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02/04/2024 | FRANCE | N°23NC03424

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 02 avril 2024, 23NC03424


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'une part, d'annuler les décisions du 7 août 2023 par lesquelles la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notif

ication du jugement, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard.



Par un jug...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'une part, d'annuler les décisions du 7 août 2023 par lesquelles la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2305966 du 20 octobre 2023, le vice-président désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a admis M. B... à l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé les décisions du 7 août 2023 par lesquelles la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, a enjoint à la préfète de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de sept jours à compter de la notification du jugement et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de cent euros par jour de retard et enfin, a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. B... d'une somme de 1 200 euros, sous réserve de renonciation par ce dernier de la part contributive de l'Etat.

Procédures devant la cour :

I/ Par une requête et des mémoire enregistrés le 21 novembre 2023, le 17 janvier 2024 et le 12 février 2024, sous le numéro 23NC03424, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2305966 du 20 octobre 2023 du vice-président désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation des décisions du 7 août 2023 portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le premier juge, pour annuler ses décisions du 7 août 2023 s'est fondé sur la circonstance qu'elle n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... ; le jugement est donc entaché d'une erreur de fait, à tout le moins, d'inexactitude matérielle :

. ce dernier ne peut être regardé comme lui ayant indiqué, lors du dépôt de sa demande d'asile, que son frère, atteint d'un cancer, résidait sur le territoire français ;

. les pièces dont M. B... se prévaut n'ont pas été portées à sa connaissance : les services préfectoraux ne sont pas systématiquement destinataires des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sauf si la préfecture en fait la demande expresse en cas de dossier signalé ce qui n'était pas le cas en l'espèce, pas plus que des entretiens de vulnérabilité menés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, lesquels sont confidentiels comme le confirme le directeur territorial adjoint de l'Office ;

. c'est à M. B... qu'il appartenait de l'informer de ses attaches familiales en France afin qu'elle puisse en tenir compte dans l'examen de sa situation ;

. seul le dernier certificat médical de son frère du 4 septembre 2023, soit postérieur à la décision litigieuse, mentionne que l'état de santé de son frère nécessite une assistance assurée par M. B... ;

. si M. B... se prévaut dans son mémoire en défense du rapport social du 7 octobre 2023 qui mentionnait les éléments relatifs à son frère, celui-ci n'existait pas à la date de l'arrêté litigieux ;

- à l'issue du réexamen auquel elle a été enjointe par le jugement faisant l'objet du présent appel, elle a pris une nouvelle obligation de quitter le territoire français à l'encontre de M. B... en mentionnant la présence du frère de l'intimé, sa demande d'admission pour soins et le fait qu'il n'est pas établi que l'intimé serait la seule personne à même de pouvoir lui prodiguer l'assistance quotidienne que son état de santé requiert ; elle aurait donc pris la même décision si elle avait eu connaissance de ces circonstances avant l'édiction de l'arrêté litigieux du 7 août 2023 ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. B... ne sont pas fondés :

. l'auteur de l'acte est compétent ;

. l'arrêté n'a pas été pris en méconnaissance du droit à une bonne administration, du droit d'être entendu et du principe général du droit de l'Union européenne du respect des droits de la défense ;

. il ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense enregistrés les 16 janvier 2024 et 9 février 2024, M. B..., représenté par Me Airiau conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'administration n'a pas procédé à un complet examen de la situation de M. B... et a entaché sa décision d'un défaut d'examen :

. il est constant que l'administration avait connaissance de l'information selon laquelle son frère, atteint d'un cancer, résidait en France, et ce, à travers la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, de la fiche d'évaluation de vulnérabilité qu'il a remplie et de celle de son frère qu'il a dû remplir en raison des problèmes de mémoire de son frère malade ;

. il ressort d'une étude de la direction générale des étrangers en France que l'ensemble des informations recueillies par les agents de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, aux différents stades de la demande d'asile, est conservé dans des bases de données dont certaines informations sont accessibles aux services préfectoraux ; s'il ne conteste pas que les préfectures ont un accès limité aux informations contenues dans les bases de données de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, elles ont néanmoins accès au relevé " TélémOfpra " qui fait bien mention de la situation familiale de l'individu concerné ;

. si l'administration fait valoir qu'elle n'avait pas ces pièces, il ressort des pièces produites par la préfète dans le cadre d'un référé qu'elle disposait d'un rapport social du 3 octobre 2023 mentionnant ces éléments ;

. la nouvelle décision d'éloignement prise par la préfète, à la suite de l'annulation de la décision litigieuse, a également fait l'objet d'une annulation par le tribunal administratif de Strasbourg par un jugement du 19 janvier 2024 ; cela démontre bien que M. B... a, en tout état de cause, et quand bien même la préfète aurait eu connaissance de la situation de son frère, été privé d'un défaut d'examen de sa situation personnelle et d'une garantie ;

- en tout état de cause, et dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel :

. l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français est entaché d'une erreur de fait en raison du défaut d'examen complet de sa situation car il ne mentionne pas la présence de son frère malade et la préfète précise, à tort, dans ses écritures qu'il est marié alors qu'il est célibataire ; méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;

. la décision fixant le pays de destination sera annulée par voie de conséquence de l'illégalité de celle portant obligation de quitter le territoire français.

