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18/06/2024 | FRANCE | N°21NC01797

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 18 juin 2024, 21NC01797


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la commune de Senoncourt-lès-Maujouy à lui verser la somme de 23 282,87 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la démolition d'un immeuble lui appartenant.





Par un jugement n° 1901351 du 1er juin 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une r

equête et un mémoire enregistré les 21 juin 2021 et 3 septembre 2021, Mme A..., représentée par la SCP Demange et Associés, demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la commune de Senoncourt-lès-Maujouy à lui verser la somme de 23 282,87 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la démolition d'un immeuble lui appartenant.

Par un jugement n° 1901351 du 1er juin 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistré les 21 juin 2021 et 3 septembre 2021, Mme A..., représentée par la SCP Demange et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1901351 du 1er juin 2021 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de condamner la commune de Senoncourt-lès-Maujouy à lui verser la somme de 23 282,87 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la démolition d'un immeuble lui appartenant ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Senoncourt-lès-Maujouy le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune de Senoncourt-lès-Maujouy a commis deux illégalités fautives :

. en l'absence de saisine du juge judiciaire statuant en la forme des référés et d'autorisation de ce dernier, conformément au V de l'article L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation, le maire de la commune de Senoncourt-lès-Maujouy ne pouvait ordonner la démolition de l'immeuble lui appartenant ;

. il a procédé à la démolition de l'immeuble illégalement dès lors que les arrêtés de péril des 24 décembre 2015 et 3 mars 2016 ont été annulés par la cour administrative d'appel de Nancy ; ces arrêtés ayant été annulés, le rapport d'expertise mandaté dans le cadre de la procédure de péril ne peut pas servir d'élément de preuve ;

- en faisant procéder à la démolition illégale de l'immeuble, la commune de Senoncourt-lès-Maujouy a engagé sa responsabilité pour faute ; il existe bien un lien entre ces fautes et le préjudice subi du fait de la destruction de son immeuble ;

- son préjudice né du coût de la reconstruction de son immeuble s'élève à un montant de 23 282,87 euros : aucune déduction de coefficient de vétusté ne pourra être appliquée car la responsabilité est gouvernée par le principe de la réparation intégrale.

Par des mémoires en défense enregistrés les 17 juillet 2021 et 14 septembre 2021, la commune de Senoncourt-lès-Maujouy, représentée par Me Kroell, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que la demande de Mme A... soit ramenée à une somme symbolique ;

3°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'immeuble de Mme A... présentant un danger immédiat, elle n'a pas commis de faute en ordonnant sa démolition ; seule la requérante est responsable de l'état de son immeuble et du sort qu'il a subi ;

- le rapport de l'expert judiciaire ne saurait être contesté ;

- il n'y a pas de préjudice indemnisable, faute de lien de causalité ; le préjudice invoqué a pour cause l'état de délabrement du bien et non pas le non-respect de la procédure par la commune ;

- en tout état de cause, il y a lieu de prendre en compte la vétusté de l'immeuble pour calculer son préjudice :

. cette façade n'avait aucune valeur ;

. cette parcelle de la requérante sert de stockage et de démontage de moteurs.

Les parties ont été informées, le 21 mai 2024, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public tiré de ce que la juridiction administrative est incompétente pour connaître des conséquences dommageables d'une voie de fait.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

