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04/04/2024 | FRANCE | N°22NC01634

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 04 avril 2024, 22NC01634


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par deux requêtes distinctes, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) B... A... et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à verser à M. A... la somme de 814 495 euros et à l'EURL B... A... la somme de 819 209 euros, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable du 16 juin 2020, en réparation des préjudices résultant des fautes qu'aurait commises l'administration fisca

le dans les procédures d'assiette et de recouvrement des impositions complémentaires mises ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) B... A... et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à verser à M. A... la somme de 814 495 euros et à l'EURL B... A... la somme de 819 209 euros, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable du 16 juin 2020, en réparation des préjudices résultant des fautes qu'aurait commises l'administration fiscale dans les procédures d'assiette et de recouvrement des impositions complémentaires mises à la charge de l'EURL.

Par un jugement nos 2006091, 2006227 du 5 avril 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 24 juin 2022 sous le n° 22NC01634 et un mémoire enregistré le 24 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Marcantoni, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il le concerne ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 822 015 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable du 16 juin 2020, à titre de réparation des préjudices qu'il impute aux services fiscaux comme résultant des fautes commises par l'administration dans les procédures d'assiette et de recouvrement des impositions complémentaires mises à la charge de l'EURL B... A... ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 150 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en notifiant à l'EURL B... A... des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis de pénalités alors que ces compléments d'imposition étaient infondés dès leur établissement, tant du point de vue de la loi fiscale que de la doctrine publiée sous la référence BOI-TVA-BASE-20-10 ; l'administration a procédé au dégrèvement de ces impositions supplémentaires après l'introduction d'un pourvoi en cassation ;

- les mesures de sûreté prises par le service pour le recouvrement de ces impositions indues ont privé la société de toute trésorerie et paralysé l'activité de l'entreprise ;

- les préjudices matériels et moraux qu'il a subis résultent directement de l'ensemble des fautes commises par le service ;

- s'agissant des préjudices matériels, il a subi une diminution de sa rémunération entre 2014 et 2019 qu'il évalue à un montant total de 361 317 euros ; il a été contraint de vendre en réméré sa résidence principale dans des conditions défavorables, le cumul des frais pour la conclusion de cette vente, des loyers qu'il a dû verser entre octobre 2017 et janvier 2022 et les intérêts qu'il aurait perçus sur les sommes en cause s'établit à '156 808 euros' ; il a été contraint de procéder au rachat de contrats d'épargne retraite le privant, ainsi que son épouse, d'un montant de 386 030 euros au titre des pensions de retraite qu'il aurait normalement perçues compte tenu de son espérance de vie ; il a été contraint de contracter un prêt auprès d'un tiers en décembre 2013 dont les intérêts acquittés s'élèvent à une somme de 15 000 euros ;

- la société a fait l'objet d'une procédure devant la commission des infractions fiscales, laquelle a été saisie par les services fiscaux de manière injustifiée ; il a acquitté des frais d'un montant de 4 080 euros, exposés pour la défense de sa société ;

- il a fait l'objet de poursuites pénales à la suite du dépôt d'une plainte du directeur départemental des finances publiques du Haut-Rhin le 14 octobre 2015 pour suspicion de fraude fiscale ; il n'a pas été condamné pour fraude fiscale par le tribunal correctionnel ; ses frais d'avocat s'établissent à un montant total de 14 160 euros ; à la suite de la perquisition de son domicile menée le 12 décembre 2018, il a été placé en garde à vue ; un véhicule automobile de marque Nissan Juke lui appartenant a été saisi et entreposé en fourrière pendant près de deux années ; la perte de valeur de ce véhicule est évaluée à une somme de 9 200 euros ;

- il a subi un préjudice moral important et des troubles dans ses conditions d'existence du fait de l'ensemble des procédures fiscales et pénales initié par l'administration fiscale ; ce préjudice peut être estimé à un montant de 20 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les frais de défense exposés dans le cadre de la procédure pénale, dont M. A... demande à être indemnisé, sont liés à une procédure parallèle instruite par le juge pénal qui ne sauraient être indemnisés par le juge administratif. Il en va de même pour les préjudices allégués qui résulteraient des mesures de garde à vue, de perquisition et de saisie d'un véhicule décidées par l'autorité judiciaire.

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées le 22 février 2024 de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que l'autorité judiciaire est seule compétente pour statuer sur les conséquences dommageables des fautes résultant, le cas échéant, :

- des décisions administratives relatives à la saisine pour avis de la commission des infractions fiscales et au dépôt d'une plainte pour fraude fiscale auprès du procureur de la République, lesquelles conditionnent la mise en mouvement de l'action publique et ne sont pas détachables de la procédure pénale qu'elles ont ainsi initiée ;

- des mesures décidées par l'autorité judiciaire dans le cadre d'une procédure pénale.

