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16/05/2024 | FRANCE | N°21NC02074

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 16 mai 2024, 21NC02074


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 20 février 2020 par laquelle l'inspecteur du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Grand-Est a autorisé son licenciement pour faute.



Par un jugement n° 2000913 du 22 juin 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la requête de M. B....



Procédure devant la cour :
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Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 juillet 2021 et 3 janvier 2022, M. B..., représenté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 20 février 2020 par laquelle l'inspecteur du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Grand-Est a autorisé son licenciement pour faute.

Par un jugement n° 2000913 du 22 juin 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté la requête de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 juillet 2021 et 3 janvier 2022, M. B..., représenté par Me Schmitt, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 22 juin 2021 ;

2°) d'annuler la décision par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le contrôle d'alcoolémie auquel il a été soumis est irrégulier dès lors que le règlement intérieur ne lui est pas opposable à défaut d'affichage régulier et en l'absence d'état d'ébriété apparent ;

- le test d'alcoolémie n'est pas conforme ;

- la contre-expertise prévue par l'article 2.7 du règlement intérieur ne lui a pas été proposée clairement ce que l'inspecteur du travail n'a pas vérifié ;

- la sanction est disproportionnée.

Par des mémoires, enregistrés les 14 septembre 2021 et 10 mars 2022, la société SA Magasins Généraux d'Epinal - MGE, représentée par Me Jeanney-Madrias, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre du travail, de la santé et des solidarités qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Peton, première conseillère,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Jeanney-Madrias pour la société Magasins Généraux d'Epinal - MGE.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., conducteur de poids-lourds, était employé par la société SA Magasins Généraux d'Epinal - MGE depuis le 30 mars 1993. Il était par ailleurs membre élu titulaire de la délégation du personnel au sein du comité économique et social de l'entreprise et bénéficiait à ce titre du statut de salarié protégé. La société MGE a sollicité l'autorisation de licencier M. B... pour faute grave au motif que le 27 janvier 2020, l'intéressé avait réalisé un trajet d'une durée d'une heure et quarante-trois minutes avec un ensemble routier de l'entreprise pour se rendre à une réunion du comité social et économique alors qu'il était en état d'ébriété. L'inspecteur du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Grand-Est a autorisé ce licenciement par une décision du 20 février 2020. M. B... relève appel du jugement du 22 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Aux termes de l'article L. 1321-1 du code du travail : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : 1° Les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement, notamment les instructions prévues à l'article L. 4122-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 1321-4 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date d'adoption du règlement intérieur de la société MGE : " Le règlement intérieur ne peut être introduit qu'après avoir été soumis à l'avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ainsi que, pour les matières relevant de sa compétence, à l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Le règlement intérieur indique la date de son entrée en vigueur. Cette date doit être postérieure d'un mois à l'accomplissement des formalités de dépôt et de publicité (...). Aux termes de l'article L. 1321-3 du même code : " Le règlement intérieur ne peut contenir : (...) 2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 4121-1 de ce code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (...) ". Aux termes de l'article R. 4228-20 : " Aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n'est autorisée sur le lieu de travail. Lorsque la consommation de boissons alcoolisées, dans les conditions fixées au premier alinéa, est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur, en application de l'article L. 4121-1 du code du travail, prévoit dans le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d'accident. Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d'une limitation voire d'une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché. ". Enfin, aux termes de l'article R. 4228-21 de ce code : " Il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d'ivresse ".

4. Il résulte des articles L. 1321-1, L. 1321-3, L. 4121-1, R. 4228-20 et R. 4228-21 du code du travail, d'une part, que l'employeur ne peut apporter des restrictions aux droits des salariés que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Il en résulte, d'autre part, que l'employeur, qui est tenu d'une obligation générale de prévention des risques professionnels et dont la responsabilité, y compris pénale, peut être engagée en cas d'accident, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A ce titre, l'employeur peut, lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, prendre des mesures, proportionnées au but recherché, limitant voire interdisant cette consommation sur le lieu de travail. En cas de danger particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers, il peut également interdire toute imprégnation alcoolique des salariés concernés. Ainsi, que les dispositions d'un règlement intérieur permettant d'établir sur le lieu de travail l'état d'ébriété d'un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites dès lors, d'une part, que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation, d'autre part, qu'eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger.

