La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/06/2024 | FRANCE | N°23NC02308

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 06 juin 2024, 23NC02308


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par deux requêtes, Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler, d'une part, la décision du 12 août 2022 par laquelle le préfet du Doubs a refusé de faire droit à sa demande de protection contre l'éloignement et, d'autre part, l'arrêté du 12 novembre 2022, par lequel le préfet du Doubs a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a assorti l'obligation d

e quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes, Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler, d'une part, la décision du 12 août 2022 par laquelle le préfet du Doubs a refusé de faire droit à sa demande de protection contre l'éloignement et, d'autre part, l'arrêté du 12 novembre 2022, par lequel le préfet du Doubs a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a assorti l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.

Par un jugement nos 2202029-2300221 du 6 avril 2023, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 12 août 2022 et a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté contesté du 12 novembre 2022.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que celui-ci a rejeté sa requête n° 2300221 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 12 novembre 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans un délai de huit jours une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions et de lui délivrer, dans un délai de huit jours, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire, de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 623-1 du code de justice administrative ; alors que le secret médical avait été levé au stade contentieux, les premiers juges ont refusé, à tort, de faire usage de leur pouvoir d'instruction en n'ordonnant pas à l'administration de communiquer les documents extraits des bases non ouvertes au public sur lesquels le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a fondé son avis ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions des articles L. 425-9 et L. 611-3, 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience publique.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bourguet-Chassagnon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante kosovienne, née le 28 octobre 1992, entrée sur le territoire français selon ses déclarations le 12 février 2020, a présenté le 21 février 2020 une demande d'asile qui a été rejetée par une décision en date du 19 mars 2021 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par un arrêté du 6 juillet 2021, le préfet du Doubs l'a obligée à quitter le territoire français. Le 17 septembre 2021, elle a informé la préfecture de son état de santé. Sa demande tendant à bénéficier d'une mesure de protection contre l'éloignement a fait l'objet d'une décision de refus du 2 décembre 2021. Par l'intermédiaire d'un travailleur social, Mme A... a demandé en avril 2022 la délivrance d'un titre de séjour pour motif de santé. Le 12 août 2022, le préfet du Doubs a confirmé sa décision de rejet du 2 décembre 2021. Par un arrêté du 14 novembre 2022, le préfet a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office et a prononcé, à son encontre, une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Mme A... relève appel du jugement du 6 avril 2023 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 novembre 2022.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes l'article L. 425 9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ". Selon l'article R. 425-11 de ce code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 425-9 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé ". Aux termes de l'article R. 425 12 du même code : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 425-11 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre ". L'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 de la ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre de l'intérieur relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical, conformément au modèle figurant à l'annexe B du présent arrêté ". Enfin, l'article 6 du même arrêté dispose : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis ".

3. En vertu des dispositions précitées, le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9, doit émettre son avis dans les conditions fixées par l'arrêté du 27 décembre 2016 cité au point précédent, au vu notamment du rapport médical établi par un médecin de l'OFII. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'OFII. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'OFII, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.

4. Par suite, les premiers juges, qui se sont estimés suffisamment éclairés par les pièces déjà versées au dossier, pouvaient ne pas demander la communication des sources documentaires utilisées par le collège des médecins de l'OFII pour apprécier notamment la disponibilité effective d'un traitement au Kosovo, au vu desquelles le collège des médecins a émis l'avis du 1er août 2022. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'en ne faisant pas usage de leurs pouvoirs d'instruction, les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire, l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et l'article 623-1 du code de justice administrative.

Sur la légalité des décisions contestées :

5. Pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié, au sens de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.

6. Pour refuser de délivrer à Mme A... le titre de séjour qu'elle avait sollicité sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a estimé, au vu notamment de l'avis du collège de médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 1er août 2022, que si l'état de santé de Mme A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressée peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié au Kosovo, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de ce pays et qu'elle peut voyager à destination de ce pays sans risque. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressée souffre d'une insuffisance rénale terminale nécessitant un traitement par hémodialyses pluri-hebdomadaires ainsi que d'une anomalie du métabolisme du fer et que lui sont notamment prescrites les spécialités pharmaceutiques " Perindropil ", " Amlodipine ", " Acebutolol " et " Mimpara ". Toutefois, alors qu'aucun des documents médicaux ne concluent à l'indisponibilité ou à l'absence d'accès effectif aux traitements appropriés à l'état de santé de Mme A... au Kosovo ni ne démontre qu'elle devrait impérativement bénéficier d'une transplantation rénale, il ressort des pièces du dossier que l'hémodialyse constitue le traitement principal de l'insuffisance rénale, que plusieurs centres de dialyses sont répartis sur tout le territoire du Kosovo, que le traitement médicamenteux qui lui est prescrit en France est disponible au Kosovo ou, pour certaines molécules, que des spécialités substituables y sont distribuées et que l'ensemble de ces traitements est pris en charge financièrement par l'Etat du Kossovo. Il ressort par ailleurs des pièces transmises par Mme A... au collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration qu'elle a bénéficié de trois hémodialyses par semaine au Kosovo depuis 2011 avant de poursuivre ce traitement en France à compter de son entrée sur le territoire français en 2020. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer le titre de séjour sollicité, la préfète du Bas-Rhin aurait fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée à son encontre serait entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner à l'administration la communication des documents sollicités, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa requête n° 2300221. Par voie de conséquence, sa requête doit être rejetée dans toutes ses conclusions, y compris celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Bertin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président,

Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,

Mme Hélène Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024.

La rapporteure,

Signé : M. Bourguet-ChassagnonLe président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 23NC02308


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02308
Date de la décision : 06/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Mariannick BOURGUET-CHASSAGNON
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-06;23nc02308 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award