentée par Me Schmitzberger-Hoffer, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à la condamnation du centre hospitalier régional de Metz-Thionville à lui verser, à titre provisionnel, pour le compte de son fils, la somme totale de 2 708 451,25 euros et, pour son propre compte, la somme de 64 000 euros, à ce que ces sommes portent intérêts au taux légal à compter du jour de sa demande, à ce qu'il soit mis à la charge de l'établissement ainsi mis en cause les entiers frais et dépens, les frais d'expertise et le versement à son profit d'une somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ainsi que la cour l'a jugé dans son arrêt avant dire droit n° 19NC01637 du 23 novembre 2021, les manquements commis par le centre hospitalier régional de Metz-Thionville le 6 novembre 2008, lors de la prise en charge de sa grossesse, résultant d'une interprétation erronée par la sage-femme de l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal et de l'absence de sollicitation d'un médecin, constituent des fautes qui engagent la responsabilité de l'établissement ;

- conformément aux conclusions du dernier rapport d'expertise, il y a lieu de retenir un taux de perte de chance de 75 % ;

- elle est fondée à réclamer, à titre provisionnel, pour le compte de son fils, sur une période de quinze ans et après application du taux de perte de chance de 75 %, les sommes de 134 051,25 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, de 35 500 euros au titre des souffrances endurées, de 2 039 400 euros au titre de l'assistance par tierce personne, de 67 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, de 387 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et de 45 000 euros au titre des dépenses de santé actuelles et futures, des frais de petit appareillage et de consommables et des frais d'aménagement du logement et du véhicule ;

- les autres postes de préjudices, qui seront évalués après une nouvelle expertise, ne font pas l'objet, à ce stade, d'une indemnité provisionnelle ;

- elle est également fondée à réclamer, à titre provisionnel, pour son propre compte, sur une période de quinze ans et après application du taux de perte de chance de 75 %, la somme de 64 000 euros au titre de son préjudice d'accompagnement.

Par un mémoire complémentaire, enregistré le 17 avril 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, représentée par Me Fort, doit être regardée comme concluant au rejet de la requête, à la condamnation du centre hospitalier régional de Metz-Thionville à lui verser, après application du taux de perte de chance, une somme de 135 677,46 euros au titre de ses débours provisoires, assortie des intérêts légaux à compter de sa première demande, et une somme de 83 727,13 euros au titre des frais prévisibles exposés jusqu'aux dix-huit ans de la victime et à la mise à la charge de cet établissement public de santé du versement d'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il y a lieu de confirmer les premiers juges en ce qu'ils ont retenu la responsabilité du centre hospitalier régional de Metz-Thionville et un taux de perte de chance de 80 % ;

- sa créance provisoire d'élève à la somme de 135 677,46 euros, dont 68 525,12 euros pour les hospitalisations, 4 961,61 euros pour les frais médicaux, 1 043,98 euros pour les frais de radiologie, 1 220,58 euros pour les frais de kinésithérapie, 5 971,97 euros pour les frais pharmaceutiques, 225,60 euros pour les frais de petits appareillage, 8 390,51 euros, 38 481,15 euros et 1 316,62 euros pour les frais d'appareillage relatifs au corset, aux orthèses et au fauteuil roulant et 5 558,32 euros pour les frais de transport ;

- ses débours prévisibles jusqu'au dix-huit ans de la victime s'élèvent à 83 727,13 euros ;

- elle n'entend pas, à ce stade, actualiser sa créance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse,

- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,

- et les observations de Me Demailly représentant le centre hospitalier régional de Metz-Thionville et de Me Schmitzberger-Hoffer représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

Sur la responsabilité du centre hospitalier régional de Metz-Thionville :

1. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

2. D'une part, ainsi qu'il a été jugé dans l'arrêt avant dire droit n° 19NC01637 de la cour, il résulte de l'instruction que l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal, réalisé le 6 novembre 2008, eu égard à ses caractéristiques, ne pouvait être regardé comme normal. La circonstance que l'enregistrement du 10 novembre 2008 ait été interprété par le personnel médical comme révélant un rythme non pathologique n'est pas de nature, compte tenu des différentes lectures possibles et contradictoires de cet enregistrement, à remettre en cause la réalité et l'importance des anomalies constatées le 6 novembre. Dans ces conditions, le centre hospitalier régional de Metz-Thionville n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'une faute dans la prise en charge de Mme B... résultant de l'interprétation erronée par la sage-femme de l'enregistrement du 6 novembre 2008 et de l'absence de consultation par celle-ci d'un médecin.

