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09/04/2024 | FRANCE | N°23NC01602

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 09 avril 2024, 23NC01602


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 avril 2022 par lequel le préfet de la Moselle a refusé le renouvellement de son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.



Par un jugement n° 2203034 du 25

août 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 avril 2022 par lequel le préfet de la Moselle a refusé le renouvellement de son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par un jugement n° 2203034 du 25 août 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 mai 2023, M. C... B..., représenté par Me Thalinger, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 25 août 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 avril 2022 par lequel le préfet de la Moselle a refusé le renouvellement de son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de réexaminer sa situation sous astreinte de 155 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la compétence du signataire de la décision en litige n'est pas établie ;

- il n'a pas été mis en mesure de présenter des observations en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- il n'a pas été informé de la faculté de solliciter un titre de séjour sur un autre fondement que l'asile en méconnaissance de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; étant analphabète, il n'a pu prendre connaissance des documents qui lui ont été remis en langue arabe l'informant de la possibilité de solliciter sur d'autres fondements un titre de séjour et la sanction attachée alors que la langue des signes arabes est différente de la langue écrite et que l'administration connaissait sa surdité ; il a été privé de la faculté de se prévaloir de certaines circonstances ;

- la décision en litige est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne mentionne pas sa surdité qui était susceptible d'avoir une incidence sur une mesure d'éloignement en application du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision en litige méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux ; sa surdité, qui n'est pas mentionnée, constitue une circonstance humanitaire s'opposant au prononcé d'une telle mesure ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation en raison de la présence de sa famille en France et de ses efforts d'insertion.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant algérien, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 2 mars 2020. Il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande par une décision du 10 septembre 2021, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 27 décembre 2021. Par un arrêté du 7 avril 2022, le préfet de la Moselle a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. B... fait appel du jugement du 25 août 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, M. B... reprend en appel, sans apporter d'éléments nouveaux, les moyens tirés de l'incompétence du signataire de la décision en litige, de la méconnaissance de son droit de présenter des observations prévu par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'insuffisante motivation de cette décision, qu'il y a lieu d'écarter par adoption des motifs exposés à juste titre aux points 3 à 4 et 6 du jugement attaqué et qui n'appellent aucune précision complémentaire.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 611-3, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour ". Aux termes de l'article D. 431-7 du même code : " Pour l'application de l'article L. 431-2, les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois. Toutefois, lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné à l'article L. 425-9, ce délai est porté à trois mois ". Aux termes des dispositions de l'article R. 425-12 du même code : " (...) Le demandeur dispose d'un délai d'un mois à compter de l'enregistrement de sa demande en préfecture pour transmettre à l'office et de l'intégration le certificat médical mentionné au premier alinéa. Lorsque la demande est fondée sur l'article L. 431-2, le certificat médical est transmis dans le délai mentionné à ce même article ".

4. M. B... fait valoir que si des documents lui ont été remis en langue arabe en préfecture, il n'a pas été en mesure de les lire en raison de son analphabétisme et de la différence entre le langage des signes et l'écrit arabe alors que l'administration, qui n'ignorait pas sa surdité, aurait dû recourir à un interprète en langue des signes. Toutefois, les dispositions précitées ont pour seul objet de fixer le délai dans lequel un demandeur d'asile peut, le cas échéant, déposer une demande de titre de séjour sur un autre fondement à compter de la délivrance de l'information qu'elles prévoient. Il s'ensuit qu'en admettant même que l'intéressé puisse être regardé comme n'ayant pas reçu l'information prévue par l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le non-respect de ces dispositions, qui fait seulement obstacle au déclenchement des délais des articles D. 431-7 et R. 425-12 du même code, n'entache pas d'illégalité l'obligation de quitter le territoire français prise à la suite du rejet de la demande d'asile.

5. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. M. B... était présent depuis deux ans seulement à la date de la décision en litige. S'il se prévaut de son mariage avec une ressortissante française en septembre 2022, cette circonstance est postérieure à la décision en litige. Si le requérant allègue être isolé en Algérie, il ne l'établit pas alors qu'il y a vécu jusqu'à l'âge de quarante ans. Par ailleurs, s'il allègue que certains membres de sa famille demeurent en France, il ne le démontre pas en se bornant à justifier de la présence d'un prétendu neveu alors même qu'il avait déclaré en préfecture ne pas avoir de famille sur le territoire français. Il n'apporte pas d'élément justifiant d'une insertion particulière dans la société française en dehors de la famille de son épouse. Dans ces conditions, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Moselle n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ce refus a été décidé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'intéressé au regard de son pouvoir de régularisation.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

7. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

8. Si la présence de M. B... en France est récente, il justifie entretenir une relation avec une ressortissante française depuis environ deux ans à la date de la décision en litige et il l'a, au demeurant, ensuite épousée. Dans ces conditions, en prononçant à l'encontre du requérant une interdiction de retour sur le territoire français d'un an, le préfet a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué contre la décision d'interdiction de retour, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français d'un an.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. Le présent arrêt, qui ne prononce l'annulation de l'arrêté du préfet de la Moselle du 7 avril 2022 pris à l'encontre de M. B... qu'en tant qu'il lui fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. B... au titre des frais de l'instance soit mise à la charge de l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante pour l'essentiel.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 25 août 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Moselle du 7 avril 2022 en ce qu'il prononce une interdiction de retour du territoire français d'une durée d'un an.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Moselle du 7 avril 2022 est annulé en tant qu'il prononce une interdiction de retour du territoire français d'une durée d'un an.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... à Me Thalinger et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie de l'arrêt sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente assesseure,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : S. BARTEAUX

Le président,

Signé : C. WURTZLe greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC01602 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01602
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : L'ILL LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;23nc01602 ?
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