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06/06/2024 | FRANCE | N°23NC01852

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 06 juin 2024, 23NC01852


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 18 juillet 2022 par lequel le préfet des Vosges a refusé de faire droit à sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet des Vosges de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer sa situation, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provis

oire de séjour dans le délai de 48 heures à compter de la notification du jugement et sou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 18 juillet 2022 par lequel le préfet des Vosges a refusé de faire droit à sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet des Vosges de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer sa situation, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de 48 heures à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2203052 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 23NC01852 le 9 juin 2023, M. B..., représenté par Me Gehin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 26 janvier 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté en date du 18 juillet 2022 par lequel le préfet des Vosges a refusé de faire droit à sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

3°) d'enjoindre au préfet des Vosges de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer sa situation, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de 48 heures à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la requête est recevable ;

- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ; elle est entachée de vice de procédure, le préfet ne l'ayant pas informé qu'il procédait à des vérifications de ses actes d'état civil ; elle est entachée de vice de procédure en raison de la méconnaissance du principe général des droits de la défense ; elle est entachée d'erreur de droit quant au caractère suffisant et la force probantes des documents d'état civil qu'il a produits à l'appui de sa demande, le préfet ayant méconnu le principe de la séparation des pouvoirs concernant l'état des personnes et l'autorité de la chose jugée au judiciaire ;

- l'obligation de quitter le territoire français est entachée de vice de procédure en raison de la méconnaissance du droit d'être entendu ; elle est fondée sur une décision de refus de titre de séjour illégale ; elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 septembre 2023 le préfet des Vosges conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevé par le requérant n'est fondé.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Guidi, présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 20 juin 2003, ressortissant malien, a déclaré être entré en France en février 2019, alors qu'il était mineur. Par une ordonnance du 7 mars 2019, il a été placé à l'aide sociale à l'enfance du département des Vosges. Par une demande en date du 21 juin 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 18 juillet 2022, le préfet des Vosges lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 26 janvier 2023, par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :

2. En premier lieu, la décision comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Enfin, aux termes de l'article 1 du décret du 24 décembre 2015 : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. / Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications. ".

4. Dans le cadre de l'instruction de la demande de titre de séjour de M. B..., les services de la préfecture des Vosges ont fait procéder à la vérification des pièces relatives à son état civil produites à l'appui de sa demande, en les soumettant à un examen technique documentaire. M. B... soutient qu'il a été privé d'une garantie en méconnaissance de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015, dans la mesure où il n'a pas été préalablement informé de cette expertise. Toutefois, les dispositions de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 concernent seulement les vérifications auprès de l'autorité étrangère compétente et non celles auprès des services en fraude documentaire et à l'identité. En outre, alors que la décision de refus de titre de séjour a été prise en réponse à une demande que l'intéressé a lui-même présentée à l'administration, aucune disposition ne fait obligation au préfet de recueillir préalablement à sa décision les observations de l'étranger sur le rapport d'expertise en fraude documentaire et à l'identité. En tout état de cause, ce rapport a été communiqué au requérant dans le cadre de la présente instance.

5. En troisième lieu, M. B... fait valoir que pendant l'instruction de son dossier, le principe général du droit relatif aux droits de la défense a été méconnu. Toutefois il ne peut utilement invoquer la méconnaissance d'un tel principe dès lors que la décision contestée portant refus de titre de séjour n'a pas été prise à l'initiative de l'administration mais en réponse à sa demande. Le moyen doit ne peut par conséquent qu'être écarté.

6. En quatrième lieu, il résulte des dispositions de l'article 47 du code civil qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles. Si l'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. En revanche, l'autorité administrative n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. A l'appui de sa demande, M. B... a produit un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance, un acte de naissance, un extrait d'acte de naissance et un passeport malien. Le préfet des Vosges, s'appuyant sur les conclusions de l'expertise documentaire du 31 janvier 2022, a relevé que le jugement supplétif est imprimé sur du papier ordinaire non sécurisé et rempli de façon manuscrite. Tous les éléments relatifs au jugement auquel le document est censé se référer n'y sont pas présents, de même que n'y figurent pas les informations relatives à la motivation de la requête ainsi que la nature des pièces justificatives, les nom prénom et qualité du requérant. Le certificat de non-appel n'est ni mentionné ni accompagné. S'agissant de l'acte de naissance, le numéro de série est absent de même que la dénomination de l'imprimeur accrédité par les autorités maliennes. Le numéro nina n'est pas renseigné, le formulaire contient une faute d'orthographe " L'offier de l'état civil ". La profession du père indiquée est cultivateur alors qu'il est décédé quand M. B... était très jeune. La qualité d'officier d'état civil n'est pas précisée. La mention " jugement supplétif n° 458 du 21 octobre 2019 " est indiquée dans la mauvaise rubrique. Les dates du jugement supplétif et de sa transcription ne coïncident pas. Les éléments relatifs à ses parents sont en outre incomplets et aucune mention n'indique qu'un certificat de non-appel a été établi. S'agissant de l'extrait d'acte de naissance, la qualité d'officier d'état civil n'est pas précisée, le numéro nina n'est pas renseigné, l'acte de naissance n'a pas été transcrit selon les conditions fixées par le droit civil malien. Dès lors, au vu de ces éléments, le préfet des Vosges doit être regardé comme renversant la présomption d'authenticité des documents d'état civil présentés par M. B... qui, en se bornant à produire l'acte de décès de son père, ne remet pas utilement en cause les conclusions du préfet des Vosges. Dans ces conditions, le préfet des Vosges n'a ni commis une erreur de droit, ni une erreur d'appréciation en refusant de délivrer à l'intéressé un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que le requérant ne justifiait pas de son âge à la date de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance. Si M. B... a également présenté un passeport délivré par les autorités maliennes à Bamako, il résulte de ce qui précède que ce document, certes authentique, a été établi au vu d'éléments dont la véracité n'est pas établie.

8. En cinquième lieu, M. B... soutient que le préfet des Vosges ne pouvait lui opposer l'irrégularité des actes d'état civil qu'il a produits à l'appui de sa demande de titre de séjour, sauf à méconnaître l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe de sécurité juridique ainsi que l'article 16 de la loi des 16 et 24 août 1790 et le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Si le requérant fait valoir que le département des Vosges, le procureur de la République et le juge des enfants ont reconnu la validité des actes d'état civil qu'il leur a présentés en vue de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, il ne ressort cependant pas des termes du jugement en assistance éducative du 8 mars 2019 qu'une vérification de l'identité du requérant figurant sur les actes d'état civil aurait été préalablement diligentée par l'autorité judiciaire. Dans ces conditions, la circonstance que M. B... a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par l'autorité judiciaire n'est de nature ni à établir le caractère probant des actes d'état civil, ni sa date de naissance et ne saurait ainsi faire obstacle à ce que le préfet des Vosges vérifie la validité des actes d'état civil présentés par l'intéressé dans le cadre de sa demande de titre de séjour afin de s'assurer de l'identité et de l'âge du demandeur en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, les dispositions de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne sont applicables qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu'elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale, et non à la procédure suivie pour l'édiction d'une décision administrative. Par suite, le moyen doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. B....

Sur les frais liés à l'instance :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Vosges.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2024.

La rapporteure,

Signé : L. GuidiLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 23NC01852


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01852
Date de la décision : 06/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Laurie GUIDI
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : GEHIN - GERARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-06;23nc01852 ?
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