3. D'autre part, il résulte du rapport d'expertise remis le 15 mars 2023 que la

sous-estimation flagrante des anomalies du rythme cardiaque fœtal, enregistré le 6 novembre 2008, a empêché la réalisation d'examens complémentaires destinés à apprécier la vitalité du fœtus qui, s'ils avaient été réalisés le jour même, auraient conduit l'équipe médicale à pratiquer une césarienne en urgence dès le 7 novembre 2008, soit cinq jours avant la naissance de l'enfant. Selon les experts, un tel manquement a entraîné une perte de chance d'éviter la survenue de lésions cérébrales à l'origine des séquelles dont souffre le fils de Mme B....

Sur le montant de la réparation :

En ce qui concerne la fraction du préjudice indemnisable :

4. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

5. Il résulte du rapport d'expertise remis le 15 mars 2023 que l'analyse de l'imagerie par résonance magnétique cérébrale, pratiquée sur l'enfant le 19 novembre 2008 à sept jours de vie, montre la présence de lésions de type anoxo-ischémique constituées avant la naissance et résultant, non pas d'une anoxie aiguë, mais d'une hypoxie chronique prolongée concordante avec les anomalies constatées du rythme cardiaque du fœtus. Pour les experts, ce processus délétère hypoxique a pu ainsi entraîner des signes de détresse fœtale dès le 1er novembre 2008. Les lésions cérébrales à l'origine des séquelles conservées par le fils de Mme B... ont donc commencé à se constituer à cette date, avant de s'aggraver progressivement au fil du temps. Dans ces conditions, l'enfant, qui aurait pu naître le 7 novembre 2008, a été privé, a minima, d'une perte de chance de 41 % (5/12). Toutefois, dans la mesure où les anomalies du rythme cardiaque fœtal se sont nettement aggravées entre le 10 et le 12 novembre 2008, l'absence de mouvements actifs du fœtus constatée à partir du 11 novembre révélant, à cet égard, une situation de détresse majeure, les experts estiment que la période d'exposition postérieure au 6 novembre a été incontestablement plus délétère que celle qui précède. Ils en concluent que le taux de perte de chance d'éviter la constitution de lésions cérébrales définitives doit être porté à 75 %. Ces conclusions étayées ne sont pas sérieusement remises en cause par le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, qui se borne à affirmer que le taux de perte de chance apparaît plus proche de 50 %, sans apporter le moindre élément probant au soutien de leurs allégations. Par suite, il y a lieu de retenir un taux de perte de chance de 75 %.

En ce qui concerne les préjudices de la victime directe :

6. D'une part, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudice, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ou du fait que celle-ci n'a subi que la perte d'une chance d'éviter le dommage corporel. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale. Dans le cas où la réparation, fondée sur un pourcentage représentatif d'une perte de chance, est partielle, la somme que doit réparer le tiers responsable au titre d'un poste de préjudice doit être attribuée par préférence à la victime, le solde étant, le cas échéant, attribué aux tiers subrogés.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise remis les 22 mai 2018 et 15 mars 2023, que les lésions dont souffre le fils de Mme B..., bien qu'irréversibles, n'étaient pas consolidées à la date à laquelle les expertises ont été réalisées compte tenu de son état de minorité et du caractère encore évolutif de son développement moteur et intellectuel. L'absence de consolidation, qui n'interviendra, selon les experts, qu'à la date de son dix-huitième anniversaire, ne fait cependant pas obstacle à ce que soient mises à la charge du centre hospitalier responsable du dommage les dépenses médicales dont il est d'ores et déjà certain qu'elles devront être exposées à l'avenir, ainsi que la réparation de l'ensemble des conséquences déjà acquises de la détérioration de l'état de santé de l'enfant. Il appartiendra à ce dernier ou à ses représentants, s'ils s'y croient fondés, de revenir devant le juge pour la fixation définitive des préjudices.

