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09/04/2024 | FRANCE | N°21NC00747

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 09 avril 2024, 21NC00747


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



M. B... A... a demandé successivement au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2019 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle a refusé de le réintégrer de manière effective dans ses fonctions en ne l'autorisant pas à reprendre ses gardes, d'autre part, de condamner le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle à lui verser les sommes de

15 000 euros au titre de son préjudice moral et de 500 euros par mois écoulé, depuis ...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. B... A... a demandé successivement au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 8 juillet 2019 par lequel le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle a refusé de le réintégrer de manière effective dans ses fonctions en ne l'autorisant pas à reprendre ses gardes, d'autre part, de condamner le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle à lui verser les sommes de 15 000 euros au titre de son préjudice moral et de 500 euros par mois écoulé, depuis sa suspension jusqu'à la reprise de ses gardes, au titre de son préjudice financier en raison des agissements de harcèlement moral dont il s'estime victime de la part de sa hiérarchie.

Par un jugement n° 1906168-1906769 du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ces demandes.

Procédures devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mars 2021, M. B... A..., représenté par Me Ponseele, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1906168-1906769 du tribunal administratif de Strasbourg du 12 janvier 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle du 8 juillet 2019 ;

3°) de condamner le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle à lui verser les sommes de 15 000 euros et de 500 euros par mois écoulé, depuis sa suspension jusqu'à la reprise de ses gardes, augmentées des intérêts au taux légal à compter du 21 mai 2019, date de réception de sa première demande, et de leur capitalisation ;

4°) de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en refusant, par l'arrêté en litige du 8 juillet 2019, de l'autoriser à reprendre ses gardes en raison de formations non accomplies, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle a commis une erreur de fait, une erreur de droit et une erreur d'appréciation ;

- il ne peut lui être reproché de ne pas avoir réalisé les formations indispensables à sa reprise effective du service dès lors que l'administration, malgré ses demandes répétées, n'a pas mis tout en œuvre pour le mettre en conformité avec ses obligations en matière de formation et qu'elle a refusé de valider les formations qu'il a accomplies avec succès ;

- les agissements du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, qui visent à l'empêcher de reprendre ses gardes, constituent une faute ;

- ces agissements, qui font suite à la suspension conservatoire et à la sanction de résiliation de son engagement, prononcées illégalement à son encontre, s'insèrent dans un processus global de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en raison de leur caractère répété et de la volonté de l'administration de le dénigrer ;

- les mesures de suspension et de sanction, dont il a fait l'objet, procèdent de décisions illégales ouvrant droit à indemnisation ;

- il est fondé à demander réparation de ses préjudices à hauteur de 15 000 euros pour son préjudice moral et de 500 euros par mois écoulé, depuis sa suspension jusqu'à la reprise effective de ses gardes, pour la perte de ses indemnités.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2021, le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, représenté par Me Keller, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. A... d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Par un courrier du 28 février 2024, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité, en l'absence de liaison du contentieux, des conclusions à fin d'indemnisation des préjudices résultant de l'illégalité fautive des arrêtés des 22 mars et 26 octobre 2018.

Par un courrier du même jour, M. A... a également été invité, conformément aux dispositions de l'article R. 612-1 du code de justice administrative, à régulariser sa requête dans un délai de quinze jours en justifiant, par la production de la décision de l'administration ou, à défaut, de sa demande préalable, que le contentieux a bien été lié pour ce fondement de responsabilité avant le prononcé du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 12 janvier 2021.

Des observations en réponse aux courriers des 28 février 2024, présentées pour M. A... par Me Ponseele, ont été reçues le 12 mars 2024 et communiquées le jour même.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2012-1132 du 5 octobre 2012 ;

- l'arrêté du 8 août 2013 relatif aux formations des sapeurs-pompiers volontaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse,

- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,

- et les observations de Me Ponseele pour M. A... et de Me Hassan pour le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle.

