Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Colmar pare-brise a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge en droits et pénalités des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015 ainsi que de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2013, 2014 et 2015.
Par un jugement n° 2007747 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 janvier 2022, la SARL Colmar pare-brise, représentée par le cabinet Koch et associés, liquidateur judiciaire, représentée par Me Wartel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 novembre 2021 ;
2°) de prononcer la décharge en droits et pénalités des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015 ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2013, 2014 et 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- s'agissant des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, la réalité du paiement des factures de la société Alci en espèces est démontrée ; le cas échéant, il appartenait à l'administration de rétablir la dette fournisseur dans ses comptes ;
- les apports effectués au compte courant ouvert au nom de M. B... , correspondant à des espèces retirées et déposées dans un coffre-fort qui ne sont jamais sorties de la caisse de la société, auraient dû être enregistrés comptablement en compte caisse ; ces espèces ont servi à rémunérer les fournisseurs ;
- les déplacements de M. B... sont justifiés par des notes de frais qui sont des éléments de preuve suffisant pour justifier les écritures comptables ;
- les suppléments d'impôt n'étant pas dus, les pénalités ne peuvent pas être établies et doivent être déchargées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par SARL Colmar pare-brise ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mosser,
- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Colmar pare-brise, dont le gérant est M. A... B..., exerce une activité de pose et de réparation de pare-brise sous l'enseigne " France pare-brise " et a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er octobre 2012 au 30 septembre 2015. Au titre de cette période, elle était détenue à 100% par la SARL Sélestat pare-brise dont M. B... est l'associé unique et le gérant. A l'issue des opérations de contrôle, l'administration a, dans une proposition de rectification du 30 juin 2016, considéré d'une part, comme injustifiés des apports portés au crédit du compte courant de M. B..., des loyers versés à la société civile immobilière (SCI) LK et des indemnités kilométriques remboursées à M. B.... D'autre part, le service a refusé d'effectuer une compensation entre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée déduite par anticipation et de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur des factures dont le paiement n'était pas établi. Contestées par la société, les rectifications ont été maintenues par courrier du 12 septembre 2016 et les impositions ont été mises en recouvrement. La réclamation présentée par la société le 27 novembre 2018 a été rejetée tacitement par l'administration. La SARL Colmar pare-brise ayant été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 31 janvier 2017 du tribunal de grande instance de Colmar, les intérêts de retard appliqués au rappel de taxe sur la valeur ajoutée n'ont pas été mis en recouvrement, ceux qui avaient majoré les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ont été dégrevés par décision du 3 mars 2017 et la majoration pour manquement délibéré appliquée aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée a fait l'objet d'un dégrèvement le 7 juin 2021. Les impositions restant en litige s'élèvent ainsi à 14 426 euros en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'exercice clos en 2015 et à 113 934 euros en matière d'impôt sur les sociétés. La société contribuable relève appel du jugement du 30 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
2. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable ". Aux termes de l'article 269 du même code : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : / a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectué ; (...) / 2. La taxe est exigible : (...) / c) Pour les prestations de services autres que celles visées au b bis, lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits ".
3. Il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du 30 juin 2016 que l'administration a limité la compensation entre le rappel de taxe sur la valeur ajoutée déduite par anticipation et la taxe sur la valeur ajoutée sur immobilisations à hauteur de 1 220 euros en l'absence de preuve de l'encaissement des autres factures d'immobilisation. La société soutient que son gérant aurait payé en espèces ces factures relatives à des travaux immobiliers fiscalement assimilables à des prestations de services établies par son fournisseur, la SARL Alci, la contrepartie toutes taxes comprises étant portée au crédit du compte courant ouvert à son nom. Elle fournit à cet égard des factures de la société Alci, faisant état de la mention manuscrite " espèces " à côté du tampon " payé ". Toutefois ces factures ne permettent pas, à elle seules, de justifier de la réalité du paiement en espèces, par le gérant sur ses propres fonds, sans que la société puisse reprocher à l'administration de ne pas avoir vérifié dans les comptes de son fournisseur la réalité de ces versements. Il s'ensuit qu'en l'absence de preuve du règlement des factures, la taxe sur la valeur ajoutée correspondante n'est pas déductible, l'absence de droit à déduction étant par ailleurs sans incidence sur le montant de la dette fournisseur dans les écritures comptables de la société.
Sur les rappels d'impôt sur les sociétés :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
4. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office :/ (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ; / 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure ". Selon l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Aux termes de l'article R. 193-1 du même livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ".
5. La SARL Colmar pare-brise n'a pas déposé dans les délais impartis par les dispositions précitées sa déclaration de résultat au titre de ses exercices clos en 2013, 2014 et 2015, en dépit de mises en demeure d'avoir à le faire qui lui ont été notifiées respectivement le 4 avril 2014, 5 juin 2015 et 26 janvier 2016. Par suite, c'est régulièrement que son bénéfice relatif à ces exercices a été taxé d'office en application des dispositions précitées. Il incombe à la société requérante de rapporter la preuve du caractère exagéré de la cotisation d'impôt sur les sociétés établie par l'administration en application des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales.
