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02/07/2024 | FRANCE | N°21NC03036

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 02 juillet 2024, 21NC03036


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le GAEC Jeanningros a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 14 février 2020 par lequel le maire d'Ouvans a délivré, au nom de l'Etat, un permis de construire une maison d'habitation individuelle à M. A..., ainsi que l'arrêté pris par ce maire le 12 octobre 2020 délivrant au pétitionnaire un permis de construire modificatif.



Par un jugement no 2000537 du 29 juillet 2021, le tribunal administratif de Besançon a annulé ce

s deux arrêtés.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 24 no...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le GAEC Jeanningros a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 14 février 2020 par lequel le maire d'Ouvans a délivré, au nom de l'Etat, un permis de construire une maison d'habitation individuelle à M. A..., ainsi que l'arrêté pris par ce maire le 12 octobre 2020 délivrant au pétitionnaire un permis de construire modificatif.

Par un jugement no 2000537 du 29 juillet 2021, le tribunal administratif de Besançon a annulé ces deux arrêtés.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2021, la ministre de la transition écologique demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 29 juillet 2021 ;

2°) de rejeter la demande de première instance du GAEC Jeanningros.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- les premiers juges ont estimé à tort que le permis de construire était entaché d'une erreur de droit au motif que le maire s'était fondé sur l'arrêté du 27 décembre 2013 et l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime au lieu du seul arrêté du 7 février 2005 ;

- le tribunal a estimé à tort que le maire aurait dû apprécier le respect de la règle de distance alors qu'en zone de montagne cette distance peut être réduite à 25 mètres ;

- l'arrêté contesté est légal dès lors que la construction en projet est à 80 mètres des installations classées.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 janvier 2022 et le 26 mai 2023, le GAEC Jeanningros, représenté par Me Cholet, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou de gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration au titre du livre V du code de l'environnement ;

- l'arrêté du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration sous les rubriques nos 2101-1, 2101-2, 2101-3, 2102 et 2111 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barteaux,

- et les conclusions de M. Marchal, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 14 février 2020, le maire de la commune d'Ouvans a délivré, au nom de l'Etat, à M. A... un permis de construire une maison d'habitation sur la parcelle cadastrée ZA n° 63. A la demande du GAEC Jeanningros, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a suspendu, par une ordonnance du 10 avril 2020, l'exécution de cet arrêté au motif que la dérogation à la règle de distance impliquée par l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime n'était pas motivée. Par un arrêté du 12 octobre 2020, le maire d'Ouvans a délivré à M. A... un permis de construire modificatif au permis de construire initial afin de régulariser ce vice. Par un jugement du 29 juillet 2021, le tribunal administratif de Besançon a annulé ces deux arrêtés à la demande du GAEC Jeanningros. La ministre de la transition écologique fait appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable aux dates des décisions attaquées : " Lorsque des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l'implantation ou l'extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupés par des tiers, la même exigence d'éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction et à tout changement de destination précités à usage non agricole nécessitant un permis de construire, à l'exception des extensions de constructions existantes. (...) / Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, une distance d'éloignement inférieure peut être autorisée par l'autorité qui délivre le permis de construire, après avis de la chambre d'agriculture, pour tenir compte des spécificités locales. Une telle dérogation n'est pas possible dans les secteurs où des règles spécifiques ont été fixées en application du deuxième alinéa. (...) ".

3. Aux termes de l'article R. 512-52 du code de l'environnement : " Si le déclarant veut obtenir la modification de certaines des prescriptions applicables à l'installation en vertu de l'article L. 512-10 ou, le cas échéant, de l'article L. 512-9, il adresse une demande au préfet, qui statue par arrêté (...) ". Aux termes l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration sous les rubriques nos 2101-1, 2101-2, 2101-3, 2102 et 2111 : " Les installations classées soumises à déclaration sous les rubriques nos 2101-1, 2101-2, 2101-3 (élevages de bovins), (...) sont soumises aux dispositions de l'annexe I (...) ". Aux termes de l'article 2 de ce même arrêté : " Le préfet peut, en application de l'article L. 512-10 du code de l'environnement, adapter aux circonstances locales, installation par installation, les prescriptions du présent arrêté dans les conditions prévues à l'article R. 512-52 du code de l'environnement ". Aux termes de l'article 4 de ce même arrêté : " Le présent arrêté entre en vigueur le 1er janvier 2014 ". Aux termes de l'article 2.1 de l'annexe I de cet arrêté, relatif aux règles d'implantation : " Les bâtiments d'élevage et leurs annexes sont implantés à une distance minimale de : 100 mètres des habitations ou locaux habituellement occupés par des tiers (à l'exception des logements occupés par des personnels de l'installation, des hébergements et locations dont l'exploitant a la jouissance et des logements occupés par les anciens exploitants), (...) ; (...) cette distance peut être réduite à : (...) / b) 25 mètres lorsqu'il s'agit d'une installation située en zone de montagne, définie en application de l'article R. 113-14 du code rural et de la pêche maritime ; (...) ".

