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20/06/2024 | FRANCE | N°23NC02660

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 20 juin 2024, 23NC02660


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 15 juillet 2023 par lequel le préfet de l'Yonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de trois ans.



Par un jugement no 2302134 du 20 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.>


Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés respecti...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 15 juillet 2023 par lequel le préfet de l'Yonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de trois ans.

Par un jugement no 2302134 du 20 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 8 août, 26 octobre, et 16 novembre 2023 ainsi que les 8 janvier et 5 février 2024, M. B..., représenté par Me Gravier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

- il appartenait au tribunal de diligenter une mesure d'instruction pour obtenir communication de son titre de séjour expiré en 2021, des éléments relatifs à la procédure de regroupement familial dont il a bénéficié, de sa demande de renouvellement de titre de séjour ;

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est entachée de défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard des dispositions des 2°, 3° et 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreurs de fait quant à l'absence de démarche pour obtenir le renouvellement de sa carte de résident, quant à l'absence de profession, et quant à l'absence de démonstration qu'il serait dépourvu de tout lien avec son pays d'origine ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, méconnaît son droit à la santé tel que garanti par le préambule de la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé et par l'article 12 du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels de 1976, et porte atteinte à son droit à être traité dignement et à ne pas subir de traitements dégradants tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par le préambule de la Constitution de 1946, et par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité du refus de lui accorder un délai de départ volontaire :

- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation quant à la menace à l'ordre public que son comportement constituerait ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation du risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement dont il a fait l'objet ;

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est entachée de défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît son droit à la santé tel que garanti par le préambule de la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé et par l'article 12 du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels de 1976, et porte atteinte à son droit à être traité dignement et à ne pas subir de traitements dégradants tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par le préambule de la Constitution de 1946, et par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation ;

- il justifie de circonstances humanitaires faisant obstacle à ce qu'une interdiction de retour soit prise à son encontre ;

- la décision en litige méconnaît son droit à la santé tel que garanti par le préambule de la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé et par l'article 12 du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels de 1976, et porte atteinte à son droit à être traité dignement et à ne pas subir de traitements dégradants tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par le préambule de la Constitution de 1946, et par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2024, le préfet de l'Yonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 16 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier, première conseillère,

- les observations de Me Gravier, avocate de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant marocain né en 1983, est entré sur le territoire français en 1994 selon ses déclarations. Il a bénéficié d'une carte de résident valable jusqu'en 2021. Sous mandat de dépôt à partir du 8 octobre 2020, il a été condamné par un jugement du tribunal judiciaire de Sens du 1er décembre 2020 à une peine de cinq ans d'emprisonnement délictuel assortie d'un sursis d'un an, pour des faits d'agression sexuelle incestueuse sur un mineur de 15 ans commis du 1er janvier 2019 au 16 septembre 2020 et pour des faits de violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne étant conjoint commis du 1er janvier 2016 au 16 septembre 2020. Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 avril 2021. A sa levée d'écrou le 15 juillet 2023, M. B... s'est vu notifier un arrêté du même jour par lequel le préfet de l'Yonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée de trois ans. Il a alors été placé en rétention administrative. M. B... relève appel du jugement du 20 juillet 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 15 juillet 2023.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision en litige : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) ".

3. M. B..., qui est né le 23 mai 1983, soutient être entré sur le territoire français au cours de l'année 2014, à l'âge de 11 ans, dans le cadre du regroupement familial et n'avoir pas cessé d'y résider depuis. Il ressort des pièces qu'il produit pour la première fois à hauteur d'appel que la présence du requérant en France est établie pour la première fois en septembre 1995, alors qu'il a 12 ans et trois mois, ainsi qu'il ressort d'une attestation de scolarisation à l'école élémentaire de Saint-Valérien dans l'Yonne de septembre 1995 à juin 1996. Son carnet de santé confirme qu'il a subi un examen, dans le cadre scolaire, le 12 janvier 1996, alors qu'il n'a pas encore 13 ans. Il ressort ensuite d'autres pièces du dossier, qui ne sont pas non plus contestées par le préfet de l'Yonne en défense, qu'il a poursuivi sa scolarité dans deux collèges de l'Yonne des années scolaires 1996/1997 à 1999/2000, a préparé un CAP " cuisine " en apprentissage du 15 juillet 2000 au 14 juillet 2002 auprès d'un hôtelier qui l'a conservé à son service jusqu'en 2003, et qu'il justifie ensuite de ses périodes de travail et de chômage jusqu'en 2020, par la production de son relevé de carrière établi par le service de l'assurance retraite. Il est enfin constant que l'intéressé a été incarcéré du 8 octobre 2020 au 15 juillet 2023, période qui n'est pas de nature à remettre en cause la continuité de sa résidence habituelle en France. Il ressort de ce qui précède que M. B... établit le caractère habituel de sa résidence en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans. Par suite, il est fondé à se prévaloir de la protection contre l'éloignement prévue par les dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre est entachée d'erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, des décisions lui refusant un délai de départ volontaire et fixant le pays de destination.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 juillet 2023.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

7. Le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Yonne réexamine la situation de M. B... et lui délivre, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu de lui prescrire que l'intéressé soit autorisé à exercer une activité professionnelle dans l'attente de ce réexamen, auquel il sera procédé dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

8. M. B... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gravier, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me Gravier de la somme de 1 500 euros au titre des frais que M. B... aurait exposés dans la présente instance s'il n'avait pas été admis à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy du 20 juillet 2023 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Yonne du 15 juillet 2023 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne de réexaminer la situation de M. B... dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt et de lui remettre, dans l'attente et sans délai, une autorisation provisoire de séjour lui permettant d'exercer une activité professionnelle.

Article 4 : L'Etat versera à Me Gravier la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Gravier et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Martinez, président,

- M. Agnel, président-assesseur,

- Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

La rapporteure,

Signé : H. BrodierLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 23NC02660


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02660
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : GRAVIER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;23nc02660 ?
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