La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/04/2024 | FRANCE | N°23NC03579

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 30 avril 2024, 23NC03579


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par deux recours distincts, M. D... G... A... C... et Mme F... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, chacun en ce qui le concerne, d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2023 du préfet de la Moselle portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, désignation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement nos 2305757, 2305758 du 5 octobre 2023, le magi

strat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg les a admis au bén...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux recours distincts, M. D... G... A... C... et Mme F... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, chacun en ce qui le concerne, d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2023 du préfet de la Moselle portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, désignation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement nos 2305757, 2305758 du 5 octobre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg les a admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 11 décembre 2023 sous le n° 23NC03579, M. D... G... A... C..., représenté par Me Elsaesser, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle en date du 28 juillet 2023 le concernant ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de sept jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la notification du jugement à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros hors taxe au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé, en tant qu'il se prononce sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ;

- il est entaché d'omission à statuer, s'agissant de ce moyen ;

- le premier juge n'a pas procédé à un examen réel et sérieux des pièces fournies et de sa situation, en particulier s'agissant des circonstances humanitaires de nature à rendre illégale l'interdiction de retour sur le territoire français ;

- le premier juge a dénaturé les pièces du dossier ;

- le jugement est entaché d'erreurs de droit ;

- les obligations de quitter le territoire français et les décisions fixant le pays de renvoi portent une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et portent atteinte à l'intérêt supérieur de son enfant ;

- les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont méconnues par la décision fixant le pays de renvoi ;

- l'interdiction de retour est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, elle est illégale en raison de l'existence de circonstances humanitaires ;

- l'illégalité de la mesure d'éloignement entache d'illégalité la décision fixant le pays de renvoi et l'interdiction de retour.

II) Par une requête enregistrée le 11 décembre 2023 sous le n° 23NC03591, Mme F..., représentée par Me Elsaesser, présente des conclusions et moyens similaires à ceux invoqués dans l'instance n° 23NC03579.

Par un mémoire enregistré le 10 janvier 2024, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête, dans les deux instances.

Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

M. A... C... et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décisions du 7 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Samson-Dye a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., né en 1989, et Mme E..., née en 1996, de nationalité vénézuélienne, sont entrés en France munis de leurs passeports avec leur fille mineure le 25 mars 2022 aux fins de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Leur demande d'asile a été rejetée par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 23 décembre 2022, notifiées le 16 janvier 2023, et de la Cour nationale du droit d'asile du 21 juillet 2023, notifiées le 27 juillet 2023. Par deux arrêtés du 28 juillet 2023, le préfet de la Moselle leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, M. A... C... et Mme E... relèvent appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande que chacun d'entre eux avait introduite pour demander l'annulation de l'arrêté le concernant.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, les requérants soutiennent que le jugement est entaché d'omission à statuer ainsi que d'insuffisance de motivation, au motif que le premier juge n'a pas répondu à leur moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, et invoqué contre les obligations de quitter le territoire français. Toutefois, le premier juge, qui n'avait pas à répondre à tous les arguments mentionnés à l'appui de ce moyen, a répondu à ce moyen en se référant aux mêmes éléments que ceux évoqués au titre de la vie privée et familiale, à savoir la brièveté du séjour des intéressés en France, le fait que les décisions ne mettent pas fin à l'unité familiale, ainsi que le défaut de démonstration quant à l'absence de lien dans le pays d'origine, quand bien même les intéressés ont de la famille en France. De plus, il ne saurait être reproché au premier juge de n'avoir pas examiné les risques encourus en cas de retour dans le pays d'origine, pour répondre à ce moyen, dès lors que de tels risques sont, par eux-mêmes, sans incidence sur la légalité des mesures d'éloignement. Le jugement, qui s'est ainsi prononcé sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, est suffisamment motivé à cet égard.

3. En deuxième lieu, il ne ressort, en tout état de cause, pas des pièces du dossier que le premier juge n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux des demandes des requérants. Le moyen tiré du défaut d'examen manque donc en fait.

