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16/05/2024 | FRANCE | N°23NC02121

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 16 mai 2024, 23NC02121


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 23 mars 2023 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.



Par un jugement n° 2300931 du 30 mars 2023, le magistrat désigné par le préside

nt du tribunal administratif de Nancy a admis M. B... à l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 23 mars 2023 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2300931 du 30 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a admis M. B... à l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 29 juin et 21 septembre 2023, M. B..., représenté par Me Corsiglia, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 30 mars 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 mars 2023 du préfet de la Moselle ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle a méconnu son droit d'être entendu qui constitue un principe général découlant de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne ; alors que cette décision lui a été notifiée le 23 mars 2023, son audition administrative a eu lieu le 25 mars 2023 ;

- elle est entachée d'une erreur de droit car aucune obligation de quitter le territoire français ne pouvait être édictée à son encontre car il a explicitement indiqué vouloir solliciter l'asile au cours de ses auditions du 23 mars 2023 aux fins de vérification du droit de circulation ou de séjour et du 25 mars 2023 pour vol à l'étalage, outrage sur personne dépositaire de l'autorité publique et usage de stupéfiants ; sa demande d'asile devait être considérée comme une première demande car aucune décision définitive n'a été prise sur une éventuelle demande d'asile antérieure au sens de l'article L. 531-41 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il ne constitue pas une menace à l'ordre public ; le vol à l'étalage qu'il a commis le 25 mars 2023, soit postérieurement à la décision litigieuse, ne peut justifier une mesure d'éloignement fondée sur le 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :

- elle sera annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle sera annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle sera annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant car elle lui interdit également de se rendre en Allemagne alors qu'il a des enfants en Allemagne et en France.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 août 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le requérant a pu être entendu, préalablement à l'édiction de la décision litigieuse, au cours de son audition du 23 mars 2023 par les services de la police aux frontières ;

- le requérant n'a jamais manifesté sa volonté explicite de demander l'asile en France ; il n'a engagé aucune démarche en ce sens ;

- il est connu défavorablement des services de police pour des faits de vol à l'étalage commis ; deux jours après l'édiction de la décision litigieuse, le requérant a été placé le 25 mars 2023 en garde à vue pour des faits de vol à l'étalage, outrage sur personne dépositaire de l'autorité publique et usage de stupéfiants ;

- il s'en remet également à ses écritures de première instance.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant camerounais né le 23 juin 1986, a fait l'objet de la part des autorités luxembourgeoises d'une décision de remise aux autorités françaises le 23 mars 2023 dans le cadre des accords Dublin. Par un arrêté du même jour, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral du 25 mars 2023, M. B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté préfectoral du 23 mars 2023. Ce dernier relève appel du jugement n° 2300931 du 30 mars 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy qui a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'annulation des décisions du 23 mars 2023 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable ". Aux termes de l'article L. 521-7 du même code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile (...) / Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2 ". Aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : / (...) / 2° Lorsque le demandeur : / (...) / c) présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; / d) fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un Etat autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale ". Enfin, aux termes de l'article R. 521-4 du même code : " Lorsque l'étranger se présente en personne auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, en vue de demander l'asile, il est orienté vers l'autorité compétente. Il en est de même lorsque l'étranger a introduit directement sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sans que sa demande ait été préalablement enregistrée par le préfet compétent ".

3. Ces dispositions ont pour effet d'obliger l'autorité de police à transmettre au préfet, et ce dernier à enregistrer, une demande d'admission au séjour lorsqu'un étranger, à l'occasion de son audition, formule une demande d'asile. Hors les cas visés tant aux articles L. 754-2 et L. 754-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile concernant l'hypothèse d'un ressortissant étranger placé en rétention, qu'aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2 du même code, le préfet saisi d'une demande d'asile est ainsi tenu de délivrer au demandeur l'attestation mentionnée à l'article L. 521-7 précité de ce code. Il résulte, en outre, de ces dispositions que le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, de celle de la Cour nationale du droit d'asile. Par voie de conséquence, les dispositions précitées font obstacle à ce que le préfet fasse usage des pouvoirs que lui confère le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière tant que l'étranger, demandeur d'asile, bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français.

4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment, du procès-verbal de l'audition par les services de police de M. B... le 23 mars 2023, que ce dernier a précisé de manière non équivoque durant son audition vouloir demander l'asile en France. En présence d'une telle demande formulée antérieurement à l'intervention de la mesure d'éloignement, il appartenait aux services de police de l'orienter vers l'autorité préfectorale afin qu'il puisse déposer une telle demande. Le préfet de la Moselle, à qui il n'appartient pas d'apprécier le bien-fondé de cette demande, n'établit ni même allègue que la demande de l'intéressé entrait dans les cas de refus de délivrance de l'attestation d'enregistrement limitativement prévus par l'article L. 741-1 précité. Par suite, en obligeant l'intéressé à quitter le territoire français sans délai à destination de son pays d'origine et en lui interdisant tout retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, sans prendre en compte sa demande d'asile, mais en se fondant, notamment, sur la circonstance que la situation de l'intéressé entrait dans le champ d'application du 1° et du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Moselle a commis une erreur de droit. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire doit être annulée ainsi que par voie de conséquence celle fixant le pays de destination et celle prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 23 mars 2023.

Sur les frais liés au litige :

6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Corsiglia, avocate du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2300931 du 30 mars 2023 du tribunal administratif de Nancy et l'arrêté du 23 mars 2023 du préfet de la Moselle sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Me Corsiglia une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Corsiglia.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 16 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Agnel, président,

- M. Barteaux, premier conseiller,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLe président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 23NC02121


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02121
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : CORSIGLIA

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-16;23nc02121 ?
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