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

Quant aux dépenses de santé :

8. D'une part, Mme B... n'établit pas avoir exposé des dépenses de santé qui seraient restées à sa charge au cours de la période comprise entre le 12 novembre 2008, date de naissance de l'enfant, et le 23 juillet 2024, date de mise à disposition du présent arrêt.

9. D'autre part, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle doit être regardée, quant à elle, comme sollicitant, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement de première instance sur ce point. Elle produit, à hauteur d'appel, les mêmes pièces que celles soumises au tribunal administratif, en l'occurrence un relevé provisoire des débours exposés, daté du 6 août 2018, une attestation d'imputabilité de son médecin-conseil du 25 juillet 2018 et une prévision des débours futurs jusqu'aux dix-huit ans de la victime établi par le service recours contre tiers le 6 août 2018. Les montants ainsi réclamés n'étant pas contestés par le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, les débours de la caisse liés aux dépenses de santé s'élèvent, pour les frais médicaux, pharmaceutiques, d'hospitalisation, de radiologie et de kinésithérapie exposés entre le 12 novembre 2008 et le 5 août 2018, à 81 723,26 euros et, pour les frais médicaux et pharmaceutiques futurs, à 23 666,86 euros pour la période comprise entre le 6 août 2018 et le 23 juillet 2024 et à 9 171,18 euros pour la période comprise entre le 24 juillet 2024 et le 12 novembre 2026, date à laquelle l'enfant aura atteint l'âge de dix-huit ans.

10. Par suite, il y a lieu de condamner le centre hospitalier régional

de Metz-Thionville à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, après application du taux de perte de chance de 75 %, les sommes respectives de 61 292,44 euros, de 17 750,15 euros et de 6 878,39 euros au titre des débours correspondant aux dépenses de santé passées et futures.

Quant au frais d'appareillage :

11. Il résulte de l'instruction que le montant total des frais d'appareillage de l'enfant, de sa naissance à sa majorité, s'élève à 104 504,86 euros. Compte tenu du taux de perte de chance de 75 %, la somme que le centre hospitalier régional de Metz-Thionville doit réparer au titre de ce poste de préjudice est de 78 378,64 euros. Il n'est pas contesté également que, si une partie de ces dépenses ont été prises en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle à hauteur de 99 335,67 euros, Mme B... a exposé une somme de 5 169,19 euros, demeurée à sa charge, pour l'acquisition d'une chaise de douche, d'une table adaptée, d'un lit et d'un matelas spécialisé et d'un reste à charge sur un fauteuil roulant. Par suite, en vertu de la règle de priorité de la victime, il y a lieu de condamner le centre hospitalier régional de Metz-Thionville à verser à Mme B..., pour le compte de son fils, la somme de 5 169,19 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle le reliquat, qui s'élève à la somme totale de 73 209,45 euros.

Quant aux frais de transport :

12. Si Mme B... n'établit pas avoir supporté des frais de transport qui seraient restés à sa charge au cours de la période comprise entre le 12 novembre 2008 et le 23 juillet 2024, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle justifie, quant à elle, avoir exposé une somme de 5 558,32 euros de débours à ce titre entre le 21 septembre 2010 et le 11 avril 2018. En l'absence de toute contestation de ce montant par le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, il y a lieu de le condamner à verser à la caisse, après application du taux de perte de chance de 75 %, la somme de 4 168,74 euros.

Quant aux frais d'aménagement du logement et du véhicule :

13. Mme B... n'établit pas avoir exposé, pour la période comprise entre le 12 novembre 2008 et le 23 juillet 2024, des dépenses en vue d'adapter son logement actuel au handicap de son fils et ne précise pas davantage quel type de travaux d'aménagement serait nécessaire pour améliorer l'existence au quotidien de cet enfant. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions de l'intéressée à fin d'indemnisation de ce chef de préjudice.