II/ Par une requête et des mémoires enregistrés le 21 novembre 2023 et 17 janvier 2024, sous le numéro 23NC03425, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement du 20 octobre 2023 qui a annulé ses décisions du 7 août 2023 prises à l'encontre de M. B....

Elle soutient qu'il existe des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement et soulève les mêmes moyens que ceux invoqués dans sa requête n° 23NC03424.

Par des mémoires en défense enregistrés le 17 janvier 2024 et le 12 février 2024, M. B... représenté par Me Airiau conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement sera confirmé pour les raisons exposées dans le mémoire en défense dans le cadre de la procédure au fond ;

- la requête en sursis à exécution sera rejetée dans la mesure où la requête principale est infondée.

M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle totale pour ces deux requêtes par deux décisions du 15 février 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant géorgien né le 25 août 1990, est entré en France le 16 juillet 2022. Il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée le 22 février 2023 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le 30 juin 2023 par la Cour nationale du droit d'asile. Par des décisions du 7 août 2023, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné. Le requérant a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler ces décisions. La préfète du Bas-Rhin, par deux requêtes distinctes, relève appel du jugement du 20 octobre 2023 du vice-président désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg qui a annulé ces décisions et demande le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la requête n° 23NC03424 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Il ressort des pièces du dossier que le frère de M. B..., présent sur le territoire et disposant du même domicile, souffre d'un cancer qui nécessite un accompagnement. Il est constant que cette circonstance de fait, qui n'apparaît pas dans l'arrêté attaqué, n'a pas été prise en compte par l'administration pour apprécier l'atteinte des décisions qu'il contient sur la vie privée et familiale de son destinataire. Si le requérant l'a indiqué lors de sa demande du dépôt de demande d'asile, la préfète transmet à hauteur d'appel des correspondances avec le chef de la division des affaires juridiques de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et du directeur territorial adjoint de l'Office français de l'immigration et de l'intégration attestant du caractère confidentiel des données relatives aux demandeurs d'asile qui ne sont pas transmises systématiquement aux services préfectoraux. En tout état de cause, les indications sur TélémOfpra, relatives à la situation familiale de M. B... n'auraient pas permis à la préfète d'avoir une information précise sur la situation familiale de l'intéressé. Enfin, le rapport social de l'association Horizon Amitié du 3 octobre 2023 dont la préfète admet avoir eu connaissance est postérieur à la décision litigieuse. Dans ces conditions, alors qu'il n'est pas établi que la préfète du Bas-Rhin avait connaissance de la situation particulière du frère de M. B..., l'arrêté préfectoral en litige n'est pas entaché d'un défaut d'examen particulier de la situation de M. B... au regard des éléments dont l'administration avait connaissance.

3. Ainsi, la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir c'est à tort que, par le jugement attaqué, le vice-président désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a retenu ce moyen pour annuler les décisions du 7 août 2013 portant obligation de quitter le territoire français ainsi que par voie de conséquence, celle fixant le pays de renvoi.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.

En ce qui concerne les autres moyens :

5. Il ressort des pièces du dossier que M. D... B..., frère du requérant, qui présentait une tumeur au cerveau, a fait l'objet en 2023 d'une intervention chirurgicale, associée à une chimiothérapie, à la suite de laquelle il demeure atteint de séquelles importantes, en particulier au niveau visuel. Il ressort également des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté préfectoral litigieux, M. D... B... faisait l'objet d'un traitement et d'un suivi médical et nécessitait, eu égard son état de santé, l'assistance d'une tierce personne et que cette assistance était assurée par le requérant. Enfin, il n'est pas établi qu'une autre personne que son frère était susceptible d'assister M. C... dans les gestes de sa vie quotidienne. Ainsi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, la préfète du Bas-Rhin, en obligeant le requérant à quitter le territoire français, a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le vice-président désigné par le président tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 7 août 2023, par laquelle la préfète du Bas-Rhin a fait obligation à M. B... de quitter le territoire français et par suite celle fixant le pays de destination

Sur la requête 23NC03425 :

7. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel de la préfète du Bas-Rhin contre le jugement du 20 octobre 2023 du vice-président désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés aux litiges :

8. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Airiau, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Airiau de la somme globale de 1 200 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23NC03425 de la préfète du Bas-Rhin à fin de sursis à exécution du jugement n° 2305966 du 20 octobre 2023 du vice-président désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg.

Article 2 : La requête n° 23NC03424 de la préfète du Bas-Rhin est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Airiau une somme globale de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Airiau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... et à Me Airiau.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

Nos 23NC03424, 23NC03425


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03424
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : AIRIAU

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;23nc03424 ?
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