4. En troisième lieu, si les requérants soutiennent que le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit ainsi que de dénaturation des pièces du dossier, de telles erreurs seraient sans influence sur sa régularité et ne sont susceptibles d'être examinées que dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur la légalité des arrêtés litigieux :

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...)/ 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Il ressort des pièces du dossier que les requérants ne sont entrés en France que le 25 mars 2022, avec leur fille née en 2018 et ne justifient donc que d'un séjour particulièrement bref à la date des arrêtés contestés. S'ils se prévalent de la présence en France de la mère et de la sœur de M. A... C..., toutes deux de nationalité vénézuélienne, qui résident en France sous couvert de cartes de résident et se sont vu reconnaître chacune la qualité de réfugié, cette circonstance ne saurait suffire à leur donner un droit à se maintenir sur le territoire français auprès de ces dernières, alors au surplus qu'ils ne justifient pas être dépourvus d'attaches familiales hors de France. Dans ces conditions, les obligations de quitter le territoire français ne portent pas une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale et ne méconnaissent pas les stipulations citées au point précédent.

7. Par ailleurs, les mesures d'éloignement n'ont pas pour effet de séparer les requérants de leur fille. Elles ne portent donc pas atteinte à l'intérêt supérieur de cette dernière et ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

8. En revanche, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

9. Au regard des pièces produites devant la cour, M. A... C... est exposé à des risques, au sens des stipulations et dispositions citées au point précédent, compte tenu de la menace de groupes paramilitaires dont il a été l'objet. M. A... C... explique ces menaces par sa proximité avec un homme accusé d'avoir participé à un complot dirigé contre M. B... ainsi que le relate un article de presse. Cet homme, avec lequel M. A... C... a travaillé au sein de juridictions vénézuéliennes, est l'ancien compagnon de sa sœur, laquelle a obtenu la qualité de réfugié. Dès lors, en l'état des pièces du dossier, la décision désignant le pays de renvoi de M. A... C... méconnaît ces dispositions et stipulations, en tant qu'elle fixe le Venezuela comme pays de destination.

10. Dans ces conditions, compte tenu de l'impossibilité pour les époux de poursuivre leur vie familiale dans leur pays d'origine, la décision fixant le Venezuela comme pays de destination à l'égard de Mme E... doit être regardée comme portant à son droit au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et, par suite, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Enfin, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". L'article L. 612-7 de ce code prévoit l'édiction d'une interdiction de retour lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire qui lui avait été imparti. L'article L. 612-8 du même code précise : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ".

12. Il ressort des pièces du dossier que les requérants ne relèvent ni de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni de l'article L. 612-7, de sorte que l'édiction d'une interdiction de retour n'était qu'une simple faculté pour l'administration. S'ils sont présents en France depuis seulement un an à la date des décisions litigieuses, ils n'ont pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et il est constant qu'ils ne représentent pas de risque pour l'ordre public. De plus, la mère et la sœur du requérant résident régulièrement en France, sous couvert d'une carte de résident, et ne peuvent retourner au Venezuela compte tenu de leur statut de réfugié. Dans ces conditions, les décisions interdisant aux requérants de retourner en France pendant une durée d'un an sont entachées d'erreur d'appréciation.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A... C... et Mme E... sont seulement fondés à demander l'annulation des arrêtés du 28 juillet 2023 en tant qu'ils désignent le Venezuela comme pays de retour et portent interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, et à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il ne fait pas droit à ces conclusions.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

14. L'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas nécessairement, par elle-même, que le préfet de la Moselle réexamine la situation des intéressés ou leur délivre une autorisation provisoire de séjour. Les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte doivent donc être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des requérants tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Les arrêtés du préfet de la Moselle du 28 juillet 2023 sont annulés en tant qu'ils désignent le Venezuela comme pays de renvoi de M. A... C... et Mme E... et en tant qu'ils portent interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Article 2 : Le jugement nos 2305757, 2305758 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 5 octobre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... G... A... C..., à Mme F..., à Me Elsaesser et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024

La rapporteure,

Signé : A. Samson-DyeLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

Nos 23NC03579, 23NC03591


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03579
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : ELSAESSER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;23nc03579 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award