14. En revanche, s'il est vrai que l'intéressée se borne à produire un simple devis au soutien de sa demande indemnitaire, son besoin de disposer d'un véhicule permettant le transport en fauteuil roulant de son fils, aujourd'hui âgé de plus de quinze ans, n'est pas sérieusement contestable. Ce besoin peut être évalué à une somme de 10 000 euros correspondant au surcoût induit par l'acquisition d'un tel véhicule, ainsi qu'à une somme de 5 000 euros pour l'achat d'une rampe d'accès. Par suite, il y a lieu de condamner le centre hospitalier régional de Metz-Thionville à verser à Mme B..., pour le compte de son fils, la somme totale de 11 250 euros après application du taux de perte de chance de 75 %.

Quant aux frais d'assistance par tierce personne :

15. D'une part, lorsque le juge administratif indemnise la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne, il détermine d'abord l'étendue de ces besoins d'aide et les dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit, à cette fin, se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime.

16. D'autre part, en vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il appartient ensuite au juge de déduire du montant de l'indemnité allouée à la victime au titre de l'assistance par tierce personne les prestations ayant pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune. Les règles rappelées au point précédent ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime. Lorsque la personne publique n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, cette déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

17. Mme B... doit être regardée comme demandant une indemnisation des frais d'assistance par tierce personne uniquement pour la période comprise entre le 12 novembre 2008 et le 23 juillet 2024, date de mise à disposition du présent arrêt. Il résulte de l'instruction, spécialement du rapport d'expertise remis le 22 mai 2018, que le fils de Mme B... présente un important déficit psychomoteur, associé à des troubles du comportement de type autistique et à un syndrome épileptique pharmaco-résistant. Selon l'expert, à la date de consolidation de son état de santé, normalement prévue lors de sa dix-huitième année, l'intéressé présentera un déficit fonctionnel permanent d'au moins 80 %. L'enfant, qui n'a pas acquis l'autonomie, la propreté et la conscience du danger, a besoin d'un accompagnement pour l'accomplissement de tous les actes de la vie quotidienne, d'un changement régulier de ses couches et d'une surveillance constante. Il est également sujet à des crises convulsives, à raison de cinq à quinze par jours. C'est la raison pour laquelle, compte tenu de la charge de travail, l'expert préconise le recours à une aide humaine active de cinq heures par jour, ainsi qu'une aide passive de dix-neuf heures par jour ou de douze heures par jour en période de scolarité. Toutefois, il ne résulte pas du rapport d'expertise que l'enfant, qui se lève à 7h00 et se couche à 20h30, présenterait des troubles du sommeil et, s'il connaît des réveils nocturnes, il a simplement besoin d'être rassuré et se rendort facilement. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le besoin global d'assistance peut être évalué à 13 heures et 30 minutes par jour. Le coût d'une telle assistance, qui nécessite une disponibilité et un savoir-faire de la part de la personne concernée, doit être fixé au taux horaire moyen, tenant compte des charges sociales, de 20 euros.

18. Les conséquences de l'anoxo-ischémie, dont a été victime le fils de Mme B..., a impliqué dès son plus jeune âge, eu égard à leur gravité, une attention bien plus soutenue que celle que nécessite un enfant du même âge. Ce besoin d'assistance doit ainsi être pris en considération à compter de sa naissance et non, comme le fait valoir le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, à partir de ses trois ans. En revanche, il convient de tenir compte des périodes au cours desquelles l'enfant n'était pas au domicile de sa mère, notamment du fait de sa scolarisation, de son placement dans un établissement spécialisé et de ses hospitalisations.