II. Par une requête enregistrée le 24 juin 2022 sous le n° 22NC01635 et un mémoire enregistré le 24 janvier 2023, l'EURL B... A..., représentée par Me Marcantoni, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il la concerne ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 819 209 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable du 16 juin 2020, à titre de réparation des préjudices qu'elle impute aux services fiscaux comme résultant des fautes commises par l'administration dans les procédures d'assiette et de recouvrement des impositions complémentaires mises à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 150 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en notifiant à l'EURL B... A... des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis de pénalités alors que ces compléments d'imposition étaient infondés dès leur établissement, tant du point de vue de la loi fiscale que de la doctrine publiée sous la référence BOI-TVA-BASE-20-10 ; l'administration a procédé au dégrèvement de ces impositions supplémentaires après l'introduction d'un pourvoi en cassation ;

- les mesures de sûreté prises par le service pour le recouvrement de ces impositions indues l'ont privée de toute trésorerie et paralysé son activité ; l'administration a en effet procédé à une saisie conservatoire de la somme d'un montant de 308 397 euros qu'elle aurait dû percevoir de la société Deveaux ; elle ne lui a pas remboursé les crédits de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle avait droit au titre des mois de janvier à mars 2013 pour un montant de 125 216 euros et a procédé à une saisie conservatoire en 2016 d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 14 359 euros ;

- les préjudices matériels et moraux qu'elle a subis résultent directement de l'ensemble des fautes commises par le service ;

- s'agissant des préjudices matériels, elle a été contrainte d'engager des frais pour sa défense dans le cadre de la vérification de comptabilité s'élevant à un montant de 8 040 euros ; la privation de trésorerie à hauteur de 447 972 euros a entraîné l'impossibilité d'acquérir le matériel nécessaire à la réalisation de son chiffre d'affaires, correspondant à une perte de résultat évaluée à un montant total de 737 426 euros au titre de la période allant de 2014 à 2019 ;

- s'agissant de l'atteinte à sa réputation, elle estime son préjudice comme s'élevant à la somme de 73 743 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bourguet-Chassagnon,

- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique,

- et les observations de Me Heinrich, avocat représentant l'EURL B... A... et M. A....

Des notes en délibéré, enregistrées le 14 mars 2024, ont été présentées pour l'EURL B... A... et M. A....

Considérant ce qui suit :

1. L'EURL B... A..., dont M. A... est le gérant et l'associé unique, exerce une activité de négoce de métiers à tisser neufs et d'occasion. Par un contrat conclu le 25 mai 2011 avec la société Deveaux, l'EURL B... A... s'était engagée à lui revendre quatre-vingt quatre métiers à tisser neufs d'une valeur de 4 452 000 euros hors taxe, acquis auprès de la société de droit belge Picanol, et à lui acheter quatre-vingt dix métiers à tisser d'occasion d'une valeur de 3 191 940 euros hors taxe. Le contrat prévoyait un paiement par compensation des créances réciproques, la société Devaux s'engageant à s'acquitter directement du solde d'un montant de 1 126 000 euros hors taxe à la société Picanol. L'EURL B... A... a obtenu un crédit de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la taxe ayant grevé les factures de ventes des métiers à tisser d'occasion de la société Deveaux. L'EURL B... A... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er juillet 2010 au 28 février 2013. A l'issue de ce contrôle, par une proposition de rectification du 17 décembre 2013, le service a procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période vérifiée à raison de la remise en cause de la majeure partie de la taxe déductible relative à l'achat des quatre-vingt quatre métiers à tisser d'occasion, au motif que les opérations comptabilisées par l'EURL B... A... étaient fictives. Les compléments d'imposition, assortis de pénalités, ont été mis en recouvrement le 7 février 2014 pour un montant total de 1 688 288 euros. A la suite du rejet de ses deux réclamations présentées, l'EURL B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la décharge de ces impositions. Par un jugement du 21 novembre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par un arrêt du 15 novembre 2018, cette cour a prononcé la réduction des pénalités contestées et a rejeté le surplus de la demande de la société. Après que la société a formé un pourvoi en cassation dirigé contre cet arrêt, l'administration a prononcé le dégrèvement de l'ensemble des compléments d'imposition, en droits et pénalités, laissés à la charge de l'EURL B... A..., par une décision du 12 juillet 2019. Par une ordonnance du 16 décembre 2019, le Conseil d'Etat a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le pourvoi. L'EURL B... A... et M. A... ont présenté une demande indemnitaire le 16 juin 2020 afin d'obtenir réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des fautes qu'aurait commises l'administration fiscale. Cette demande a fait l'objet d'un rejet implicite par le ministre chargé des comptes publics. Par les deux requêtes ci-dessus visées, qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, l'EURL B... A... et M. A... relèvent appel du jugement ci-dessus visé, par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser des dommages et intérêts.

2. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit, soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.

Sur les fautes qu'aurait commises l'administration dans le cadre de la procédure pénale :

3. Il n'appartient qu'au juge judiciaire de connaître des actes relatifs à la conduite d'une procédure judiciaire ou qui en sont inséparables. La décision par laquelle le ministre saisit pour avis la commission des infractions fiscales et celle par laquelle il dépose une plainte pour fraude fiscale auprès du procureur de la République ne sauraient être regardées comme détachables de la conduite de la procédure pénale et relever de la compétence de la juridiction administrative. Dès lors, les conclusions de la requête de M. A... sur ce point doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Sur l'illégalité fautive qu'aurait commise les services d'assiette :

4. Les requérants soutiennent que la décision de dégrèvement prononcée par le service le 12 juillet 2019, en cours d'instance, démontre l'illégalité fautive de la remise en cause du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant les factures émises au cours de la période du 1er août 2010 au 28 février 2013 par son fournisseur, la société Deveaux, dans le cadre de l'acquisition par l'EURL B... A... de métiers à tisser d'occasion, en application du contrat du 25 mai 2011, ci-dessus analysé. Toutefois, la circonstance que l'administration a prononcé en cours d'instance un dégrèvement d'office en vertu du pouvoir gracieux qu'elle tire des dispositions de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales ne saurait s'analyser comme apportant la preuve du caractère fautif de la position soutenue antérieurement par le service. En l'absence d'une décision de décharge prononcée par le juge de l'impôt et alors que l'ordonnance de non-lieu du 16 décembre 2019 du président de la 8ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée, il revient au juge administratif saisi de conclusions indemnitaires d'apprécier le caractère bien-fondé de l'imposition dégrevée en cours d'instance, en fonction des arguments exposés par le requérant, auquel il appartient de démontrer la faute qu'auraient commise les services d'assiette, pour déterminer si les rappels de taxe sur la valeur ajoutée finalement abandonnés par le service procédaient d'une illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité des services fiscaux.

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ". Aux termes de l'article 272 du même code : " 2. La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ". Aux termes de l'article 283 de ce code : " (...) 4. Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise (...), la taxe est due par la personne qui l'a facturée ".

6. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération. Pour l'application de ces dispositions qui résultent de la transposition en droit interne de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts SGI et SNC Valeriane du 27 juin 2018 (C-459/17 et C-460/17), pour refuser à l'assujetti destinataire d'une facture le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur cette facture, il suffit que l'administration établisse que les opérations auxquelles cette facture correspond n'ont pas été réalisées effectivement.

7. Il résulte de l'instruction qu'au titre de la période du 1er août 2010 au 28 février 2013, l'EURL B... A... avait obtenu, pour l'essentiel, le remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait sollicité à raison de la taxe grevant les factures d'achat de métiers à tisser émises à l'en-tête de la société Deveaux. Ainsi que l'avait au demeurant relevé cette cour dans son arrêt du 15 novembre 2018, après avoir exercé un droit de communication auprès de la société Deveaux, l'administration a obtenu une facture du 29 décembre 2011 relative à la vente de dix-huit métiers à tisser à l'EURL B... A... pour un montant de 818 064 euros toutes taxes comprises, laquelle n'avait pas été enregistrée dans la comptabilité de l'EURL. Le service a également relevé que le surplus des factures ayant donné lieu au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas été comptabilisé par la société Deveaux et que l'EURL B... A... a enregistré ces achats au débit d'un compte de charges avant d'utiliser le compte " 486000 - Charges constatées d'avance " dont le solde débiteur a été porté de 688 000 euros au 31 décembre 2010 à la somme de 4 180 726 euros au 31 décembre 2012, ces écritures traduisant l'absence de livraison des matériels prétendument acquis au cours de cette période. L'administration a ensuite démontré que les mouvements de trésorerie enregistrés sur le compte fournisseur de la société Deveaux étaient fictifs dès lors, notamment, qu'aucune des compensations enregistrées comptablement ne trouvait de correspondance dans les comptabilités des sociétés Deveaux et Picanol. Enfin, le jugement du tribunal de commerce de Villefranche du 11 avril 2013, obtenu par l'administration à la suite de l'exercice d'un droit de communication, a mis en évidence qu'au cours de la période en litige, seuls dix-huit métiers à tisser avaient été effectivement livrés par le fournisseur à l'EURL B... A..., la société Deveaux ayant été condamnée à procéder à la livraison du surplus des métiers à tisser, objets du contrat conclu le 25 mai 2011. Ce jugement a été ultérieurement confirmé par des arrêts de la Cour d'appel de Lyon du 24 avril 2014 et de la Cour de cassation du 12 juillet 2016. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, c'est à juste titre que le service a regardé ces factures d'achats comme fictives et ne correspondant à aucune opération réelle. C'est dès lors à bon droit que le service a fait application des dispositions ci-dessus reproduites de l'article 272 du code général des impôts afin de rappeler la taxe déduite par l'EURL B... A.... Il suit de là que les requérants ne démontrent pas la faute qu'aurait commise les services d'assiette en remettant en cause, pour partie, les remboursements de crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont l'EURL B... A... a bénéficié au titre de la période du 1er août 2010 au 28 février 2013.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens (...) effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / II. - 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire ". Aux termes de l'article 269 du même code, dans sa rédaction applicable : " 1 Le fait générateur de la taxe se produit : a) Au moment où la livraison (...) est effectué (...) 2. La taxe est exigible : a) pour les livraisons et les achats visés au a) du 1 (...) lors de la réalisation du fait générateur ".

