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20/06/2024 | FRANCE | N°23NC02096

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 20 juin 2024, 23NC02096


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... E..., née F..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2022 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2207879 du 23 mars 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devan

t la cour :



Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023, Mme E..., représentée par Me Boukara, demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E..., née F..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 25 octobre 2022 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2207879 du 23 mars 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023, Mme E..., représentée par Me Boukara, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", subsidiairement de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui remettre sans délai un récépissé de demande de titre de séjour avec autorisation de travail ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 400 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur la légalité du refus de séjour :

- la décision en litige est entachée d'incompétence de son signataire ;

- elle est entachée d'erreur de fait et méconnaît l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'article L. 233-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision en litige est entachée d'incompétence de son signataire ;

- elle est entachée d'insuffisance de motivation au regard de l'article 12 de la directive 2008/115/CE ;

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

- la décision en litige est illégale compte tenu de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2023, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens développés par Mme E... ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

-la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Brodier, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante marocaine née en 1998, a déclaré être entrée dans le courant de l'année 2019 en France où elle a épousé un ressortissant français le 29 octobre 2021. Le 6 mai 2022, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de conjoint d'un ressortissant français. Par un arrêté du 25 octobre 2022, le préfet du Haut-Rhin a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme E... relève appel du jugement du 23 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le moyen commun aux décisions en litige :

2. Par un arrêté du 12 janvier 2022, le préfet du Haut-Rhin a donné délégation à M. A... B..., chef du service de l'immigration et de l'intégration, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. G... D..., directeur de la réglementation, les décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi d'un étranger en situation irrégulière. Il n'est pas contesté que M. D... était absent ou empêché le 25 octobre 2022. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige serait entaché de vice d'incompétence de son signataire doit être écarté comme manquant en fait.

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

3. En premier lieu, l'article 9 de l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi stipule que : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord ". Aux termes de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants marocains : " L'étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

4. Il ressort du passeport de Mme E... qu'elle est entrée dans l'espace Schengen le 21 avril 2019 sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités tchèques valable 31 jours entre le 17 avril et le 3 juin 2019. Si la requérante soutient être entrée en France quelques jours seulement après son arrivée sur le territoire tchèque, pendant la période de validité de son visa, elle ne produit aucun élément permettant d'en attester. Il ressort au demeurant de sa demande de titre de séjour que la date d'entrée en France, sur laquelle le préfet du Haut-Rhin s'est fondé pour adopter la décision en litige, est le 20 juin 2019, date qui n'est contredite par aucune autre pièce du dossier. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le refus de titre de séjour est entaché d'une erreur de fait, ni que cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. A supposer que Mme E... soit entrée en France en juin 2019, elle résidait sur le territoire français depuis trois ans et quatre mois à la date de la décision en litige. Elle a épousé un ressortissant français le 29 octobre 2021 et justifie d'une communauté de vie avec lui à compter du 18 août 2020, date de la prise à bail de l'appartement dans lequel ils vivent à Colmar et des déclarations corrélatives faites auprès de la CAF, soit une durée de deux ans à la date du refus de titre de séjour. Si son époux présente une lombo-sciatalgie nécessitant des infiltrations articulaires, il ne ressort pas des certificats médicaux produits que la présence de l'intéressée serait indispensable à ses côtés. La requérante se prévaut par ailleurs de la présence de sa sœur en France, laquelle réside dans le Lot-et-Garonne, sans toutefois établir l'intensité de leurs liens ainsi que des liens qu'elle aurait noués avec la famille de son époux. Elle ne produit en revanche aucun élément relatif à un début d'intégration sociale ou professionnelle en France. Dans ces conditions, en dépit des deux années de vie commune avec son mari à la date du refus de titre de séjour, Mme E... ne peut être regardée comme ayant définitivement ancré en France l'essentiel de sa vie privée et familiale. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En troisième lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés au point précédent, et alors qu'elle a la faculté de se rendre au Maroc pour y solliciter la délivrance d'un visa, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le refus de titre de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

8. En dernier lieu, Mme E... soutient que son époux subit une discrimination à rebours, contraire aux stipulations de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, se trouvant défavorisé par rapport aux autres ressortissants de l'Union européenne dont les épouses, ressortissantes de pays tiers, peuvent se prévaloir d'un droit au séjour en France sur le fondement des dispositions de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, et d'une part, les dispositions de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui transposent la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ne s'appliquent qu'aux membres de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne qui séjourne dans un autre Etat membre que celui dont il a la nationalité, ce qui n'est pas le cas de M. E..., ressortissant français demeurant en France. D'autre part, si dans l'arrêt du 9 mars 2011, Zambrano, aff. C-34/09, la Cour de justice de l'Union européenne a admis un droit au séjour à un ressortissant d'un Etat tiers membre de la famille d'un mineur, citoyen de l'Union européenne, qui ne s'était pas déplacé dans un Etat membre autre que celui dont il avait la nationalité, c'est afin de ne pas priver ce dernier de la jouissance des droits attachés à sa qualité de citoyen de l'Union européenne que lui confère l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment celui de séjourner dans l'Etat dont il a la nationalité. En l'espèce, le refus d'autoriser Mme E... à séjourner en France n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits dont jouit son mari en sa qualité de citoyen de l'Union européenne. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article L. 233-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) ; 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; (...) ". Aux termes de l'article L. 613-1 du même code : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée (...) / Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. (...) ".

11. D'une part, les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ont remplacé les dispositions du I de l'article L. 511-1, sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, dont la requérante se borne à soutenir qu'elles ont été insuffisamment transposées. Elle ne saurait ainsi utilement invoquer directement les dispositions de l'article 12 de la directive 2008/115/CE. à l'encontre de la mesure d'éloignement en litige. D'autre part, et en tout état de cause, il ressort de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire qu'elle vise les dispositions du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précise qu'elle est motivée par le refus de titre de séjour, par l'absence d'atteinte à sa vie privée et familiale et par l'absence de droit à rester en France à un autre titre que celui de conjoint de Français. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige serait entachée d'insuffisance de motivation.

12. En troisième lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés au point 6 du présent arrêt, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une éventuelle séparation avec son mari le temps d'obtenir un visa pour revenir légalement en France emporterait des conséquences manifestement excessives eu égard à sa situation, Mme E..., qui n'est au demeurant pas isolée dans son pays d'origine, n'est pas fondée à soutenir que la mesure d'éloignement méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle doit également être écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

13. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 octobre 2022. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... née F..., à Me Boukara et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 23NC02096


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02096
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : BOUKARA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;23nc02096 ?
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