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13/05/2024 | FRANCE | N°23NC01545

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 13 mai 2024, 23NC01545


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 6 mai 2022 par lequel le préfet des Vosges a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office.



Par un jugement n° 2202113 du 4 octobre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.



Procédure dev

ant la cour :



Par une requête enregistrée le 17 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Gehin, demande à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 6 mai 2022 par lequel le préfet des Vosges a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office.

Par un jugement n° 2202113 du 4 octobre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Gehin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;

3°) d'enjoindre au préfet des Vosges de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'arrêt et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur les fondements des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le refus de séjour : a été pris en violation du droit d'être entendu garanti par l'article 41 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et des articles L. 121-1 et 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ; méconnaît les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'obligation de quitter le territoire : est privée de base légale du fait de l'illégalité du refus de séjour ; a été prise en violation du droit d'être entendu garanti par l'article 41 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et des articles L. 121-1 et 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ; a été prise en méconnaissance de la garantie de pouvoir être assistée et représentée par un avocat dans ses démarches avec la préfecture en violation de l'article 6 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ; méconnaît les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision fixant le pays de destination est privée de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire.

Par un mémoire enregistré le 5 juillet 2023, le préfet des Vosges conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Mme B... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par décision du 27 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;

- et les observations de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante camerounaise née le 13 novembre 1954, est entrée en dernier lieu sur le territoire français le 27 novembre 2017 sous couvert d'un visa de court séjour valable jusqu'au 29 mai 2018. La requérante a sollicité le 18 janvier 2022 son admission au séjour en France. Par un arrêté du 6 mai 2022, le préfet des Vosges a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être reconduite. Mme B... relève appel du jugement du 4 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté pris dans son ensemble :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ". Aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix ". Aux termes de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 : " Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires ".

3. La requérante a sollicité son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale par une demande écrite accompagnée de tous les justificatifs utiles. Il lui appartenait, lors du dépôt de sa demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'elle estimait nécessaires. Si elle soutient par ailleurs avoir sollicité un entretien oral qui lui aurait été refusé, elle n'en justifie pas alors qu'elle ne pouvait ignorer qu'à la suite du rejet de sa demandes de titre de séjour, elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement. La requérante ne saurait en outre se prévaloir des dispositions ci-dessus reproduites du code des relations entre le public et les administrations lesquelles ne sont applicables, ni s'agissant d'une demande de titre de séjour, dès lors que la procédure contradictoire qu'elles prévoient ne trouve pas à s'appliquer lorsqu'il est statué sur une demande, ni s'agissant des autres décisions litigieuses, dans la mesure où il ressort des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français. Mme B... ne saurait utilement se prévaloir d'un droit à rencontrer l'instructeur en charge de sa demande de régularisation, aucune stipulation ou disposition ne pouvant être regardée comme consacrant un tel droit. Le défaut de rendez-vous permettant d'expliquer oralement sa situation ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme méconnaissant le droit de l'étranger à être assisté par un avocat, une telle assistance pouvant prendre la forme, comme en l'espèce, de la rédaction d'un document au soutien de la demande de titre de séjour. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du droit à être entendue et à l'assistance d'un avocat, préalablement au refus de séjour et à l'obligation de quitter le territoire, doivent être écartés.

Sur la légalité du refus de séjour :

4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières dispositions que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

5. Si Mme B... établit que vivent en France trois de ses filles, dont deux sont mariées à des ressortissants français et la troisième est de nationalité française, ainsi que l'une de ses sœurs de nationalité française et ses deux frères dont l'un est de nationalité française, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, elle ne résidait en France que depuis environ cinq années, en s'y maintenant de manière irrégulière après avoir laissé expirer son visa d'entrée sans solliciter sa régularisation, et qu'ayant vécu au Cameroun jusqu'en 2017, elle a été séparée des membres de sa famille résidant en France pendant de nombreuses années, nonobstant les visites qu'elle a pu leur rendre au cours des années précédentes. Par ailleurs, bien qu'elle soit divorcée de son époux depuis 2013, elle ne démontre pas être isolée dans son pays d'origine où elle a vécu la majorité de son existence et où vit toujours son fils aîné. Par ailleurs, si Mme B... se prévaut de la fragilité de sa santé, elle ne démontre pas que les affections dont elle souffrirait, qu'elle ne précise au demeurant pas, ne lui permettraient pas d'être autonome dans son pays d'origine, et n'établit pas qu'elle serait dans l'impossibilité, le cas échéant, d'y être assistée dans sa vie quotidienne. Ni la durée de la présence en France de Mme B..., ni sa situation personnelle et familiale telle qu'elle a été exposée au point 11 du présent jugement ne constituent des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La circonstance que Mme B... s'occupe de ses petits-enfants pendant que ses filles exercent leur activité professionnelle ne suffit pas, malgré les liens qui les unissent, à établir que les décisions en litige auraient méconnu l'intérêt supérieur de ces enfants qui bénéficient de la présence de leurs parents à leurs côtés. En outre, la décision de refus de titre de séjour n'a ni pour objet ni pour effet de séparer durablement la requérante de ses petits-enfants. Par suite, la décision attaquée ne méconnaît pas les normes ci-dessus reproduites et ne paraît pas reposer sur une appréciation manifestement erronée de la situation de Mme B..., qui relèverait le cas échéant d'un titre visiteur ou ascendant à charge.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire :

6. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que Mme B... n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, le moyen tiré de l'illégalité du refus de titre de séjour à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français.

7. Pour les mêmes motifs que ci-dessus, l'obligation de quitter le territoire n'a pas méconnu les normes ci-dessus reproduites au point 4 et ne paraît pas reposer sur une appréciation manifestement erronée des conséquences de toutes nature d'une mesure d'éloignement sur la situation personnelle de Mme B....

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Gehin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie du présent arrêt sera transmise au préfet des Vosges.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2024.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 23NC01545 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01545
Date de la décision : 13/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : GEHIN - GERARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-13;23nc01545 ?
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