La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/06/2024 | FRANCE | N°22NC02172

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 06 juin 2024, 22NC02172


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 11 mai 2021 par laquelle le directeur général de l'office public de l'habitat (OPH) du département du Doubs a prononcé sa révocation.



Par un jugement n° 2101167 du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement

les 12 août 2022, 13 avril 2023, 14 juin 2023 et 21 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Dufour, demande à la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 11 mai 2021 par laquelle le directeur général de l'office public de l'habitat (OPH) du département du Doubs a prononcé sa révocation.

Par un jugement n° 2101167 du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 12 août 2022, 13 avril 2023, 14 juin 2023 et 21 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Dufour, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 juin 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 mai 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'office public de l'habitat du Doubs, ou de tout organisme qui lui succèderait en qualité d'employeur, une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- il est entaché d'insuffisance de motivation relativement au grief tiré des méthodes de management employées à l'égard de plusieurs agents ;

- il n'a pas été répondu au moyen tiré de la prescription des faits se rapportant aux méthodes de management ;

- il est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation de la matérialité du grief tiré des méthodes de management et de la proportionnalité de la sanction ;

- il est entaché d'erreur d'appréciation quant au manquement au devoir d'impartialité ;

- il est entaché d'erreur de droit, dès lors que les conséquences des irrégularités commises dans la procédure disciplinaire n'ont pas été tirées ;

Sur la légalité de la décision de révocation :

- l'avis du conseil de discipline est irrégulier, compte tenu, d'une part, de l'absence d'habilitation expresse de la présidente du conseil d'administration de l'OPH pour représenter l'office, d'autre part, de ce que les membres du conseil de discipline n'ont pas eu le temps de prendre connaissance des pièces et arguments qu'il avait présentés tandis que ses observations écrites n'ont pas été lues en séance, en méconnaissance des dispositions applicables ainsi que de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'avis du conseil de discipline est irrégulier, dès lors que sa motivation est succincte et que le conseil s'est trompé en retenant l'autorité de chose jugée de la décision rendue par la cour d'appel de Besançon contre l'OPH du Doubs ;

- la décision en litige est entachée d'erreurs de droit au regard des dispositions du code de la construction et de l'habitation et l'a privé des garanties qu'il tient de l'article R. 421-20-4 notamment ;

- elle est entachée d'erreur de droit dès lors qu'il n'avait pas été régulièrement réintégré, l'arrêté de réintégration ayant d'ailleurs été annulé ;

- le grief tiré du harcèlement moral ne peut pas être retenu, en l'absence d'autorité absolue de chose jugée tandis que les faits, antérieurs à mars 2015, étaient prescrits ;

- aucun manquement au devoir d'impartialité et de prévention des conflits d'intérêts ne peut lui être reproché ;

- le grief lié à la location d'un local de stockage de meubles n'est pas fondé, dès lors notamment qu'il a obtenu le transfert du bail de son père et n'a rien caché ;

- le grief tiré du redressement de l'OPH par l'URSSAF n'est pas établi et n'est pas fautif ;

- le grief relatif à ses méthodes de management n'est pas établi et procède d'accusations exagérées, subjectives et fantaisistes ;

- la sanction de révocation est disproportionnée et aucunement justifiée par les " petits griefs " qui lui sont reprochés ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir, compte tenu du contexte dans lequel elle est intervenue.

Par des mémoires en défense, enregistrés respectivement les 9 novembre 2022, 10 mai 2023, 3 juillet 2023, 7 août 2023 et 27 octobre 2023, l'office public de l'habitat du département du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le motif tiré de ce que le comportement de M. B... à l'encontre de la directrice des ressources humaines de l'office licenciée le 7 juillet 2015 est constitutif de harcèlement moral et fautif peut être substitué au motif de la décision tiré de l'autorité de l'arrêt de la cour d'appel de Besançon relatif aux mêmes faits ;

- les autres moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2016-201 du 26 février 2016 ;

- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique,

- les observations de Me Dufour, avocate de M. B...,

- les observations de Me Benyahia, avocate de l'OPH du Doubs.