Considérant ce qui suit :

1. Titulaire du grade de sergent-chef, M. B... A... a été engagé, le 1er août 2003, en qualité de sapeur-pompier volontaire par le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle. Du 1er mars 2007 au 1er mai 2020, il a exercé ses fonctions au sein du centre d'incendie et de secours de Montigny-lès-Metz. Par deux arrêtés des 22 mars et 26 octobre 2018, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle a prononcé sa suspension à titre conservatoire, puis la résiliation de son contrat d'engagement de sapeur-pompier volontaire à titre de sanction disciplinaire. Une ordonnance n° 1807369 de la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 14 décembre 2018 ayant suspendu l'exécution de l'arrêté du 26 octobre 2018 et enjoint à l'administration de le réintégrer dans un délai d'un mois, il a fait l'objet, le 11 janvier 2019, d'une réintégration à compter du 14 janvier suivant. Estimant que cette réintégration n'était pas effective, le requérant a, par un courrier le 13 mai 2019, sollicité l'autorisation de reprendre ses gardes. Par un arrêté du 8 juillet 2019, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle a refusé de faire droit à sa demande au motif qu'il n'était pas à jour de ses formations obligatoires au titre de l'année 2018. M. A... a saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation de ce refus. Sa demande préalable d'indemnisation, formée par un autre courrier du 13 mai 2019, ayant également été rejetée le 8 juillet 2019, le requérant a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une nouvelle demande tendant à la condamnation du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle à lui verser les sommes de 15 000 euros au titre de son préjudice moral et de 500 euros par mois écoulé depuis sa suspension jusqu'à la reprise effective de ses gardes, au titre de son préjudice financier, en raison des agissements de harcèlement moral dont il s'estime victime de la part de sa hiérarchie. Il relève appel du jugement n° 1906168-1906769 du 12 janvier 2021 qui rejette ses demandes successives.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne l'arrêté du 8 juillet 2019 :

2. Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 8 août 2013 relatif aux formations des sapeurs-pompiers volontaire, alors en vigueur : " Les formations des sapeurs-pompiers volontaires permettent l'acquisition et l'entretien des compétences opérationnelles, administratives et techniques nécessaires à l'accomplissement de leurs missions et à l'exercice de leurs activités. / Elles comprennent : (...) ; ' les formations continues (formations liées aux avancements de grade et formation de maintien et de perfectionnement des acquis) ; (...) / Les formations sont organisées en modules et/ou unités d'enseignement appelés unités de valeur. ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté : " La formation continue a pour objet de permettre au sapeur-pompier volontaire d'acquérir les capacités nécessaires à l'exercice d'activités nouvelles ou la préservation et le perfectionnement des compétences déjà acquises. ". Aux termes de l'article 8 du même arrêté : " Le maintien dans l'activité peut être conditionné par des formations de maintien et de perfectionnement des acquis. Ces formations ont pour objet la préservation et l'amélioration des compétences. / Les modalités et la périodicité des formations de maintien et de perfectionnement des acquis de tronc commun sont fixées par le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours sur proposition du directeur départemental, après avis du comité consultatif départemental des sapeurs-pompiers volontaires, dans le plan départemental de formation pluriannuel. / (...) ". Aux termes du point 3.6 du livre III du plan départemental de formation pluriannuel des sapeurs-pompiers de la Moselle, approuvé par une décision du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle du 19 décembre 2017 et applicable à compter du 1er janvier 2018 : " III- 3.6.1 - Formation de maintien et de perfectionnement des acquis / (...) / III- 3.6.4 - Contenu / La FMPA est composée de séquences imposées et de séquences optionnelles. La liste des séquences imposées est fixée annuellement par le chef du département formation. / (...) / III- 3.6.4.1 - Répartition des séquences / Les séquences sont déclinées en modules : SAP - Secours à personne, - INC - Incendie, - DIV - Opérations diverses, - GOC - Gestion opérationnelle et commandement, - SPE - Spécialités. / III- 3.6.4.2 - Séquences imposées / - Compétences INC - SAP - DIV / (...) / La participation aux séquences imposées doit être de 100 % pour l'ensemble du corps départemental et conditionne le maintien de l'aptitude opérationnelle. / Compétences " secours routiers " / Les personnels titulaires des compétences " secours routiers " devront suivre au minimum la ou les séquences de FMPA correspondantes (...) ". Enfin, il résulte de la note de service du directeur départemental des services d'incendie et de secours de la Moselle du 20 décembre 2017, relative à la formation de maintien et de perfectionnement des acquis 2018 du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle que, " au 31 décembre de chaque année, le maintien de la compétence opérationnelle est conditionné par la réalisation de l'ensemble des séquences de FMPA obligatoires pour l'agent / L'agent qui n'atteint pas 100% de réalisation est susceptible de perdre sa compétence opérationnelle à compter du 1er janvier de l'année suivante jusqu'à régularisation de sa FMPA ".

