Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 2 juin 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités italiennes et l'a assignée à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2301743, 2301744 du 20 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé ces arrêtés et a enjoint à la préfète de lui délivrer une attestation de demande d'asile valant autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour :
I.) Par une requête enregistrée le 30 juin 2023 sous le n° 23NC02139, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 juin 2023.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il lui est enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... alors qu'il ne ressort pas des dispositions applicables du code de justice administrative et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'annulation d'une décision de transfert entraîne nécessairement l'obligation d'enregistrer une demande d'asile en France ;
- le tribunal a estimé à tort que la présence en France du conjoint de Mme A..., demandeur d'asile placé en procédure accélérée, justifie l'annulation de la décision de transfert.
Par un mémoire enregistré le 11 août 2023, Mme A... représentée par Me Lehmann conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'en l'état de l'instruction la préfète du Bas-Rhin ne soulève aucun moyen sérieux de nature à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaqué et le rejet des conclusions présentées en première instance.
II.) Par une requête enregistrée le 30 juin 2023 sous le n° 23NC02140, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 juin 2023 en tant d'une part qu'il annule l'arrêté du 2 juin 2023 et d'autre part qu'il met à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 671-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A....
Elle soutient que le tribunal a estimé à tort que la présence en France du conjoint de Mme A..., demandeur d'asile placé en procédure accélérée, justifie l'annulation de la décision de transfert dans la mesure où cette procédure ne lui donne aucun droit à une installation pérenne en France et sa demande sera jugée irrecevable dans la mesure où il dispose de la protection subsidiaire en Italie.
Par un mémoire enregistré le 11 août 2023, Mme A... représentée par Me Lehmann conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen invoqué par la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondé ;
- le défaut de prise en compte de sa situation familiale conduirait à la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentales.
Mme A... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 7 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., de nationalité ivoirienne, née le 14 octobre 1986 à Abidjan (Côte d'Ivoire) a déclaré être entrée irrégulièrement en France avec son conjoint le 13 décembre 2022. Elle a présenté une demande d'asile auprès du guichet unique de la préfecture le 10 janvier 2023. La consultation du fichier Eurodac a fait ressortir que l'intéressée a illégalement franchi les frontières italiennes dans les douze mois précédant l'introduction de sa première demande d'asile. Le 1er mars 2023, la préfète a saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge, lesquelles ont donné implicitement leur accord le 2 mai suivant en application du 1. de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013. Par un arrêté du 2 juin 2023, la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités italiennes. La préfète du Bas-Rhin relève appel du jugement du 20 juin 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté et de délivrer à Mme A... une attestation de demande d'asile valant autorisation provisoire de séjour.
Sur l'exception de non-lieu à statuer concernant les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision de transfert :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
3. Le premier alinéa de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes de l'article L. 572-4 du même code : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 572-1 peut, dans les conditions et délais prévus à la présente section, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. (...) ". Aux termes de l'article L. 572-2 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant l'expiration d'un délai de quinze jours. Toutefois, ce délai est ramené à quarante-huit heures dans les cas où une décision d'assignation à résidence en application de l'article L. 751-2 ou de placement en rétention en application de l'article L. 751-9 a été notifiée avec la décision de transfert ou que l'étranger fait déjà l'objet de telles mesures en application des articles L. 731-1, L. 741-1, L. 741-2, L. 751-2 ou L. 751 9. Lorsque le tribunal administratif a été saisi d'un recours contre la décision de transfert, celle-ci ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant qu'il ait été statué sur ce recours ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 2 juin 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné le transfert de Mme A... aux autorités italiennes est intervenu moins de six mois après l'accord implicite de ces autorités pour sa reprise en charge, soit dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Toutefois, ce délai a été interrompu par l'introduction du recours que Mme A... a présenté devant le tribunal administratif de Nancy sur le fondement de l'article L. 572-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter de la notification le 20 juin 2023 à la préfecture du jugement par lequel la magistrate désignée a annulé l'arrêté ordonnant le transfert de Mme A.... Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que ce délai aurait été prolongé, en application des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. La décision de transfert en litige n'a pas été exécutée au cours de ce délai de six mois, qui expirait le 20 décembre 2023, date à laquelle, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection internationale de Mme A.... Il s'ensuit qu'à cette date, la décision de transfert est devenue caduque et ne pouvait plus être légalement exécutée. Cette caducité étant intervenue postérieurement à l'introduction de l'appel, les conclusions de la requête n° 22NC02140 de la préfète du Bas-Rhin aux fins d'annulation du jugement de la magistrate désignée en tant qu'il a annulé l'arrêté du 2 juin 2023 ordonnant le transfert de Mme A... sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions à fin d'annulation relatives aux frais de l'instance devant le tribunal administratif :
6. Compte tenu de qui précède, et alors que l'Etat était la partie perdante devant le tribunal administratif de Nancy, la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal en tant qu'il a mis à la charge de l'Etat le versement à Me Lehmann d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
7. Le présent arrêt ayant statué sur l'appel de la préfète du Bas-Rhin, il n'y a plus lieu de statuer sur sa requête enregistrée sous le n° 23NC02139 tendant au sursis à exécution du jugement attaqué.
Sur les frais liés aux instances :
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre des frais que Mme A... aurait exposés si elle n'avait pas été admise à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 22NC002140 de la préfète du Bas-Rhin tendant à l'annulation du jugement du 20 juin 2023 en tant que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé la décision de transfert de Mme A....
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête à fin de sursis à exécution enregistrée sous le n° 23NC02139.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées en appel par la préfète du Bas-Rhin et Mme A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., Me Lehmann et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024.
La rapporteure,
Signé : C. MosserLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 23NC02139, 23NC02140