4. Pour annuler le permis de construire initial ainsi que le permis de construire modificatif, les premiers juges ont estimé qu'en appréciant le respect de la règle de distance entre le bâtiment d'exploitation du GAEC Jeanningros et le projet de construction en litige au regard des dispositions de l'arrêté du 27 décembre 2013 au lieu de l'arrêté du 7 février 2005 en vigueur à la date de la déclaration d'installation classée présentée par le GAEC Jeanningros en 1993 et renouvelée en 2007, le maire de la commune d'Ouvans avait commis une erreur de droit.

5. Il résulte de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime que les règles de distance imposées, par rapport notamment aux habitations existantes, à l'implantation d'un bâtiment agricole en vertu de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement sont également applicables, par effet de réciprocité, à la délivrance du permis de construire une habitation située à proximité d'un tel bâtiment agricole. Il appartient ainsi à l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d'habitation de vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires fixant de telles règles de distance, quelle qu'en soit la nature, puis, le cas échéant, d'envisager une dérogation par application du 4ème alinéa de cet article si des spécificités locales le justifient.

6. Il ressort des pièces du dossier que le GAEC Jeanningros exerce une activité d'élevage de vaches laitières, soumise à déclaration au titre de la rubrique 2101-2 c de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement. Si cette activité a donné lieu à un récépissé de déclaration au titre de la législation relative aux installations classées en 1993, renouvelé en 2007, la circonstance que cette installation était, lors de ce renouvellement, soumise aux prescriptions de l'arrêté du 7 février 2005 ne s'oppose pas, sauf disposition contraire, à l'application aux constructions à usage non agricole, par l'effet de la règle de réciprocité, de la distance fixée par de nouvelles prescriptions générales, quand bien même, depuis lors, l'exploitant n'aurait pas porté à la connaissance du préfet un changement notable de son exploitation ou procédé à des constructions elles-mêmes soumises à ces nouvelles dispositions. L'arrêté du 7 février 2005 a été abrogé et remplacé par l'arrêté du 27 décembre 2013, lequel était en vigueur à la date du permis de construire accordé à M. A.... Ainsi, en vertu des dispositions de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, les règles d'implantation des bâtiments d'élevage et de leurs annexes par rapport aux habitations ou locaux habituellement occupés par des tiers, prévues par l'article 2.1 de l'annexe I de l'arrêté du 27 décembre 2013, étaient applicables à l'opération de construction projetée par M. A.... Le maire d'Ouvans n'a, dès lors, pas commis d'erreur de droit en appréciant la demande de permis de construire de M. A... au regard de ces dispositions. La ministre de la transition écologique est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que, le tribunal administratif a annulé pour erreur de droit le permis de construire modificatif et le permis de construire initial.

7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le GAEC Jeanningros.

8. Aux termes de l'article L. 512-10 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " Pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, le ministre chargé des installations classées peut fixer par arrêté, après consultation des ministres intéressés et du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, les prescriptions générales applicables à certaines catégories d'installations soumises à déclaration. / Ces arrêtés s'imposent de plein droit aux installations nouvelles. / Ils précisent, après avis des organisations professionnelles intéressées, les délais et les conditions dans lesquels ils s'appliquent aux installations existantes. Ils précisent également les conditions dans lesquelles ces prescriptions peuvent être adaptées par arrêté préfectoral aux circonstances locales ". Aux termes de l'article R. 512-52 du même code : " Si le déclarant veut obtenir la modification de certaines des prescriptions applicables à l'installation, il adresse une demande au préfet, qui statue par arrêté ".