En ce qui concerne les apports au compte-courant ouvert au nom de M. B... :
6. En vertu des dispositions combinées du 1 de l'article 38 et de l'article 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Et aux termes de l'article 39 du même code, " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges ". Pour l'application de ces dispositions il appartient au contribuable de justifier l'inscription d'une dette au passif du bilan de son entreprise.
7. Il résulte de l'instruction que la SARL Colmar pare-brise a porté les sommes de 50 000 euros et 25 000 euros au crédit du compte n° 455, correspondant à un compte courant ouvert au nom de M. B... au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et la somme de 18 000 euros au crédit du compte débiteur/créditeur divers n° 46713000 ouvert également au nom de M. B..., au titre de l'exercice clos en 2015. La société soutient que cette présentation comptable est erronée dans la mesure où ces sommes ne sont pas sorties de ses comptes et auraient dû être inscrites dans un compte caisse au lieu du compte courant ouvert au nom de M.B... . La société soutient qu'ayant de graves difficultés de trésorerie, des retraits d'espèces du compte bancaire étaient réalisés pour lui assurer des liquidités afin de lui permettre de régler ses charges et ses fournisseurs, avant d'être redéposés en fin de mois sur son compte bancaire pour faire face au paiement de ses salariés et de ses fournisseurs. Toutefois, il n'est pas contesté que la société disposait déjà d'un compte 530 caisse avec un journal faisant d'ailleurs état de versements en espèces des clients. Selon ce compte caisse, les seuls versements en espèces pour payer ses fournisseurs étaient des cas isolés, ces paiements n'étant au demeurant pas remis en cause par l'administration. De plus, il ressort des extraits bancaires qu'elle produit qu'elle disposait d'un terminal de paiement, d'un chéquier et elle n'établit pas, ni même n'allègue qu'elle ne pouvait pas procéder à des virements bancaires pour régler ses fournisseurs. Le système décrit par la société qui n'était donc pas nécessaire à son fonctionnement ne saurait justifier les écritures comptables contestées dont il appartient à la société de s'assurer de leur correction. Par ailleurs, les extraits bancaires produits par la société qui ne font pas état de toutes les sommes prétendument portées au crédit du compte bancaire, ne permettent pas d'établir l'origine des fonds crédités sur le compte bancaire de la société alors que l'administration fait valoir sans être contredite que ces versements ne sont corroborés ni par les relevés bancaires personnels de M. B... ni par les copies de chèques correspondant aux apports présumés. Par suite, la société ne démontre pas l'existence d'une dette envers son gérant. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a estimé que l'inscription au crédit des comptes n° 4555 et 46781030 ouverts au nom de M. B... des sommes en litige était injustifiée.
En ce qui concerne les charges déductibles :
8. Les charges pouvant être admises en déduction du bénéfice imposable, en application des dispositions précitées de l'article 39 du code général des impôts, doivent avoir été exposées dans l'intérêt direct de l'entreprise ou se rattacher à sa gestion normale, correspondre à une charge effective et être appuyées de justificatifs et être compris dans les charges de l'exercice au cours duquel ils ont été engagés.
9. Il résulte de l'instruction que la société a déduit de son résultat les indemnités kilométriques établies au profit de son gérant, M. B... pour un total de 18 117 euros au titre de l'exercice clos en 2013 et de 12 400 euros au titre de l'exercice clos en 2014 sans apporter de justificatifs suffisants quant au véhicule concerné, ni à l'intérêt direct de l'entreprise. Si afin de justifier de ces charges la société requérante entend se prévaloir de notes de frais établies par M. B... qu'elle a présentées à l'administration, il n'est pas contesté que ces documents sont dépourvus de précision concernant la nature du véhicule utilisé et ne comportent aucune indication relative à l'objet des déplacements. Par suite, en l'absence de justification de leur intérêt pour l'entreprise, c'est à juste titre que l'administration a réintégré ces charges dans les bénéfices imposables.
Sur les pénalités :
10. Il résulte de qui précède que les rectifications sont justifiées. Par voie de conséquence, la société n'est pas fondée à demander la décharge des pénalités dont les impositions supplémentaires mises à sa charge ont été assorties.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Colmar pare-brise n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée dans toutes ses conclusions y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Colmar pare-brise, représentée par le cabinet Koch et associés, liquidateur judiciaire est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au Cabinet Koch et associés en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Colmar pare-brise et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président de chambre,
Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.
La rapporteure,
Signé : C. Mosser Le président,
Signé : M. Agnel
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 22NC00131