3. Il résulte de ces dispositions que le maintien de la compétence opérationnelle des sapeurs-pompiers volontaires est conditionné par la réalisation, chaque année, de l'ensemble des séquences obligatoires de formation de maintien et de perfectionnement des acquis (FMPA), lesquelles séquences, fixées annuellement par le chef du département formation et déclinées en modules, correspondent notamment aux compétences " Incendie " (INC), " Secours à personne " (SAP), " Secours routiers " (SR) et " Opérations diverses " (DIV).

4. Pour refuser, par l'arrêté en litige du 8 juillet 2019, d'autoriser M. A... à reprendre ses gardes, nonobstant sa réintégration à compter du 14 janvier 2019, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle s'est fondé sur la circonstance que l'intéressé n'avait pas réalisé, au titre de l'année 2018, l'ensemble des séquences obligatoires de formation de maintien et de perfectionnement des acquis et que, ayant été destinataire d'un programme de remise à niveau le 7 mai 2019, il n'a pas cherché à régulariser sa situation au cours de l'année 2019 en prenant contact avec les référents mentionnés dans ce document en vue de l'organisation et du déroulement de la formation correspondante.

5. Il ressort des pièces du dossier que, si le requérant justifie, par la production de fiches de suivi et d'évaluation, avoir rattrapé, les 7 et 20 avril 2019, les séquences obligatoires de l'année 2018 afférentes aux compétences " Secours à personne " et " Secours routiers ", il ne démontre pas en avoir fait de même pour celles relatives aux compétences " Incendie " et " Opération diverses " et intitulées respectivement, conformément au tableau annexé à la note de service départementale du 20 décembre 2017, " Bouteilles de gaz et incendie " (INC CA), " Manipulation et utilisation de l'élévateur aérien " (INC MEA), " Marche générale des opérations " (INC 1), " Etablissements et lances " (INC 2), " Lot de sauvetage et de protection contre les chutes " (INC 3), " Appareil respiratoire isolant " (INC 4), " Risque électrique en intervention " (DIV CA) et " Ouverture de porte " (DIV 1). Dans ces conditions, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle était tenu de refuser à M. A... l'autorisation de reprendre ses gardes. Par suite, à supposer même que l'administration aurait tardé, malgré les demandes répétées de l'intéressé, à lui transmettre le programme de remise à niveau afin de lui permettre de se mettre en conformité avec ses obligations en matière de formation, qu'elle aurait refusé de valider des formations accomplies avec succès et que le suivi des séquences " Principes en matière de responsabilité ", " Droits et obligations du sapeur-pompier volontaire ", " Rôle d'un sous-officier chef d'agrès ", " Relation hiérarchique ", " Relations inter-services dans le cadre opérationnel " et " Valeurs du service départemental d'incendie et de secours et déclinaisons ", qui ne sont pas obligatoires au titre de la formation de maintien et de perfectionnement des acquis, ne pouvait pas lui être imposé comme condition de la reprise effective de ses fonctions, les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige du 8 juillet 2019 serait entaché respectivement d'une erreur de fait, d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.

6. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle du 8 juillet 2019, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

En ce qui concerne la responsabilité du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle :

S'agissant de l'illégalité fautive des arrêtés des 22 mars et 26 octobre 2018 :

7. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".

8. D'une part, la décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

9. D'autre part, en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l'administration n'a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n'étaient pas fondées. En revanche, les termes du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.