9. Il est constant que le terrain d'assiette du projet de construction de M. A... se situe à moins de 100 mètres des bâtiments d'élevage du GAEC Jeanningros. Si l'article 2.1 de l'annexe I à cet arrêté mentionne que la distance de 100 mètres peut être réduite à 25 mètres en zone de montagne, cette distance, contrairement à ce que soutient l'administration, ne peut être prise en compte par l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire qu'à la condition que le préfet ait, conformément aux articles L. 152-10 et R. 512-52 du code de l'environnement précités auxquels renvoie l'article 2 de l'arrêté du 27 décembre 2013, réduit, à la demande de l'exploitant, la distance à 25 mètres. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Doubs aurait accordé une telle adaptation au GAEC Jeanningros. Le respect de la distance d'éloignement du projet de construction par rapport aux bâtiments d'élevage du GAEC Jeanningros devait donc être apprécié par le maire d'Ouvans au regard de la distance de 100 mètres, à laquelle il pouvait quant à lui déroger dans le seul cadre prévu par l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime.

10. Il ressort des motifs même de l'arrêté portant permis de construire modificatif que le maire d'Ouvans, après avoir rappelé la distance de 100 mètres entre les bâtiments d'élevage et les habitations des tiers prévue par l'arrêté du 27 décembre 2013 et la possibilité de la réduire à 25 mètres en zone de montagne en application du même arrêté, ainsi que la règle de réciprocité énoncée par l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, a mentionné qu'il ressortait de ces dispositions " qu'en territoire de montagne, l'autorité compétente en matière de permis de construire peut autoriser une distance d'éloignement inférieure à 100 mètres dans la limite de 25 mètres " et a ensuite explicité, en se référant à l'avis favorable de la chambre d'agriculture, les raisons justifiant une réduction de la distance entre le projet de construction en litige et les bâtiments d'élevage du GAEC Jeanningros. Il résulte d'une telle motivation que le maire a entendu autoriser la construction en litige sur le fondement du point 2.1 de l'annexe I à l'arrêté du 27 décembre 2013 et non dans le cadre de la dérogation prévue au 4e alinéa de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime. Ce faisant, le maire d'Ouvans a entaché d'une erreur de droit la délivrance d'un permis de construire modificatif à M. A....

11. En outre, en admettant même que le maire d'Ouvans ait entendu également accorder la dérogation à la règle de distance sur le fondement du 4e alinéa de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime, la circonstance, au demeurant non établie, que le terrain d'assiette du projet du pétitionnaire serait la seule solution de logement envisageable ne constitue pas une spécificité locale de nature à justifier une dérogation à la règle de distance de 100 mètres. Si l'arrêté attaqué du 12 octobre 2020 mentionne que le logement devait nécessairement se situer à proximité immédiate du cheptel exploité par le pétitionnaire, que le projet de construction litigieux demeurerait sans incidence sur l'exploitation agricole du GAEC Jeanningros, ces circonstances ne sont pas davantage des spécificités locales justifiant une dérogation. Enfin, la circonstance également retenue par cet arrêté que les deux exploitations agricoles sont légalement implantées à proximité l'une de l'autre ne suffit pas à justifier une dérogation. Il s'ensuit que, pour ce second motif, le permis de construire modificatif, ainsi que le permis de construire initial délivré pour un projet situé à moins de 100 mètres des bâtiments d'exploitation du GAEC Jeanningros, sont illégaux.

12. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation du permis de construire initial et du permis de construire modificatif.

13. Il résulte de tout ce qui précède, dès lors que le vice relevé n'est pas régularisable sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme en l'absence de spécificités locales, que la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé l'arrêté du 14 février 2020 par lequel le maire d'Ouvans a délivré, au nom de l'Etat, un permis de construire une maison d'habitation individuelle à M. A... ainsi que l'arrêté du 12 octobre 2020 délivrant un permis de construire modificatif de ce permis de construire initial.

Sur les frais de l'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros au titre des frais exposés par le GAEC Jeanningros et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la ministre de la transition écologique est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera au GAEC Jeanningros la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au GAEC Jeanningros et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente assesseure,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : S. BARTEAUXLe président,

Signé : Ch. WURTZLe greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 21NC03036 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC03036
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : CHOLET

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;21nc03036 ?
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