5. La société SA Magasins Généraux d'Epinal - MGE a adopté un règlement intérieur le 9 mai 2017, soumis à l'inspection du travail le 4 avril 2017, dont l'article 2.7 prévoit : " Alcool, drogues et autres substances psychoactives licites ou illicites : (...) Il est interdit de pénétrer dans l'entreprise en état d'ivresse ou sous l'emprise de la drogue ou d'autres substances, y compris licites, susceptibles de présenter un risque sécuritaire pour le salarié et/ou pour ses collègues et/ou pour les tiers. Dans un but de prévention et en raison de l'obligation faite au chef d'entreprise d'assurer la sécurité dans son entreprise et de l'obligation de précaution qui en découle, il pourra être demandé au salarié de se soumettre à l'épreuve d'un éthylotest (alcool) ou à celle d'un test de dépistage salivaire (drogue) si son état présente un danger pour sa sécurité ou celle des autres. Afin de garantir l'objectivité des résultats, le respect de la dignité des personnes et des droits de la défense, les règles suivantes devront être respectées lors de la mise en œuvre de ces contrôles : - Les tests devront être pratiqués par la Direction, la hiérarchie ou en cas d'indisponibilité immédiate toute autre personne désignée par la Direction, qui aura reçu une information appropriée sur la manière de procéder aux tests concernés et d'en lire les résultats. - A ce titre, la personne pratiquant le test devra respecter scrupuleusement la notice d'utilisation rédigée par le fournisseur, s'assurer que le test de dépistage se trouve en parfait état (validation et conservation) et veiller à éviter toute circonstance susceptible d'en fausser le résultat. (...) Lors de ces contrôles, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. Suite à un dépistage positif il est proposé au salarié une contre-expertise dans un laboratoire d'analyses, pour procéder à une prise de sang (alcool) ou à une analyse d'urine (drogue). En cas d'acceptation de la contre-expertise, le transport de l'intéressé vers un hôpital ou un laboratoire d'analyses médicales sera organisé. Cette procédure vise à protéger tout salarié susceptible de mettre en danger sa sécurité et/ou celle des tiers et de cause un préjudice matériel et/ou organisationnel afin de prévenir et de faire cesser une situation dangereuse. La liste des postes à risque concernés par l'obligation de se soumettre à l'éthylotest et/ou au test de dépistage salivaire est annexé au présent règlement intérieur (...) Suite à un dépistage positif de l'alcootest et/ou de la prise de sang, du test salivaire et/ou de l'analyse d'urine le salarié pourra faire l'objet de l'une des sanctions prévues au titre 5 ci-après ".

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, le 27 janvier 2020, M. B... a quitté son domicile vers 6 heures du matin et a conduit pendant une heure quarante-trois minutes avec un ensemble routier de la société pour assister à la réunion du comité économique et social de son entreprise à 8 heures du matin. Lors de la présence de M. B... dans les locaux de l'entreprise, le directeur des ressources humaines a demandé la réalisation d'un contrôle d'alcoolémie. Les éthylotests réalisés à 9 heures et 15 minutes puis trente minutes plus tard se sont révélés positifs.

7. En premier lieu, M. B... soutient, pour contester la matérialité des faits qui lui sont reprochés et remettre en cause la réalisation des tests d'alcoolémie, que le règlement intérieur de la société SA Magasins Généraux d'Epinal - MGE ne lui est pas opposable à défaut d'avoir été régulièrement affiché dans les locaux de l'entreprise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1321-4 du code du travail. Toutefois, à supposer même que les mesure de publicité n'aient pas été régulièrement accomplies une telle circonstance est sans incidence sur la matérialité des faits constatés. Il en va de même de la notification de ce règlement dont M. B... soutient qu'elle est tardive.

8. En deuxième lieu, M. B... soutient que le contrôle d'alcoolémie auquel il a été soumis n'aurait pas dû être réalisé dès lors qu'il n'était pas en état d'ébriété apparent. Une telle circonstance est toutefois sans incidence dès lors que la matérialité des faits a été constatée.

9. En troisième lieu, il ressort de l'attestation établie par le supérieur hiérarchique de M. B... et de la salariée que ce dernier a acceptée pour l'assister que deux tests ont été réalisés à trente minutes d'intervalle en présence d'un témoin choisi par le salarié, que la date de validité de ces tests a été vérifiée en présence de M. B... et que le mode de fonctionnement de ces tests a été expliqué. Par ailleurs, M. B... a contresigné la feuille comportant le résultat des tests à laquelle était annexé les emballages comportant les dates d'expiration du matériel de contrôle. Il n'apparait pas que la notice d'utilisation du fournisseur n'aurait pas été respectée ou que les éthylotests auraient été conservés dans de mauvaises conditions et par ailleurs M. B... n'a émis aucune réserve lorsqu'il a contresigné la feuille de résultats.

10. En quatrième lieu, M. B... soutient que la proposition de contre-expertise prévue par l'article 2.7 du règlement intérieur ne lui a pas été clairement faite. Il n'apporte toutefois aucun élément probant au soutien de ses allégations. Il ressort au contraire des pièces du dossier que M. B... n'a pas répondu à cette possibilité et a notamment indiqué à l'inspecteur du travail lors de son enquête qu'il n'avait pas répondu à la proposition qui lui avait été faite par son supérieur hiérarchique dès lors qu'il était perturbé. Par ailleurs, la proposition d'une telle contre-expertise est une garantie pour le salarié qu'il appartient à ce dernier d'accepter, et dès lors que l'employeur a fait cette proposition, le fait que le salarié ne l'a pas acceptée n'est pas de nature à remettre en cause les résultats positifs des deux tests précédents.

11. En dernier lieu, eu égard aux faits constatés au point 8, aux fonctions de conducteur routier et de tuteur de M. B..., et compte tenu de la gravité des faits liés à la conduite en état d'ébriété d'un ensemble routier, ce dernier a commis une faute grave de nature à justifier le licenciement sans que cette sanction n'ait de lien avec le mandat exercé par le salarié. En conséquence, le moyen tiré de ce que la sanction serait disproportionnée doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la SA Magasins Généraux d'Epinal-MGE, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa requête.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y pas a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. B... la somme demandée par la société SA Magasins Généraux d'Epinal - MGE au même titre.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société SA Magasins Généraux d'Epinal - MGE sur le fondement de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société SA Magasins Généraux d'Epinal - MGE, à Me Schmitt, à Me Jeanney-Madrias et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- M. Sibileau, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

N° 21NC02074002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02074
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL D'EPINAL

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-16;21nc02074 ?
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