- et les observations de Me Conrad, substituant Me Kroell représentant la commune de Senoncourt-lès-Maujouy.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... était propriétaire d'un immeuble à Senoncourt-lès-Maujouy. Par une ordonnance du 28 septembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a désigné, à la demande de la commune de Senoncourt-lès-Maujouy, un expert afin que celui-ci se prononce sur le caractère imminent du péril que présente ce bâtiment du fait de son état de dégradation. Dans son rapport du 14 octobre 2015, l'expert a constaté le caractère imminent du péril et a décrit les mesures provisoires nécessaires pour sécuriser le site avant son éventuelle démolition. Par un arrêté du 5 novembre 2015, le maire de Senoncourt-lès-Maujouy a, dans le cadre d'une procédure de péril imminent, enjoint à Mme A... de prendre, dans les huit jours, les mesures provisoires de protection d'accès qu'il a précisées, pour garantir la sécurité publique. Par un courrier du même jour, il l'a également informée de ce que les désordres constatés affectant sa propriété justifiaient la mise en œuvre d'une procédure de péril ordinaire et lui a demandé de lui indiquer, dans un délai de deux mois, les mesures qu'elle comptait prendre pour prévenir tout danger à défaut de quoi un arrêté de péril serait pris. Par un arrêté du 24 décembre 2015, le maire de cette commune a déclaré que l'immeuble présentait un péril ordinaire et a enjoint à Mme A... de procéder à sa démolition. Par un arrêté du 3 mars 2016, le maire l'a mise en demeure d'exécuter l'arrêté du 24 décembre 2015. Le 30 mars 2017, la commune a fait procéder à la démolition de l'immeuble. Par un arrêt du 14 novembre 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement du 20 juillet 2016, qui avait rejeté les conclusions à fin d'annulation de Mme A... dirigées contre les arrêtés du 24 décembre 2015 et du 3 mars 2016, et a annulé ces décisions. Par un jugement du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Nancy a annulé le titre exécutoire d'un montant de 6 000 euros émis à l'encontre de Mme A... correspondant au coût de la démolition. Par un courrier du 5 février 2019, Mme A... a demandé à la commune de Senoncourt-lès-Maujouy de l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la démolition de son immeuble. Sa demande a été rejetée par un courrier du 14 mars 2019. Mme A... a alors demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la commune de Senoncourt-lès-Maujouy à lui verser la somme de 23 282,87 euros au titre de son préjudice. Mme A... relève appel du jugement du 1er juin 2021 du tribunal administratif de Nancy qui a rejeté sa demande.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la première faute alléguée et tirée de l'illégalité de l'arrêté de péril ordinaire entaché d'un vice de procédure :

2. Si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité d'une commune, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision avait pu légalement être prise.

3. Par un arrêt du 14 novembre 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé l'arrêté de péril du 24 décembre 2015 pris à l'encontre de Mme A... ainsi que par voie de conséquence, l'arrêté du 3 mars 2016 par lequel le maire de Senoncourt-lès-Maujouy a mis en demeure Mme A... d'exécuter l'arrêté du 24 décembre 2015, au motif que ce dernier était entaché d'un vice ayant affecté la procédure contradictoire, Mme A... ayant été privée d'un délai de plus de dix jours pour présenter ses observations avant que la décision de péril ordinaire soit prise.

4. La commune de Senoncourt-lès-Maujouy a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité en raison de l'illégalité de cette décision.

5. Toutefois, il résulte de l'instruction et plus précisément du rapport d'expertise du 14 octobre 2015, et sans que celui-ci puisse être remis en cause par la seule annulation des arrêtés des 24 décembre 2015 et 3 mars 2016 comme le fait valoir la requérante, que la toiture de l'immeuble de Mme A... était effondrée, que le plancher du rez-de-chaussée s'était partiellement écroulé, de même que le contre-mur jouxtant la propriété de l'immeuble voisin et que l'immeuble présentait ainsi un péril à la fois pour le domaine public, du fait de l'état du mur de façade dont la dégradation allait s'aggraver, pour le public, dès lors qu'il était possible d'accéder dans l'immeuble présentant des risques d'éboulement, et pour les immeubles voisins, en raison, notamment, des désordres sur la structure qu'aurait pu entraîner l'effondrement de l'immeuble de Mme A.... Le constat d'expert du 22 décembre 2016 conclut qu'aucune mesure conservatoire ne pouvait être prise pour éviter la dégradation de l'immeuble et qu'il devait être démoli dans les plus brefs délais.

6. Dans ces conditions, et alors qu'il résulte de l'instruction que les travaux de démolition étaient inévitables au regard de l'état de vétusté extrême de l'immeuble, le préjudice correspondant au coût de reconstruction de l'immeuble de la requérante est dépourvu de lien direct avec le vice de procédure qui a affecté la procédure contradictoire.