Considérant ce qui suit :

1. Directeur général adjoint et directeur du patrimoine et du développement au sein de l'OPH du Doubs depuis le 1er juin 2005, M. B... a été détaché sur l'emploi de directeur de l'OPH à compter du 1er octobre 2008 puis, du 1er mai 2010 au 30 avril 2020 sur l'emploi de directeur général. Réintégré dans le cadre d'emplois des ingénieurs en chef hors classe au 1er mai 2020, il a été affecté sur un poste de " directeur ingénieur projets " à compter du 2 décembre 2020. Par un courrier du 19 février 2021, M. B... a été informé de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre. Après consultation du conseil de discipline réuni le 2 avril 2021, l'agent a fait l'objet d'un arrêté du 11 mai 2021 portant sanction de révocation à compter du 3 septembre 2021. Par sa requête, M. B... relève appel du jugement du 14 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la sanction de révocation :

2. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : (...) / Quatrième groupe : la mise à la retraite d'office ; la révocation. / (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

En ce qui concerne les griefs retenus contre M. B... :

S'agissant de son comportement à l'encontre d'une ancienne directrice des ressources humaines de l'OPH :

3. Aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. (...). Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de l'agent avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire ".

4. D'une part, par un arrêt du 28 septembre 2018, la cour d'appel de Besançon a déclaré nul le licenciement prononcé le 7 juillet 2015 à l'encontre de la directrice des ressources humaines et des moyens généraux de l'OPH au motif que cette dernière avait été victime de faits de harcèlement moral de la part du directeur général de l'office. Cet arrêt, qui a été rendu par une juridiction civile, n'est pas revêtu de l'autorité absolue de chose jugée, qui s'attache uniquement aux faits constatés par le juge pénal qui sont le support nécessaire d'une condamnation.

5. D'autre part, il ressort des pièces produites par M. B... que la présidente du conseil d'administration de l'OPH alors en fonction avait connaissance de la procédure intentée en septembre 2015 par l'ancienne directrice des ressources humaines devant le conseil de prud'hommes, devant lequel l'office était représenté par un avocat que la présidente avait d'ailleurs rencontré personnellement en compagnie de M. B... au moins une fois au début de l'année 2016, et qu'elle avait validé la stratégie de négociation avec l'ancien agent afin d'éviter un jugement. L'OPH ne conteste d'ailleurs pas que la présidente du conseil d'administration avait connaissance des éléments du dossier et accès à ses pièces. La circonstance que la qualification de harcèlement moral retenue par la cour d'appel de Besançon, laquelle ne lie au demeurant ni l'administration de l'office ni la juridiction administrative, n'a été consacrée pour la première fois que par l'arrêt du 28 septembre 2018 est sans incidence sur la réalité et la nature des faits dont l'ancienne directrice des ressources humaines soutenait avoir été la victime, et dont l'ampleur doit être regardée comme connue de l'OPH au plus tard à la date du jugement du conseil de prud'hommes du 28 septembre 2017. Dès lors, à la date du 12 février 2021 à laquelle la procédure disciplinaire a été engagée contre le requérant, les faits relatifs au comportement qu'il avait adopté à l'encontre de l'ancienne directrice des ressources humaines étaient nécessairement prescrits. Par suite, l'OPH du Doubs ne pouvait pas, pour fonder la sanction de révocation en litige, retenir le grief de harcèlement moral commis à l'encontre d'un ancien agent de l'office.