19. Il résulte de l'instruction que, à l'issue de la période d'hospitalisation, le fils de Mme B... a intégré son domicile à compter du 12 décembre 2008, soit un nombre total de 5 702 jours écoulés entre cette date et celle du 23 juillet 2024, représentant un besoin en assistance de 76 977 heures. Il convient de déduire de ce volume horaire global les périodes d'hospitalisation de 158 jours, soit 2 133 heures, ainsi que les périodes de scolarisation de l'enfant, d'abord au sein du service d'éducation et de soins spécialisés à domicile (SESSAD) de Metz du 20 novembre 2012 au 19 septembre 2019 à raison de quatre jours par semaine, puis à l'institut d'éducation motrice (IEM) de Metz du 20 septembre 2019 au 23 juillet 2024 à raison de cinq jours par semaine, soit, en retenant une amplitude horaire journalière allant de 8h00 et 16h30 et en excluant les semaines de vacances scolaires, un total de 15 897 heures. On aboutit ainsi à un volume horaire indemnisable de 58 947 heures (76 977 - 2 133 - 15 897). Dans ces conditions, en tenant compte d'un coût horaire de 20 euros et d'une base annuelle de 412 jours incluant les dimanches, jours fériés et congés annuels, les frais échus pour la période du 12 novembre 2008 au 23 juillet 2024 au titre de l'assistance par une tierce personne s'établissent à la somme de 1 329 844,32 euros (58 947 x 1,128 x 20). Par suite, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville, après application du taux de perte de chance de 75 %, la somme de 997 383,24 euros.

20. Il résulte de l'instruction que Mme B... a perçu, au cours de la période considérée, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, à compter du 1er janvier 2009, et la prestation de compensation du handicap, à compter du 1er juin 2015, pour un montant global de 59 295,06 euros, auquel il convient d'ajouter, du 1er décembre 2009 au 31 mai 2015, avant d'être remplacé par la prestation de compensation du handicap, le complément de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé. Le montant cumulé de ces allocations et de l'indemnisation qui doit être mise à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville n'excède pas le montant total des frais d'assistance, arrêtés à la somme de 1 329 844,32 euros. Il n'y a pas lieu de déduire ces prestations, ni d'ailleurs le crédit d'impôt prévu à l'article 199 sexdecies du code général des impôts, Mme B... n'ayant pas eu recours, pour répondre au besoin d'assistance de son fils, à un service d'aide à la personne. Par suite, la somme de 848 119,96 euros, mise à la charge du requérant par les premiers juges, doit être portée à 997 383,24 euros.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

21. Il résulte de l'instruction, spécialement des rapports d'expertise remis les 22 mai 2018 et 15 mars 2023, ainsi que du relevé provisoire des débours exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, daté du 6 août 2018, que le fils de Mme B... a, au titre de la prise en charge de l'anoxo-ischémie et de ses conséquences, été hospitalisé pendant 189 jours. Les experts estiment, par ailleurs, que, à la date de consolidation de son état de santé, qui ne pourra, en tout état de cause, intervenir avant l'âge de ses dix-huit ans, la victime présentera un déficit fonctionnel permanent d'au moins 80 %. Dans ces conditions, pour la période d'indemnisation allant du 12 novembre 2008 et le 23 juillet 2024, il y a lieu de retenir un déficit fonctionnel temporaire partiel de 80 %, en dehors des périodes d'hospitalisation au cours desquelles ce déficit sera total. Le préjudice au titre du déficit fonctionnel temporaire s'élevant à 92 468 euros, il y a lieu, après application du taux de perte de chance de 75 %, d'allouer à Mme B..., en sa qualité de représentante légal de son fils A..., la somme de 69 351 euros.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

22. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, il résulte des rapports d'expertise remis les 22 mai 2018 et 15 mars 2023 que le déficit fonctionnel permanent de l'enfant, dont l'état de santé sera consolidé à ses dix-huit ans, ne sera pas inférieur à 80 %. Dans ces conditions, eu égard au caractère réel et certain de ce préjudice, il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 370 000 euros. Par suite, il y a lieu de condamner le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, après application du taux de perte de chance de 75 %, à verser à Mme B..., en sa qualité de représentante légale de son fils A..., la somme de 277 500 euros à ce titre.

