La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2024 | FRANCE | N°22NC02881

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 18 juin 2024, 22NC02881


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 3 mai 2021 par laquelle le préfet des Vosges a refusé d'enregistrer sa demande de titre de séjour.





Par un jugement n° 2101961 du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 novembre 2022 et 3 janvier 2023, M.

B..., représenté par Me Géhin, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 octo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 3 mai 2021 par laquelle le préfet des Vosges a refusé d'enregistrer sa demande de titre de séjour.

Par un jugement n° 2101961 du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 novembre 2022 et 3 janvier 2023, M. B..., représenté par Me Géhin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 octobre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 3 mai 2021 du préfet des Vosges refusant d'enregistrer sa demande de titre de séjour ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Vosges de réexaminer sa demande de titre de séjour dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre de la procédure de première instance ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre de la procédure d'appel.

Il soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation et ont dénaturé les pièces du dossier :

. la substitution de motif mise en œuvre est injustifiée au regard des éléments du dossier ;

. pour considérer abusive et dilatoire la demande dont l'enregistrement a été refusé, les premiers juges se sont fondés sur des éléments extrinsèques à la demande, sans analyser le contenu de cette nouvelle demande qui intégrait des éléments nouveaux qui n'avaient jamais été portés à la connaissance de la préfecture ;

- la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit : c'est à tort que le préfet a refusé d'enregistrer sa demande alors qu'il justifiait remplir les conditions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; sa demande intégrait les éléments d'identité et relatifs au séjour, les documents relatifs au logement et au travail, les éléments relatifs à son intégration qui étaient pour la plupart nouveaux et caractéristiques d'une demande sérieuse ;

- le préfet n'établit pas le caractère abusif de sa demande de titre de séjour ; sa demande de titre de séjour, qui comporte de nombreux éléments nouveaux, a été présentée presque deux ans après une précédente décision portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;

- le refus d'enregistrement de sa demande de titre de séjour constitue un refus de titre de séjour et révèle que l'administration n'a pas procédé à un examen au fond de sa demande de titre de séjour ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 décembre 2022, la préfète des Vosges conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- l'ensemble des moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés ;

- le requérant, qui a entretenu un flou constant sur sa nationalité et sur son identité, a multiplié les démarches afin de se maintenir en France et sa nouvelle demande de titre de séjour présente un caractère abusif et dilatoire ;

- en tout état de cause, en raison des incertitudes sur sa nationalité, le requérant ne peut soutenir remplir les conditions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'il aurait fourni à l'appui de sa demande de titre de séjour des documents justifiant de son état civil et de sa nationalité ;

- des doutes sérieux existent sur sa prétendue communauté de vie avec une ressortissante française depuis 2017 car en 2020, au cours d'un contentieux devant le tribunal administratif, il a précisé être en couple avec une ressortissante étrangère dont la demande d'asile était en cours ;

- c'est par une exacte application de l'article R. 431-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'un refus d'enregistrement de sa demande de titre de séjour lui a été opposé ;

- les termes de la décision du 3 mai 2021 démontrent que la situation du requérant a fait l'objet d'un examen particulier ; une décision identique aurait été prise s'il avait été statué au fond sur la demande de titre de séjour du requérant.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 1er mai 1983, se déclarant de nationalité arménienne arrivé en France le 20 janvier 2015, est également connu de l'administration sous l'identité de M. C..., de nationalité azerbaïdjanaise. Il a sollicité l'asile le 10 mars 2015, et sa demande a été rejetée le 10 novembre 2015 par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), dont la décision a été confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 28 juillet 2016. M. B... a formulé plusieurs demandes de titres de séjour entre 2016 et 2020, lesquelles ont toutes été rejetées. Le 12 mars 2019, il a de nouveau sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 22 août 2019, le préfet a rejeté cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un courrier du 24 janvier 2020, il a formulé une nouvelle demande de titre de séjour, rejetée par une décision du préfet du 19 mai 2020. Par une décision du 20 août 2020, il a fait l'objet d'une assignation à résidence. Enfin, par un courrier du 8 décembre 2020, M. B... a sollicité de nouveau la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions alors applicables des articles L. 313-10, L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans leur version alors en vigueur. Par une décision du 3 mai 2021, le préfet des Vosges a refusé d'enregistrer la demande de titre de séjour du requérant. M. B... relève appel du jugement du 20 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 3 mai 2021.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

3. Le requérant ne peut donc utilement, au titre de la régularité, se prévaloir d'une erreur de droit ou d'une " dénaturation des pièces du dossier " qu'aurait commise le tribunal, ni de ce que la substitution de motif sollicité par le préfet était injustifiée au regard des éléments du dossier, qui relève du bien-fondé du jugement attaqué.