S'agissant de la location d'un local dans un immeuble géré par l'OPH et l'absence d'information du conseil d'administration :

6. Aux termes de l'article L. 423-10 du code de la construction et de l'habitation, dans sa version applicable au moment des faits : " Toute convention, conclue directement ou par personne interposée entre un des organismes mentionnés à l'article L. 411-2 et un de ses dirigeants, un de ses salariés, un de ses administrateurs, un des membres du conseil de surveillance ou une personne morale dans laquelle un de ses dirigeants, un de ses salariés, un de ses administrateurs ou membres du conseil de surveillance exerce des fonctions d'administrateur, de membre du conseil de surveillance ou de dirigeant est subordonnée à l'autorisation préalable du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de l'organisme ". Aux termes de l'article L. 423-11 du même code : " (...). Toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre un organisme public d'habitations à loyer modéré et son directeur général, l'un de ses directeurs ou l'un de ses administrateurs doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration. Les conventions auxquelles une des personnes visées au présent alinéa est indirectement intéressée sont également soumises à autorisation préalable. / (...) ". Aux termes de l'article L. 423-11-1 du même code : " Les articles L. 423-10 et L. 423-11 ne sont pas applicables aux conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales. / Ces conventions sont communiquées par l'intéressé au président du conseil d'administration, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs implications financières, ne sont significatives pour aucune des parties. La liste et l'objet de ces conventions sont communiqués par le président aux membres du conseil d'administration ".

7. Il ressort des pièces du dossier que l'OPH du Doubs loue à M. B..., dans un immeuble dont il assure la gestion, un " local commun résidentiel " de 40 m² pour 30,49 euros par mois depuis juin 2022, en vertu d'un bail signé en mai 1999 avec le père de l'intéressé qui en a obtenu le transfert, ainsi qu'il en justifie par les pièces produites. D'une part, l'OPH, qui avait consenti au transfert de ce bail, sans plus jamais se préoccuper de ce bien immobilier, n'est pas fondé à reprocher à M. B... ni les conditions de conclusion du bail initial avec son père, ni ses conditions tarifaires, ni l'absence de revalorisation de celles-ci au cours des dix-neuf années ayant précédé la révocation de l'agent. D'autre part, l'OPH ne saurait utilement se prévaloir des dispositions précitées du code de la construction et de l'habitation, lesquelles n'imposent une autorisation préalable du conseil d'administration de l'OPH que pour la conclusion d'une des conventions. Ces dispositions n'imposent pas d'obligation à un agent ou directeur général d'OPH de déclarer, au moment de son recrutement, l'existence d'une convention conclue avec l'office qui l'emploie. L'OPH ne se prévaut d'aucune autre disposition législative ou réglementaire applicable à M. B... qui aurait mis à sa charge une telle obligation. Dans ces conditions, l'OPH ne pouvait pas opposer au fonctionnaire, pour fonder la décision en litige, l'absence de déclaration officielle devant le conseil d'administration relativement à une information que les services de l'OPH ne pouvaient ignorer.

S'agissant de sa gestion du dossier de l'assurance-chômage pour les fonctionnaires de l'OPH :

8. Aux termes de l'article R. 421-18 du code de la construction et de l'habitation : " Le directeur général rend compte de sa gestion au conseil d'administration et lui présente un rapport annuel en la matière ".

9. Il ressort des pièces du dossier que, alors que les services de l'URSSAF avaient à deux reprises, en janvier 2016 puis en août 2017, indiqué à l'OPH qu'il devait acquitter des cotisations chômage pour les fonctionnaires qu'il employait, M. B..., alors directeur général de l'office, a, par un courrier d'avril 2016, exposé les raisons de son désaccord sur le principe de cet assujettissement des fonctionnaires de l'office et n'a pas donné suite au courrier d'août 2017 invitant pourtant l'OPH à régulariser cette situation et à saisir, le cas échéant, la commission de recours amiable. L'OPH a alors fait l'objet, au début de l'année 2019, d'un contrôle de l'URSSAF qui a abouti à un redressement de plus de 300 000 euros. Contrairement à ce que M. B... soutient, il ne ressort pas des procès-verbaux du conseil d'administration de l'année 2014 qu'il aurait alors pu informer cette instance de la demande de l'URSSAF tendant à ce que l'OPH régularise les cotisations dues depuis 2016. S'il ne peut être reproché au directeur général alors en poste d'avoir pris la décision de ne pas verser de cotisations chômage pour les fonctionnaires employés par l'OPH, selon sa conviction que ces cotisations n'étaient pas dues, position qui a d'ailleurs été confirmée, postérieurement à la décision en litige, dans le cadre du litige opposant l'OPH à l'URSSAF devant le tribunal judiciaire de Besançon, son abstention à informer le conseil d'administration de son choix personnel, qui s'opposait clairement à la demande de l'URSSAF et engageait l'OPH pour l'avenir, caractérise un manquement à ses obligations dans le cadre de son détachement.