Quant aux souffrances endurées et au préjudice esthétique :

23. Il résulte de l'instruction, spécialement des rapports d'expertise remis les 22 mai 2018 et 15 mars 2023, que les souffrances physiques et morales endurées par l'enfant et son préjudice esthétique temporaire ont été respectivement évalués par les experts à 6 et à 5 sur une échelle allant de 1 à 7. Eu égard à la durée de la période d'indemnisation, comprise entre le 12 novembre 2008 et le 23 juillet 2024, et la lourdeur du handicap de l'enfant, il sera fait une juste appréciation de ces deux chefs de préjudice en fixant leur montant à 40 000 euros au titre des souffrances endurées et à 10 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire. Nonobstant l'absence de consolidation de l'état de santé de l'enfant, le préjudice esthétique permanent présente d'ores et déjà un caractère réel et certain. Il peut également être évalué à la somme de 10 000 euros. Par suite, il y a lieu de condamner le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, après application du taux de perte de chance de 75 %, à verser à Mme B..., en sa qualité de représentant légale de son fils A..., les sommes respectives de 30 000, de 7 500 euros et de 7 500 euros au titre de ces trois chefs de préjudice.

24. Il résulte de ce qui précède qu'une somme de 1 405 653,43 euros pourra être mise à la charge du centre hospitalier de Metz-Thionville en ce qui concerne les préjudices subis par l'enfant A....

En ce qui concerne les préjudices de la victime indirecte :

25. Mme B..., qui se prévaut en appel d'un " préjudice d'accompagnement ", doit être regardée, au vu de ses écritures, comme sollicitant, en sa qualité de victime indirecte, une indemnisation au titre de son préjudice d'affection et des troubles dans ses conditions d'existence. Il y a lieu de confirmer les premiers juges en tant qu'ils ont alloué à l'intéressée, pour ces chefs de préjudice, la somme totale de 40 000 euros après application du taux de perte de chance.

26. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions à fin d'indemnisation présentées, à titre incident, par Mme B..., qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier régional de Metz-Thionville à verser à l'intéressée, au nom de son fils A... et en son nom propre, les sommes respectives de 1 405 653,43 euros et de 40 000 euros. Compte tenu des indemnités provisionnelles de 70 000 et de 20 000 euros déjà versées aux victimes, ces sommes doivent être ramenées respectivement à 1 335 653,43 euros et à 20 000 euros.

27. Le centre hospitalier régional de Metz-Thionville est également condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle la somme de 163 299,17 euros.

En ce qui concerne les intérêts :

28. C'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que Mme B..., agissant pour son propre compte et pour celui de son fils A..., avait droit aux intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2015, date d'introduction de sa demande de première instance.

29. La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle ayant, pour la première fois en appel, sollicité le versement des intérêts moratoires, elle a également droit aux intérêts au taux légal à compter du 7 août 2018, date d'enregistrement de son mémoire devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur les dépens :

30. Les dépens constitués des frais d'expertise, liquidés et taxés par une ordonnance de la présidente de la cour n° 19NC01637 du 27 mars 2023 à une somme totale de 6 000 euros sont mis à la charge définitive du centre hospitalier régional

de Metz-Thionville.

Sur les frais de justice :

31. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville le versement à Mme B... d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.

D E C I D E :

Article 1er : Le centre hospitalier régional de Metz-Thionville est condamné à verser à Mme B..., pour le compte de son fils A... et pour son propre compte, les sommes respectives de 1 335 653,43 euros et de 20 000 euros. Ces sommes seront augmentées des intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2015.

Article 2 : Le centre hospitalier régional de Metz-Thionville est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle la somme de 163 299,17 euros. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 août 2018.

Article 3 : Le jugement n° 1501208 du tribunal administratif de Strasbourg du 6 mars 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés par une ordonnance n° 19NC01637 de la présidente de la cour du 27 mars 2023 à une somme totale de 6 000 euros sont mis à la charge définitive du centre hospitalier régionale de Metz-Thionville.

Article 5 : Le centre hospitalier régional de Metz-Thionville versera à Mme B... la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier régional de

Metz-Thionville, à Mme C... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie

de Meurthe-et-Moselle et aux experts MM. René-Charles Rudigoz, Alain Vighetto, Olivier Claris et Laurent Guibaud.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Bauer, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

La présidente,

Signé : S. BAUER

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 19NC01637 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01637
Date de la décision : 23/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-04-02-02 Procédure. - Instruction. - Moyens d'investigation. - Expertise.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-23;19nc01637 ?
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