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18/06/2024 | FRANCE | N°23NC02489

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 18 juin 2024, 23NC02489


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler, d'une part, l'arrêté du 27 juin 2023 par lequel la préfète des Vosges l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et, d'autre part, celui du 27 juin 2023 par lequel la préfète des Vosges l'a assigné à résidence.





Par un jugement n° 2301965 du 11 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler, d'une part, l'arrêté du 27 juin 2023 par lequel la préfète des Vosges l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et, d'autre part, celui du 27 juin 2023 par lequel la préfète des Vosges l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2301965 du 11 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé ces deux arrêtés préfectoraux du 27 juin 2023, a enjoint à la préfète des Vosges de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et de lui délivrer immédiatement une autorisation provisoire de séjour et enfin, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 28 juillet 2023 et le 10 octobre 2023, la préfète des Vosges demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 11 juillet 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de retirer le bénéfice de l'aide juridictionnelle accordé à M. B... à l'issue de l'arrêt d'appel.

Elle soutient que :

- il y a lieu à statuer sur sa requête d'appel contrairement aux allégations de M. B... : la seule circonstance qu'un récépissé lui ait été délivré postérieurement à l'obligation de quitter le territoire français est sans incidence sur son recours ;

- le premier juge a commis des erreurs de droit, des erreurs dans la qualification juridique des faits et des erreurs manifestes d'appréciation :

. M. B... n'est pas entré régulièrement en France en 2006 et ne justifie pas y être demeuré depuis cette date, contrairement à ce qui est mentionné dans le jugement litigieux ;

. le comportement de M. B..., qui s'est fait passer pour un ressortissant européen par l'usage de faux documents belges, notamment pour pouvoir travailler sans autorisation, est constitutif d'un trouble à l'ordre public ;

. M. B... n'établit pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant ;

- c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté pris à l'encontre de M. B... au motif d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3-1 et 9-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- les moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés le 22 septembre 2023, le 9 octobre 2023 et le 7 mai 2024, M. B..., représenté par Me Géhin, conclut dans ses dernières écritures :

- à titre principal, au non-lieu à statuer ;

- subsidiairement, au rejet de la requête ;

- à ce qu'une somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

à titre principal :

- il y a non-lieu à statuer dans le cadre de l'instance d'appel engagée par la préfecture des Vosges : il lui a été remis, le 29 septembre 2023 par la préfecture des Vosges, un récépissé l'autorisant à travailler de sorte que la décision portant obligation de quitter le territoire français a été implicitement abrogée ;

A titre subsidiaire :

en ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnait son droit à être entendu tel que protégé par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; il n'est pas justifié en l'état que le requérant a été entendu par les forces de l'ordre en phase administrative de la mesure de vérification du droit au séjour ;

- elle est entachée d'une erreur de droit : le 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui constitue la base légale de l'obligation de quitter le territoire français litigieuse, n'est pas applicable à sa situation ; il est entré régulièrement en France avec un visa Schengen et il a initié des démarches en vue d'obtenir un titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'erreur de fait au regard du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'erreur de fait au regard de ses attaches familiales ; son enfant est français et son ex-compagne est en situation régulière ;

- il justifie de l'entretien de son enfant ;

- sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen sérieux et complet ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces stipulations ; il justifie d'une présence continue en France depuis 2006, il est intégré professionnellement et son fils unique né en 2009 en France, a engagé des démarches pour obtenir la nationalité française ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 9-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; l'exécution de la mesure d'éloignement aurait pour conséquence de séparer son enfant de son père ;

- elle est entachée d'une inexacte application des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il participe à l'entretien et à l'éducation de son enfant français mineur résidant en France ;

en ce qui concerne la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

- elle devra être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'une erreur de fait car il dispose de garanties de représentation avec une adresse certaine ;

- elle est disproportionnée car il vit en France depuis 17 ans ;

en ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles des articles 3-1 et 9-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

en ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la compétence de l'auteur de l'acte n'est pas établie ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation en droit et en fait ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- des circonstances humanitaires s'opposent au prononcé d'une telle décision ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- son droit d'être entendu a été méconnu ;

en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

- elle doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation en droit et en fait ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 561-2-1 et R. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il a été privé d'une garantie en n'étant pas mis en possession du formulaire dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de l'immigration.

M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né le 13 juillet 1974, est entré en France en 2006. Le 27 juin 2023, il a été placé en garde à vue par les services de la police aux frontières. Par deux arrêtés du 27 juin 2023, la préfète des Vosges a obligé M. B... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et l'a assigné à résidence. La préfète des Vosges relève appel du jugement du 11 juillet 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy qui a annulé ses deux arrêtés préfectoraux du 27 juin 2023.

Sur l'exception de non-lieu :

2. En l'espèce, par le jugement contesté du 11 juillet 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy s'est borné à enjoindre à la préfète des Vosges de délivrer à M. B... une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation. Une telle autorisation lui a été délivrée le 13 juillet 2023. Il ressort des pièces produites par M. B... le 7 mai 2024, que la préfète des Vosges, après étude de son dossier, lui a ultérieurement délivré le 21 février 2024, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, la requête de la préfète des Vosges dirigée contre le jugement attaqué en ce qu'il a annulé l'obligation de quitter le territoire et l'assignation à résidence et lui a enjoint de délivrer une autorisation provisoire de séjour est devenue sans objet. Il n'y pas lieu d'y statuer.

Sur le retrait de l'aide juridictionnelle

3. Aux termes de l'article 50 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle : " Sans préjudice des sanctions prévues à l'article 441-7 du code pénal, le bénéfice de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention d'un avocat est retiré, en tout ou partie, même après l'instance ou l'accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé, dans les cas suivants : (...) 4° Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention d'un avocat a été jugée dilatoire, abusive ou manifestement irrecevable (...) ". L'article 51 de la même loi dispose que : " Le retrait de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention d'un avocat peut intervenir jusqu'à quatre ans après la fin de l'instance ou de la mesure. Il peut être demandé par tout intéressé. Il peut également intervenir d'office. Le retrait est prononcé (...) 2° Par la juridiction saisie dans le cas mentionné au 4° du même article 50 ".

4. Il résulte des dispositions précitées que la décision de retrait de l'aide juridictionnelle prononcée par le juge présente un caractère accessoire par rapport aux conclusions principales de la requête dès lors, en particulier, que le retrait de l'aide juridictionnelle ne peut qu'être la conséquence de l'appréciation portée, le cas échéant d'office, par le juge sur le caractère dilatoire, abusif ou manifestement irrecevable de la requête. En l'espèce, le requérant a la qualité d'intimé dans la présente instance. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de retirer l'aide juridictionnelle accordée par une décision du 26 septembre 2023 à M. B... afin de se défendre dans le cadre de la procédure d'appel initiée par la préfète des Vosges. Les conclusions du préfet tendant à ce retrait doivent donc être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

5. M. B... ayant été admis à l'aide juridictionnelle totale, il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à verser une somme de 1 000 euros à Me Géhin sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions d'annulation du jugement du 11 juillet 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la préfète des Vosges est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à Me Géhin sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... et à Me Géhin.

Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète des Vosges.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 23NC02489


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02489
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : GEHIN - GERARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;23nc02489 ?
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