S'agissant du positionnement partial dans le traitement des conflits impliquant sa compagne :

10. Aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors applicable : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. / (...) / Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité. / Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité. (...) ". Aux termes de l'article 25 bis de la même loi : " I.-Le fonctionnaire veille à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d'intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver. / Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ".

11. Il ressort des pièces du dossier que la compagne de M. B..., ancienne assistante de direction de l'office devenue responsable du service des moyens généraux, rencontrait des difficultés managériales au sein de son service. Au lieu de renoncer à gérer de quelque manière que ce soit les incidents ou conflits impliquant sa compagne, notamment en déléguant son pouvoir à la directrice des ressources humaines ou au directeur général adjoint, le directeur général de l'OPH est intervenu à plusieurs reprises dans des situations qui étaient pourtant déjà prises en charge par le directeur général adjoint. Ainsi, dans un contexte de conflit entre sa compagne et deux autres salariées de son service qui avaient alerté le CHSCT et la présidente du conseil d'administration de l'office, conduisant l'une d'entre elle à la démission et l'autre à être reclassée dans un autre service, M. B... a profité d'un incident intervenu le 16 janvier 2018, dont sa compagne était la seule responsable, pour convoquer la salariée concernée à un entretien préalable à sanction, au cours duquel il lui a reproché des propos diffamatoires et dénigrants à l'encontre de la responsable de service, puis l'a informée de la création d'une commission d'enquête indépendante. Alors que cette salariée avait dénoncé, depuis plusieurs mois, des faits de harcèlement moral dont elle s'estimait victime de la part de sa responsable, M. B... a pris fait et cause pour cette dernière, ainsi qu'il ressort de la différence de ton dans les différents courriers qu'il leur a adressés, lui a même accordé la protection fonctionnelle puis, et alors que la commission d'enquête avait conclu à l'absence de faits typiques de harcèlement, a présenté ses excuses au nom de l'office pour les accusations dont celle-ci avait été la cible tandis qu'il menaçait dans le même temps la salariée en cas de réitération d'une telle situation et l'invitait à faire des excuses à sa responsable. L'inspection du travail a été contrainte, à ce sujet, de rappeler au directeur général que la dénonciation de faits de harcèlement ne constituait pas une faute et l'a invité à bien vouloir indiquer quels faits dénoncés par la salariée étaient mensongers. Un autre incident, sans caractère de gravité notable, qui avait déjà été traité par le directeur général adjoint le jour même de sa survenue, a amené le directeur général à solliciter, plusieurs semaines après les faits, des excuses de la part de la directrice d'agence concernée à l'attention de sa compagne puis à informer la première de l'engagement d'une procédure disciplinaire au début du mois de décembre 2019, sans que le directeur général adjoint n'ait été ni consulté ni informé. Ces deux interventions de M. B... dans des conflits opposant sa compagne à deux autres agents de l'office ne sont pas justifiées et méconnaissent son devoir de prévention des conflits d'intérêts. Leur contenu, tout à fait disproportionné, caractérise également un manquement grave à son devoir d'impartialité.

S'agissant de ses méthodes de management :

12. L'OPH reproche à M. B... d'avoir usé de méthodes de management autoritaires, nocives et vexatoires à l'égard de plusieurs agents de l'office et que ses comportements managériaux ont affecté le fonctionnement du service, provoqué un climat délétère ainsi que d'importantes souffrances morales pour les agents qui en ont été les victimes.

