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02/04/2024 | FRANCE | N°23NC03065

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 02 avril 2024, 23NC03065


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



M. A... F..., M. C... F..., Mme B... F... née E... et Mme D... F... ont demandé chacun au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 6 mars 2023 par lequel le préfet du Doubs a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.



Par un jugement n° 2300738 à 2300741 du 21 juillet

2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes respectives.



Procédures...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. A... F..., M. C... F..., Mme B... F... née E... et Mme D... F... ont demandé chacun au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 6 mars 2023 par lequel le préfet du Doubs a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 2300738 à 2300741 du 21 juillet 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes respectives.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 9 octobre 2023 sous le n° 23NC03065, M. G..., représenté par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2300738 à 2300741 du tribunal administratif de Besançon du 21 juillet 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 6 mars 2023 le concernant ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du Doubs de lui accorder le bénéfice de la protection temporaire et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ou de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui remettre immédiatement une autorisation provisoire de séjour ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Doubs de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, durant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision portant refus d'admission au séjour méconnaît les dispositions de l'article 2 de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est également entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus d'octroi du bénéfice de la protection temporaire et de celle portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- la mesure d'éloignement prise à l'encontre M. C... F... méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision portant octroi d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 9 octobre 2023 sous le n° 23NC03066, M. I..., représenté par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2300738 à 2300741 du tribunal administratif de Besançon du 21 juillet 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 6 mars 2023 le concernant ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du Doubs de lui accorder le bénéfice de la protection temporaire et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ou de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui remettre immédiatement une autorisation provisoire de séjour ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Doubs de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, durant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision portant refus d'admission au séjour méconnaît les dispositions de l'article 2 de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus d'octroi du bénéfice de la protection temporaire et de celle portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision portant octroi d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

M. C... F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.

III. Par une requête, enregistrée le 9 octobre 2023 sous le n° 23NC03067, Mme H... née E... représentée par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2300738 à 2300741 du tribunal administratif de Besançon du 21 juillet 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 6 mars 2023 la concernant ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du Doubs de lui accorder le bénéfice de la protection temporaire et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ou de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui remettre immédiatement une autorisation provisoire de séjour ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Doubs de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, durant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant refus d'admission au séjour méconnaît les dispositions de l'article 2 de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est également entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus d'octroi du bénéfice de la protection temporaire et de celle portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- la mesure d'éloignement prise à l'encontre M. C... F... méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision portant octroi d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Mme B... F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.

IV. Par une requête, enregistrée le 9 octobre 2023 sous le n° 23NC03068, Mme D... F..., représentée par Me Dravigny, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2300738 à 2300741 du tribunal administratif de Besançon du 21 juillet 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Doubs du 6 mars 2023 la concernant ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du Doubs de lui accorder le bénéfice de la protection temporaire et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ou de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui remettre immédiatement une autorisation provisoire de séjour ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Doubs de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, durant ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- la décision portant refus d'admission au séjour méconnaît les dispositions de l'article 2 de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle est également entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que son admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus d'octroi du bénéfice de la protection temporaire et de celle portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;

- la mesure d'éloignement prise à l'encontre M. C... F... méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision portant octroi d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Mme D... F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 ;

