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16/05/2024 | FRANCE | N°21NC02027

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 16 mai 2024, 21NC02027


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 20 juin 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute, ainsi que la décision du 29 novembre 2019 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique et de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jug

ement n° 2000180 du 17 mai 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 20 juin 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute, ainsi que la décision du 29 novembre 2019 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique et de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2000180 du 17 mai 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 juillet 2021, M. A..., représenté par la SCP MCM et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) d'annuler la décision par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute ainsi que la décision de la ministre du travail rejetant son recours hiérarchique ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la ministre et l'inspection du travail ont fait une inexacte appréciation des faits dès lors qu'il n'a pas refusé de rejoindre son nouveau lieu de travail mais qu'il était en arrêt de travail et que l'avis d'aptitude du médecin du travail se prononçait uniquement sur son poste à la Sitelle ;

- l'article 31 de la convention collective nationale de travail des établissements du service pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 prévoit qu'une mutation doit présenter un caractère temporaire et être justifiée par les nécessités du service et dans la mesure où l'affectation qui lui était imposée était définitive, dès lors il n'a pas pu commettre de faute en refusant de rejoindre cette affectation ;

- la mutation qui lui est imposée constitue une modification de son contrat de travail dont le refus ne peut être considéré comme présentant les caractéristiques d'une faute ;

- les faits qui lui sont reprochés ne caractérisent pas une faute grave de nature à justifier le licenciement ;

- les décisions contestées constituent une nouvelle sanction des faits déjà sanctionnés par la décision de mise à pied.

Par un mémoire enregistré le 13 septembre 2021, l'association Les papillons blancs en Champagne, représentée par Me Coutant, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 25 juillet 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 août 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Peton, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., éducateur spécialisé employé par l'association Les papillons blancs en Champagne était affecté au sein de l'institut médico-éducatif (IME) La Sitelle à Reims. Il était par ailleurs membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du pôle " enfance et polyhandicap " et bénéficiait à ce titre du statut de salarié protégé. A la suite de la plainte d'une collègue concernant le comportement de M. A..., une enquête administrative a été diligentée et il a été constaté que ce dernier avait un comportement inapproprié envers certains enfants pris en charge et envers certains collègues. Une sanction disciplinaire de mise à pied pour une durée de deux jours a été prononcée le 12 février 2019. L'association a ensuite décidé de modifier le lieu de travail de M. A... et de l'affecter au service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) " Galilée " situé à Reims. Devant le refus de ce dernier d'accepter le changement, l'association a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de le licencier. Par une décision du 20 juin 2019, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. A.... Et par une décision du 29 novembre 2019, la ministre du travail, saisie d'un recours hiérarchique, a confirmé cette autorisation. M. A... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de ces deux décisions. Il relève appel du jugement du 17 mai 2021 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'association Les papillons blancs en Champagne a adressé un premier courrier à M. A... le 1er avril 2019 pour l'informer du changement de son lieu de travail, de l'IME La Sitelle au SESSAD Galilée, à compter du 15 avril suivant. Ce pli a été retiré par M. A... le 12 avril 2019. Puis le 9 avril, l'association a adressé un nouveau courrier à M. A... retardant la prise de poste au 19 avril 2019. M. A... a refusé de se faire remettre ce courrier en mains propres et a retiré le pli recommandé le 17 avril suivant. Dans le même temps, M. A... a été placé en arrêt de travail du 15 au 22 avril puis du 25 au 26 avril. Malgré la réception des courriers l'informant de son affectation, M. A... s'est rendu sur son ancien lieu de travail les 23, 24, 25, 29 et 30 avril. En agissant ainsi, M. A... a clairement manifesté son refus de rejoindre son nouveau poste de travail au SESSAD Galilée. Il a par ailleurs confirmé ce refus lors de l'entretien préalable au licenciement le 17 mai 2019. Si M. A... se prévaut de l'avis du médecin du travail du 6 mai 2019 mentionnant son aptitude à occuper son emploi sur le site de La Sitelle, il ressort des pièces du dossier que cet avis a été rendu à la demande de l'employeur alors que M. A... était déjà affecté au SESSAD Galilée et qu'il avait refusé de rejoindre son nouveau poste de travail. Au demeurant, un tel avis ne suffit pas à justifier que M. A... ne pourrait pas exercer ses fonctions au SESSAD faisant ainsi échec à la décision de modification de son lieu de travail. En conséquence, le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits doit être écarté.