10. Il résulte de l'instruction que, dans sa réclamation préalable du 13 mai 2019, reçue le 21 mai suivant, M. A... s'est borné à solliciter l'indemnisation par le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle des préjudices financier et moral résultant des agissements de harcèlement moral, dont il s'estime victime de la part de sa hiérarchie. Si, tant en première instance qu'en appel, l'intéressé recherche également la responsabilité de l'administration à raison de l'illégalité fautive des arrêtés des 22 mars et 26 octobre 2018, prononçant successivement sa suspension à titre conservatoire, puis la résiliation de son contrat d'engagement à titre de sanction disciplinaire, il ne démontre pas avoir lié le contentieux pour ce fait générateur, qui est distinct de celui invoqué dans sa réclamation préalable, avant l'intervention du jugement n° 1906168 et 1906769 du tribunal administratif de Strasbourg 12 janvier 2021. Par suite, ainsi que la cour l'a indiqué aux parties le 28 février 2024, en l'absence de liaison du contentieux, les conclusions à fin d'indemnisation des préjudices résultant de l'illégalité fautive des arrêtés des 22 mars et 26 octobre 2018 ne sont pas recevables et doivent, en conséquence, être rejetées.

S'agissant des agissements de harcèlement moral :

11. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / (...) / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. "

12. Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent, auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements, et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé. Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

13. Par deux arrêtés des 22 mars et 26 octobre 2018, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle a prononcé à la suspension, puis la résiliation du contrat d'engagement de M. A..., pour avoir, lors de l'intervention du 20 novembre 2017, filmé au moyen de lunettes connectées une victime en arrêt cardio-respiratoire, qui devait décéder malgré l'intubation pratiquée par le médecin urgentiste. Par une ordonnance n° 1807369 du 14 décembre 2018, la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a suspendu l'exécution de la sanction disciplinaire infligée à l'intéressé, laquelle a finalement été annulée par un jugement n° 1805032 et 1807368 de ce même tribunal du 19 novembre 2019 au motif que les faits reprochés à l'agent n'étaient pas établis.

14. M. A... considère qu'il est victime d'agissements de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie. Il se plaint plus particulièrement de la procédure ayant conduit à l'édiction de la mesure de suspension litigieuse et, notamment, des conditions dans lesquelles se sont déroulés, le 19 février 2018, son entretien individuel et ceux de ses deux coéquipiers, également présents sur les lieux lors de l'intervention du 20 novembre 2017, ainsi que de l'absence dans son dossier individuel de leurs témoignages favorables du 2 février 2018 et, inversement, de la présence dans ce même dossier d'un rapport du chef du centre d'incendie et de secours de Montigny-lès-Metz du 23 mars 2018 remettant en cause, de manière infondée, sa manière de servir. Il reproche également à son administration de l'avoir suspendu plus de quatre mois en le mettant à pied de façon irrégulière dès le 19 février 2018, d'avoir saisi tardivement le conseil de discipline départemental des sapeurs-pompiers volontaires le 2 octobre 2018 et de lui avoir infligé la plus élevée des sanctions disciplinaires prévues par l'article R. 723-40 du code de la sécurité intérieure. Le requérant soutient encore qu'il n'a pu être réintégré de manière effective à compter du 14 janvier 2019 en raison du retard mis par l'administration, malgré ses demandes répétées, pour prendre les mesures afin de le mettre, dans les meilleurs délais, en conformité avec ses obligations en matière de formation. Il estime que son employeur a volontairement multiplié les obstacles à sa réintégration en annulant à la dernière minute une autorisation de participer à une formation dans un autre centre d'incendie et de secours, en refusant de valider les formations qu'il a accomplies de sa propre initiative, en ne lui communiquant le programme de remise à niveau que le 7 mai 2019, en lui imposant le suivi de formations non obligatoires ou faisant double emploi avec celles déjà réalisées.