7. En l'absence de lien de causalité entre l'illégalité affectant l'arrêté du 24 décembre 2015 et le préjudice dont elle demande réparation, la requérante n'est pas fondée à solliciter une indemnisation en raison de cette faute.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande indemnitaire présentée en raison de cette faute.

En ce qui concerne la seconde faute alléguée et tirée de ce que la commune a procédé à la démolition effective de l'immeuble sans avoir obtenu l'autorisation du juge judiciaire des référés :

9. D'une part, aux termes de l'article L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation : " I. ' Le maire, par un arrêté de péril pris à l'issue d'une procédure contradictoire dont les modalités sont définies par décret en Conseil d'Etat, met le propriétaire de l'immeuble menaçant ruine, et le cas échéant les personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 511-1-1, en demeure de faire dans un délai déterminé, selon le cas, les réparations nécessaires pour mettre fin durablement au péril ou les travaux de démolition, ainsi que, s'il y a lieu, de prendre les mesures indispensables pour préserver les bâtiments contigus. (...) IV. ' Lorsque l'arrêté de péril n'a pas été exécuté dans le délai fixé, le maire met en demeure le propriétaire d'y procéder dans un délai qu'il fixe et qui ne peut être inférieur à un mois. (...) V. ' A défaut de réalisation des travaux dans le délai imparti, le maire, par décision motivée, fait procéder d'office à leur exécution. Il peut également faire procéder à la démolition prescrite, sur ordonnance du juge statuant en la forme des référés, rendue à sa demande. (...) ".

10. Il résulte tant des termes du V de l'article L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation, que de l'objet de la mesure, qui est la démolition d'un immeuble par exécution forcée, que le législateur a donné compétence au juge judiciaire statuant en la forme des référés pour autoriser le maire de la commune à procéder d'office, dans le cadre de la procédure de péril ordinaire, à la démolition d'un immeuble menaçant ruine. Cette démolition ne peut donc intervenir qu'après l'intervention de ce juge des référés.

11. Il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

12. En l'espèce, il est constant que la commune a procédé à la démolition de l'immeuble sans avoir été autorisée par une ordonnance du juge judiciaire statuant en la forme des référés, conformément aux dispositions précitées au point 9. La démolition totale de l'immeuble a entrainé une extinction définitive du droit de propriété sur ce bien. Dans ces conditions, cette démolition est constitutive d'une voie de fait dont les conséquences dommageables ne peuvent être appréciées et réparées que par les tribunaux de l'ordre judiciaire qui sont seuls compétents pour connaitre de l'action de Mme A....

13. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy s'est reconnu compétent pour statuer sur les conclusions de la requérante tendant à l'indemnisation de son préjudice en lien avec cette faute.

14. Il y a donc lieu d'annuler pour irrégularité le jugement du tribunal administratif de Nancy dans cette mesure, d'évoquer sur ce point la demande de Mme A... et de la rejeter comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par Mme A... soit mise à la charge de la commune de Senoncourt-lès-Maujouy, qui n'est pas la partie perdante à l'instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme que la commune de Senoncourt-lès-Maujouy demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1901351 du 1er juin 2021 est annulé en tant qu'il a statué sur la demande de Mme A... tendant à la condamnation de la commune de Senoncourt-lès-Maujouy à l'indemniser des conséquences dommageables de la démolition de son immeuble sans autorisation du juge judiciaire.

Article 2 : La demande de Mme A... présentée devant le tribunal administratif de Nancy tendant à la condamnation de la commune de Senoncourt-lès-Maujouy à l'indemniser des conséquences dommageables de la démolition de son immeuble sans autorisation du juge judiciaire, constitutive d'une voie de fait, est rejetée comme étant portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Senoncourt-lès-Maujouy.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.

La rapporteure,

Signé : S. Roussaux La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au préfet de la Meuse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 21NC01797


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01797
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : KROELL O. & J.T.

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;21nc01797 ?
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