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02/07/2024 | FRANCE | N°23NC01314

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 02 juillet 2024, 23NC01314


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel la préfète des Vosges a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit.



Par un jugement n° 2300598 du 4 avril 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé ledit arr

êté.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel la préfète des Vosges a retiré son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit.

Par un jugement n° 2300598 du 4 avril 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé ledit arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 27 avril et le 15 juin 2023, la préfète des Vosges demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 avril 2023 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. B... ;

3°) de procéder au remboursement de la somme de 1 000 euros au versement de laquelle l'Etat a été condamné en première instance au titre des frais de justice.

Elle soutient que :

- le motif d'annulation retenu par le tribunal n'est pas fondé ; les services préfectoraux n'avaient pas connaissance de la paternité de M. B..., de sorte qu'aucun défaut d'examen ne peut leur être reproché ; la mère de l'enfant est également en situation irrégulière et n'a pas vocation à demeurer sur le territoire français ; la réalité de la communauté de vie avec cette dernière et leur enfant n'est pas établie ; l'intéressé ne justifie pas entretenir des liens avec son enfant et/ou participer à son entretien ou son éducation ; l'arrêté attaqué ne méconnait ainsi pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2023, M. A... B..., représenté par Me Zoubeidi-Defert, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le tribunal pouvait prendre en compte les éléments de fait transmis à l'audience concernant la naissance de son enfant, alors même qu'ils n'avaient pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; la cellule familiale est réelle, nonobstant la distance géographique avec la mère de son enfant ; il participe à l'entretien et à l'éducation de son enfant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bauer a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant ivoirien né le 23 décembre 1999, est entré en France en octobre 2020 et y a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 10 août 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 2 janvier 2023. A la suite de ces décisions, par un arrêté du 3 février 2023, la préfète des Vosges lui a fait obligation, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra, le cas échéant, être reconduit. M. B... a demandé l'annulation de ces décisions au tribunal administratif de Nancy. Par un jugement du 4 avril 2023, la magistrate désignée par le président de ce tribunal administratif a annulé cet arrêté. La préfète des Vosges relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

3. Il est constant qu'à la date d'édiction de la décision attaquée, l'intéressé ne s'était pas prévalu auprès des services préfectoraux de la naissance de son fils le 21 décembre 2021. Toutefois, si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de tenir compte des justifications apportées devant lui, dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision critiquée, même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. B... est père d'un enfant, dont la mère, également en situation irrégulière, possède la nationalité burkinabée. Toutefois, le requérant n'établit pas, par la seule production de quelques photos non datées et localisées et d'une attestation peu circonstanciée d'un tiers, la réalité de la communauté de vie avec sa compagne, alors qu'il est constant qu'ils résident dans des villes distinctes et éloignées, ni l'intensité de ses liens avec son enfant et sa participation effective à son entretien et à son éducation. Dans ces conditions, c'est à tort que le premier juge a considéré que les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant étaient méconnues.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. B... :

6. En premier lieu, alors, ainsi qu'il a été dit, que le requérant ne s'était pas prévalu devant l'administration de la naissance de son enfant et de sa vie privée et familiale en France, la circonstance que la préfète n'ait pas visé dans sa décision les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait en tout état de cause révéler un défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Il résulte des dispositions du titre I du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution de la décision par laquelle l'autorité administrative signifie à un étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français. Dès lors, l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ne saurait être utilement invoqué à l'encontre d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, ni à l'encontre des mesures accessoires relatives au délai de départ volontaire et au pays de renvoi. Par suite et alors même qu'aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'en écarte explicitement l'application, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit être écarté comme inopérant.

8. En dernier lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant. Il résulte toutefois également de la jurisprudence de cette cour que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

9. En l'espèce, si M. B... soutient que son droit d'être entendu a été méconnu dès lors qu'il a été privé de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, il n'établit pas avoir été empêché d'exposer sa situation de couple et la naissance à venir de son enfant lors de l'instruction de sa demande d'asile, alors qu'il est constant que lui a été remise le 11 juin 2021 au moment du dépôt de sa demande d'asile la notice d'information prévue par l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'ensuit que ce moyen doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète des Vosges est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 4 avril 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions attaquées. Il y a lieu d'annuler les articles 2 et 3 de ce jugement, de rejeter la demande de première instance de M. B... en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de rejeter les conclusions présentées devant la cour par M. B..., qui est la partie perdante dans la présente instance, au titre desdits articles.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2300598 du 4 avril 2023 du tribunal administratif de Strasbourg sont annulés.

Article 2 : La demande de première instance de M. B... et ses conclusions présentées devant la cour au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète des Vosges.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente-assesseure,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

La rapporteure,

Signé : S. BAUER Le président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

F. LORRAIN

N° 23NC01314 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01314
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sandra BAUER
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : AARPI GARTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;23nc01314 ?
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