Sur la légalité de la décision du 3 mai 2021 :

4. En premier lieu, aux termes aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; / 3° Les documents justifiants de l'état civil et de la nationalité de son conjoint, de ses enfants et de ses parents lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour pour motif familial. La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. (...) ". Aux termes de l'article R. 431-11 du même code : " L'étranger qui sollicite la délivrance d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande les pièces justificatives dont la liste est fixée par arrêté annexé au présent code ". Aux termes de l'article R. 432-1 du même code : " L'étranger admis à souscrire une demande de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour se voit remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le territoire pour la durée qu'il précise. / (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'en dehors du cas d'une demande à caractère abusif ou dilatoire, l'autorité administrative chargée d'instruire une demande de titre de séjour ne peut refuser de l'enregistrer, et de délivrer le récépissé y afférent, que si le dossier présenté à l'appui de cette demande est incomplet. Le caractère abusif ou dilatoire de la demande doit s'apprécier compte tenu des éléments circonstanciés. Dès lors que le préfet dispose toujours de la faculté de faire usage de son pouvoir discrétionnaire en vue de régulariser la situation d'un ressortissant étranger et de prononcer l'abrogation d'une interdiction de retour, le simple fait que l'étranger a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français exécutoire ou que l'interdiction de retour prononcée à son encontre produisait encore ses effets ne suffit pas à caractériser le caractère abusif ou dilatoire d'une demande de titre de séjour.

6. Par ailleurs, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée, est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existante à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. En l'espèce, la décision du 3 mai 2021 portant refus d'enregistrer la demande de titre de séjour du requérant est motivée par la circonstance que M. B... était sous le coup d'une interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre par la décision du 22 août 2019. Ainsi que l'a fait valoir M. B... dès la première instance, un tel motif n'est pas au nombre de ceux pouvant légalement fonder un refus d'enregistrement à sa nouvelle demande de titre de séjour, ce dernier ayant toujours la faculté d'abroger de sa propre initiative l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre du requérant.

8. Toutefois, dans son mémoire en défense produit devant le tribunal, qui a été soumis au contradictoire, le préfet des Vosges doit être regardé comme ayant sollicité que le motif de refus d'enregistrer la demande de titre de séjour tiré du caractère abusif de celle-ci soit substitué à celui mentionné dans la décision litigieuse. Le préfet fait notamment valoir qu'eu égard au nombre important de demandes de titre de séjour formulées par le requérant entre 2015 et 2020, celles-ci attestent de l'intention de celui-ci de vouloir se maintenir sur le territoire français en dépit des décisions de refus de séjour et des mesures d'éloignement prises à son encontre.

9. Il résulte de l'instruction que M. B... a formé six demandes de titre de séjour depuis son arrivée sur le territoire français en 2015, sous deux identités différentes, lesquelles ont toutes été rejetées par le préfet des Vosges, dont la dernière la même année que celle ayant donné lieu à la décision attaquée puisqu'elle a été formulée par M. B... le 28 janvier 2020 et rejetée par le préfet des Vosges le 19 mai 2020. Par ailleurs, et quand bien même par courrier du 8 décembre 2020, le requérant a sollicité pour la première fois un titre de séjour en se prévalant de sa vie privée et familiale, le préfet des Vosges a toujours, à l'occasion des précédentes demandes de titre de séjour formulées sur d'autres fondements par M. B..., apprécié ses attaches familiales en France, avant de lui opposer un refus. Alors que sa précédente demande de titre de séjour formulée le 28 janvier 2020 avait été rejetée faute d'éléments nouveaux, sept mois avant la décision litigieuse, le requérant a fait valoir en décembre 2020 l'existence d'une relation durable avec une ressortissante française depuis quatre ans et l'enregistrement d'un pacte civil de solidarité (PACS) avec celle-ci le 24 septembre 2020. Or, le seul enregistrement d'un PACS avec une ressortissante française avec laquelle il soutient être en couple depuis 4 ans mais dont il n'a jamais fait état dans ses demandes précédentes y compris celle faite en janvier 2020, soit quelques mois avant sa nouvelle demande qui a donné lieu à la décision litigieuse, ne peut être regardé, dans les circonstances particulières de l'espèce, comme une circonstance nouvelle faisant obstacle à la qualification de demande de titre de séjour dilatoire.

10. Dans ces conditions, le préfet des Vosges est fondé à faire valoir que la demande de titre de séjour présentée par le requérant le 11 décembre 2020 présentait un caractère abusif et pouvait, pour ce motif, fonder le refus de l'enregistrer. Le préfet aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur ce nouveau motif de fait et le requérant n'a été privé d'aucune garantie par cette substitution de motif. Dans ces conditions, la demande de substitution de motif présentée par le préfet doit être accueillie et les moyens tirés de ce que le préfet des Vosges a entaché sa décision d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.

11. En second lieu, en l'absence de toute décision portant refus de titre de séjour prise par le préfet des Vosges à l'issue du dépôt de sa demande, le requérant ne peut utilement se prévaloir à l'encontre de la décision refusant d'enregistrer sa demande d'admission au séjour ni de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni du défaut d'examen de sa situation personnelle et familiale.

12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et de mise à la charge de l'Etat des frais liés au litige doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Géhin.

Copie en sera adressée à la préfète des Vosges.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 22NC02881


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02881
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : GEHIN - GERARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;22nc02881 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award