4. En deuxième lieu, en l'absence de mention contractuelle du lieu de travail d'un salarié, la modification de ce lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail, dont le refus par le salarié est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement, lorsque le nouveau lieu de travail demeure à l'intérieur d'un même secteur géographique, lequel s'apprécie, eu égard à la nature de l'emploi de l'intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l'ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport disponibles. En revanche, sous réserve de la mention au contrat de travail d'une clause de mobilité ou de fonctions impliquant par elles-mêmes une mobilité, tout déplacement du lieu de travail du salarié, ce qui doit être distingué de déplacements occasionnels, dans un secteur géographique différent du secteur initial constitue une modification du contrat de travail.

5. En l'espèce, le contrat de travail à durée indéterminée signé entre l'association Les papillons blancs en Champagne et M. A... le 30 août 2005 mentionnait que ce dernier était affecté à l'IME La cerisaie mais qu'en " fonction des nécessités de service (fonctionnement, projet pédagogique, etc...) M. B... A... pourra être affecté à titre provisoire ou définitif dans tout autre secteur ou établissement de l'association (du même secteur géographique) ". Dès lors, le document ne prévoyait pas un exercice des fonctions sur un lieu de travail unique en excluant toute modification. Par ailleurs, le SESSAD, nouveau lieu de travail de M. A..., est situé à Reims, soit dans le même secteur géographique que l'IME La Sitelle au sein duquel il était précédemment affecté. Si M. A... soutient que ce changement d'affectation va le contraindre à effectuer des déplacements et à obtenir son permis de conduire, il n'apporte aucun élément sérieux au soutien de ses allégations alors que l'association a tenu compte tout au long du processus du fait qu'il n'est pas titulaire du permis de conduire et que cette dernière fait valoir sans être contredite, que le SESSAD " Galilée " accueille des enfants sur place et que les entretiens avec les familles peuvent être menées sur place.

6. Par ailleurs, l'article 31 relatif à l'exécution du service et aux devoirs du personnel de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, prévoit en son deuxième alinéa que la direction de chaque établissement peut procéder à toute mutation temporaire nécessitée par les besoins du service ou par les qualités et le rendement du salarié. Contrairement à ce que soutient M. A..., ces stipulations ne prohibent pas que l'employeur impose au salarié un changement de lieu de travail présentant un caractère définitif.

7. En conséquence, la modification du lieu de travail de M. A... constitue, en l'espèce, un simple changement de ses conditions de travail et non une modification de son contrat et le refus de rejoindre cette nouvelle affectation est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement.

8. En troisième lieu, le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

9. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la modification des conditions de travail de M. A... consiste en une mutation vers une nouvelle affectation. Toutefois, ce nouveau lieu de travail se situe dans le même secteur géographique que le précédent et est plus proche du domicile du salarié. Ce dernier conserve les mêmes fonctions d'éducateur spécialisé, exerce auprès d'enfants accueillis sur place dans des conditions comparables à celles qu'il connaissait sur son ancien lieu d'affectation, conserve les mêmes horaires de travail et la même rémunération. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas allégué par M. A... que ce changement d'affectation était de nature à affecter l'exercice de ses fonctions représentatives. Enfin, l'association Les papillons blancs en Champagne rappelle à plusieurs reprises, et notamment dans les courriers de notification du changement d'affectation, que cette modification résulte de la nécessité de séparer, à la demande du médecin du travail, M. A... de la salariée l'ayant accusé de harcèlement afin de permettre la réintégration de celle-ci au sein de l'IME La Sitelle et d'assurer le bon fonctionnement du service. En conséquence, eu égard à la nature du changement envisagé de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, le refus de M. A... d'accepter la modification de ses conditions de travail constitue une faute grave de nature à justifier le licenciement, sans que cette mesure ne présente de lien avec le mandat exercé par l'intéressé, et les décisions contestées ne sont pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

10. En dernier lieu, alors même que le changement d'affectation de M. A... résulte de son comportement inapproprié ayant donné lieu à une sanction de mise à pied de deux jours le 12 février 2019, le licenciement de ce dernier est motivé par son refus d'accepter la modification de ses conditions de travail et ne saurait donc être regardé comme une nouvelle sanction infligée pour les faits déjà sanctionnés. M. A... ne peut donc soutenir qu'il a été sanctionné deux fois pour les mêmes faits.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. A... la somme demandée par l'association Les papillons blancs en Champagne au même titre.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'association Les papillons blancs en Champagne sur le fondement de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à l'association Les papillons blancs en Champagne, à la SCP MCM et Associés, à Me Coutant et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- M. Sibileau, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mai 2024.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

N° 21NC02027002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02027
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : COUTANT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-16;21nc02027 ?
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