9. Les requérants soutiennent qu'en application des dispositions des articles 256, 269 et 271 du code général des impôts, le transfert de propriété résultant du contrat de vente et l'établissement des factures par un assujetti en tant que tel suffisaient à faire naître son droit à déduction, sans qu'il y ait lieu d'exiger préalablement la livraison effective des biens ni le règlement par l'acquéreur du prix TTC figurant sur les factures. Toutefois, ainsi qu'il a été rappelé au point 6, en application des dispositions combinées du 2 de l'article 272 et du 4 de l'article 283 du code général des impôts, aucun droit à déduction ne peut prendre naissance au sens des dispositions citées au point 8 au profit du destinataire d'une facture établie par une personne qui ne lui a fourni aucun bien. Dans ces conditions, les bordereaux de livraison, lesquels ont été produits tardivement à hauteur d'appel dans le cadre du contentieux d'assiette et que cette cour n'a pas retenus, sont sans incidence sur l'existence d'un droit à déduction de la taxe ayant grevé ces factures fictives.

En ce qui concerne le bénéfice de l'interprétation administrative de la loi fiscale :

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ".

11. Les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir, en application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations de la documentation administrative 3 B 211 du 18 septembre 2000, reprise au BOFIP lors de son entrée en vigueur le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-TVA-BASE-20-10, n° 40, laquelle ne contient aucune interprétation formelle de la loi fiscale des dispositions qu'elle commente et n'est pas relative aux dispositions applicables en matière de droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée dont il a été fait présentement application. Les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que les demandes de remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée présentées par l'EURL B... A... et remises en cause par le service étaient fondées sur une interprétation administrative de la loi fiscale opposable à l'administration. Il suit de là qu'ils n'établissent pas que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée notifiés auraient été établis contrairement aux énonciations de cette doctrine dans des conditions de nature à constituer une illégalité fautive.

12. Le caractère infondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de l'EURL B... A... au titre de la période du 1er août 2010 au 28 février 2013, avant d'être dégrevés par le service, n'étant pas démontré par les requérants, aucune faute tenant à la prétendue illégalité de ces rehaussements ne peut, par suite, être retenue à l'encontre des services d'assiette de l'impôt, alors même qu'ils ont fait l'objet d'un dégrèvement d'office en cours d'instance.

En ce qui concerne les fautes qu'auraient commises les services de recouvrement :

13. Les requérants reprennent en appel le moyen, qu'ils avaient invoqué en première instance et tiré de ce que la décision du service de recouvrement d'engager des mesures de recouvrement forcé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ayant fait l'objet ultérieurement d'un dégrèvement d'office, leur a causé des préjudices dont ils demandent réparation. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption du motif retenu par le tribunal administratif de Strasbourg au point 9 de son jugement.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes. Leurs requêtes doivent être rejetées en toutes leurs conclusions, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de M. A... et de l'EURL B... A... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à l'EURL B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président,

Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère.

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.

La rapporteure,

Signé : M. Bourguet-ChassagnonLe président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

Nos 22NC01634, 22NC01635


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01634
Date de la décision : 04/04/2024
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Mariannick BOURGUET-CHASSAGNON
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : ADVEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-04;22nc01634 ?
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