13. D'une part, l'OPH du Doubs produit les attestations de plusieurs cadres de l'office relatant de manière générale les excès d'autorité, les reproches injustifiés ou encore les propos dénigrant ou méprisant dont leur ancien directeur général faisait montre selon eux. Toutefois, ces attestations, qui font principalement état du ressenti de leurs auteurs ou constituent des témoignages indirects du comportement de M. B..., ne permettent d'établir ni les dates auxquelles des faits fautifs de management seraient intervenus, ni leur consistance réelle, ni encore leur fréquence. La dénonciation, a posteriori, dans ces témoignages sollicités, de l'attitude de l'intéressé comme étant inadaptée et pouvant même générer un sentiment de peur n'est d'ailleurs assortie d'aucune précision quant aux incidences de ce management sur la santé des cadres concernés ou le fonctionnement des services. Des arrêts maladie, burn out ou démissions sont évoqués sans être corrélés aux méthodes de management de l'ancien directeur général de l'office. Aussi, la matérialité des méthodes nocives de management de M. B... ne peut être regardée comme établie par l'OPH.

14. D'autre part, l'OPH ne saurait se borner à renvoyer, de manière générale, et sans enquête approfondie, au contexte de dysfonctionnements multiples au sein de l'office au cours de l'année 2019, en lien notamment avec l'absence de visibilité quant à l'avenir de l'OPH dans son rapprochement avec d'autres partenaires, tel que dénoncé lors de la grève du 25 juin 2019, au fait que les cadres avaient perdu confiance dans leur directeur général, justifiant le préavis de grève lancé le 12 décembre 2019 afin d'obtenir le départ de celui-ci ou encore aux éléments tout aussi généraux figurant dans le bilan de l'évaluation des risques psycho-sociaux de janvier 2019 et dans le rapport d'audit de management de mars 2020. Ces éléments ne permettent pas d'établir la matérialité de faits fautifs commis par M. B... dans l'exercice de ses attributions de directeur et de son pouvoir hiérarchique, ni de corréler ses attitudes managériales aux divers dysfonctionnements dénoncés au cours de cette année.

15. Dans ces conditions, l'OPH ne pouvait pas retenir contre M. B..., pour fonder la décision en litige, le recours à des méthodes de management inadaptées.

En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction prononcée :

16. Il ressort de ce qui a été dit précédemment que seuls les griefs tirés de l'abstention de M. B... à informer les membres du conseil d'administration de l'OPH de ce qu'il entendait ne pas assujettir les salaires des fonctionnaires aux cotisations chômage, en dépit d'une demande en ce sens de l'URSSAF et son manquement à ses devoirs de prévention des conflits d'intérêts et d'impartialité du fait de ses interventions injustifiées et disproportionnées dans des conflits opposant sa compagne à d'autres salariés de l'office sont de nature à justifier une sanction disciplinaire.

17. Dans les circonstances de l'espèce, la sanction de révocation est, eu égard à la nature des fautes commises, et compte tenu par ailleurs de l'absence de tout antécédent disciplinaire de même que de toute mise en garde antérieure de la part des présidents successifs du conseil d'administration de l'OPH, disproportionnée par rapport à leur gravité. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision de révocation.

18. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner sa régularité, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 14 juin 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'OPH du Doubs la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2101167 du tribunal administratif de Besançon du 14 juin 2022 est annulé.

Article 2 : La décision du 11 mai 2021 prononçant la révocation disciplinaire de M. B... est annulée.

Article 3 : L'OPH du Doubs versera à M. B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à l'office public de l'habitat du département du Doubs.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président,

Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au préfet du Doubs en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 22NC02172


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02172
Date de la décision : 06/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : SELARL JULIE DUFOUR

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-06;22nc02172 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award