15. Toutefois, contrairement à ses allégations, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... aurait fait l'objet de dénigrement systématique de la part de sa hiérarchie, ni que celle-ci aurait cherché par tous les moyens à l'évincer du service. Il n'est pas contesté que sa suspension, puis la résiliation de son contrat d'engagement ont été prononcées par le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle à la suite d'un courrier du 26 janvier 2018, adressé par le chef du service des urgences du centre hospitalier régional de Metz-Thionville, et d'un compte rendu d'un officier du corps des sapeur-pompiers du 19 février 2018, mettant en cause tous deux son comportement lors de l'intervention du 20 novembre 2017. Alors même que les faits ainsi reprochés à l'intéressé ont été ultérieurement considérés par le juge administratif comme insuffisamment établis, leur gravité et leur vraisemblance à la date des décisions de suspension et de résiliation, permettent d'expliquer la façon dont l'administration a conduit les entretiens individuels du 19 février 2018 aux seules fins d'en vérifier la matérialité et qu'elle ait estimé devoir suspendre à titre conservatoire son agent, puis lui infliger la plus élevée des sanctions disciplinaires. De même, les coéquipiers de M. A... étant revenus sur leurs déclarations initiales à l'issue de leurs entretiens individuels, l'employeur a pu estimer qu'il n'y avait pas lieu de faire figurer dans le dossier individuel de l'intéressé leurs témoignages favorables du 2 février 2018. Enfin, la seule circonstance que le supérieur de l'agent ait émis sur sa manière de servir une appréciation défavorable, dont la teneur est contestée, n'excède pas les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

16. Par ailleurs, M. A... a été suspendu pour une durée de quatre mois, du 29 mars 2018, date à laquelle la mesure litigieuse lui a été notifiée par voie administrative, au 29 juillet 2018. Si le requérant, après avoir été entendu individuellement par sa hiérarchie le 19 février 2018, a été contraint de restituer son récepteur de radiomessagerie et que son nom n'apparaissait plus, à compter de cette date, sur les plannings de garde, ces seuls éléments ne suffisent pas à établir qu'il aurait fait l'objet d'une mise à pied irrégulière, préalable à la décision de suspension, alors qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, qu'il avait interdiction de retourner à sa caserne afin, notamment, d'y suivre ou d'y assurer des actions de formation ou encore d'y accomplir toute tâche administrative entrant dans les attributions d'un sapeur-pompier de son grade.

17. En outre, l'intéressé ne saurait se plaindre d'une saisine tardive du conseil de discipline départemental des sapeurs-pompiers volontaires dès lors qu'aucun texte législatif ou réglementaire, ni aucun principe général du droit, n'enferment l'exercice du pouvoir disciplinaire dans un délai déterminé, ni ne font obligation à l'autorité administrative compétente d'initier une telle action avant l'expiration de la mesure de suspension.

18. Enfin, si le programme de remise à niveau ne lui a été communiqué que le 7 mai 2019, il est constant que le retard ainsi mis par l'administration, pour regrettable qu'il soit, n'a été que de quatre mois et que M. A... a pu reprendre ses gardes opérationnelles à compter du 1er janvier 2020 après avoir rattrapé les séquences obligatoires de formation de maintien et de perfectionnement des acquis au titre de l'année 2018. De même, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé aurait été contraint de suivre des formations faisant double emploi avec celles déjà réalisées, ni que les décisions de lui imposer le suivi de formations non obligatoires, d'annuler à la dernière minute l'autorisation de participer à une formation, dont l'objet n'est pas précisé, ou encore de refuser la validation de formations accomplies de sa propre initiative auraient été motivées par des considérations étrangères au service.

19. Dans ces conditions, compte tenu des circonstances qui ont été analysées aux points 14 à 16 du présent arrêt, les éléments de fait avancés par M. A... ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral à son encontre. Par suite, alors que, au demeurant, la plainte pour harcèlement moral déposée par l'intéressé le 5 juin 2018 a fait l'objet d'un classement sans suite, le 21 mars 2019, pour infraction insuffisamment caractérisée, le requérant n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation.

Sur les frais de l'instance :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au service départemental d'incendie et de secours de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Rousselle, présidente,

- Mme Bauer, présidente assesseure,

- M. Meisse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

La présidente,

Signé : P. ROUSSELLE

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 21NC00747 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00747
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme ROUSSELLE
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : M & R AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;21nc00747 ?
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