- la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 23NC03065, 23NC03066, 23NC03067 et 23NC03068, présentées pour M. A... F..., M. C... F..., Mme B... F... née E... et Mme D... F..., concernent la situation de membres d'une même famille d'étrangers au regard de leur droit au séjour en France. Elles soulèvent des questions identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. A... F... et Mme B... F..., son épouse, Mme D... F... et M. C... F..., leurs enfants, sont des ressortissants géorgiens, nés respectivement les 20 juillet 1958, 14 janvier 1959, 4 janvier 1980 et 30 juillet 1988. Titulaires d'une carte de résident permanent en Ukraine, pays qu'ils ont fui au mois de février 2022 à la suite du déclenchement du conflit russo-ukrainien, ils ont déclaré être entrés régulièrement en France, le 8 mars 2022, en provenance de la Pologne, sous couvert d'un passeport biométrique géorgien en cours de validité. Ils ont sollicité, le 25 mars 2022, leur admission au séjour au titre de la protection temporaire. Après avoir mis les intéressés en possession d'autorisations provisoires de séjour, valables jusqu'au 24 avril 2022, le préfet du Doubs a refusé, le 16 mai 2022, de faire droit à leurs demandes respectives. Par un jugement n° 2201347 à 2201350 du 25 janvier 2023, le tribunal administratif de Besançon a annulé les refus litigieux et a enjoint à l'autorité préfectorale de procéder à un réexamen de la situation des consorts F.... Toutefois, par quatre arrêtés du 6 mars 2023, le préfet du Doubs a réitéré son refus d'accorder aux intéressés le bénéfice de la protection temporaire et de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de leur éventuelle reconduite d'office à la frontière. Les consorts F... ont saisi le tribunal administratif de Besançon d'une demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 mars 2023. Ils relèvent appel du jugement n° 2300738 à 2300741 du 21 juillet 2023 qui rejette leurs demandes respectives.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. D'une part, aux termes de l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relatives à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil : " 1. L'existence d'un afflux massif de personnes déplacées est constatée par une décision du Conseil adoptée à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, qui examine également toute demande d'un État membre visant à ce qu'elle soumette une proposition au Conseil. / (...) / 3. La décision du Conseil a pour effet d'entraîner, à l'égard des personnes déplacées qu'elle vise, la mise en œuvre dans tous les États membres de la protection temporaire conformément aux dispositions de la présente directive. (...) ". Aux termes de l'article 1er de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire : " L'existence d'un afflux massif dans l'Union de personnes déplacées qui ont dû quitter l'Ukraine en raison d'un conflit armé est constatée. ". Aux termes de l'article 2 de cette même décision : " 1. La présente décision s'applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d'Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l'invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date : a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022 ; b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui ont bénéficié d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022 ; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b). / 2. Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l'égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui peuvent établir qu'ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d'origine dans des conditions sûres et durables. / (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 581-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'entrée et le séjour en France des étrangers appartenant à un groupe spécifique de personnes bénéficiaires de la protection temporaire instituée en application de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 (...) sont régis par les dispositions du présent chapitre. ". Aux termes de l'article L. 581-2 du même code : " Le bénéfice du régime de la protection temporaire est ouvert aux étrangers selon les modalités déterminées par la décision du Conseil de l'Union européenne mentionnée à l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, définissant les groupes spécifiques de personnes auxquelles s'applique la protection temporaire, fixant la date à laquelle la protection temporaire entrera en vigueur et contenant notamment les informations communiquées par les Etats membres de l'Union européenne concernant leurs capacités d'accueil. ". Aux termes de l'article L. 581-3 du même code : " L'étranger appartenant à un groupe spécifique de personnes visé par la décision du Conseil mentionnée à l'article L. 581-2 bénéficie de la protection temporaire à compter de la date mentionnée par cette décision. Il est mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail. Ce document provisoire de séjour est renouvelé tant qu'il n'est pas mis fin à la protection temporaire. / Le bénéfice de la protection temporaire est accordé pour une période d'un an renouvelable dans la limite maximale de trois années. Il peut être mis fin à tout moment à cette protection par décision du Conseil. / (...) ". Aux termes de l'article L. 581-8 du même code : " L'étranger exclu du bénéfice de la protection temporaire ou qui, ayant bénéficié de cette protection, cesse d'y avoir droit, et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre, doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français. ".

5. Il résulte de ces dispositions que pour bénéficier, en France, de la protection temporaire prévue aux articles L. 581-1 à L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine doivent justifier, soit qu'ils ont bénéficié d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022, soit qu'ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien et qu'ils ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d'origine dans des conditions sûres et durables.

6. Les consorts F... font valoir qu'ils ont été contraints de quitter le territoire de l'Abkhazie, dont ils sont originaires, pour l'Ukraine en 1993 en raison du conflit opposant les forces gouvernementales géorgiennes aux séparatistes abkhazes. S'ils ressort des pièces du dossier que les intéressés ont été mis en possession, à compter des 14 avril 2010 et 22 septembre 2011, d'une carte de résident permanent, il n'est pas sérieusement contesté qu'ils ont d'abord été autorisés à séjourner sur le territoire ukrainien sur la base de certificats temporaires de séjour délivrés par les autorités de ce pays au titre du dispositif législatif et réglementaire national relatif à l'assistance aux " personnes contraintes de quitter leur lieu de résidence permanente au sein de la république autonome d'Abkhazie de la Géorgie ". Les requérants doivent ainsi être regardés comme ayant bénéficié en Ukraine d'une protection nationale équivalente à une protection internationale, au sens du b) du premier paragraphe de l'article 2 de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, les consorts F... sont fondés à soutenir que les décisions du 6 mars 2023 refusant de leur délivrer des autorisations provisoires de séjour au titre de la protection temporaire ont méconnu les dispositions en cause et à demander, pour ce motif, leur annulation de même que, par conséquent, celle les décisions du même jour leur faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination. Ils sont également fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes respectives.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Doubs délivre à chaque requérant un document provisoire de séjour en sa qualité de bénéficiaire de la protection temporaire. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de procéder à la délivrance de ces documents dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les frais de justice :

8. Les consorts F... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par quatre décisions du 14 septembre 2023. Leur conseil peut donc prétendre au bénéfice des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dravigny, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, la somme totale de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2300738 à 2300741 du tribunal administratif de Besançon du 21 juillet 2023 est annulé.

Article 2 : Les arrêtés du préfet du Doubs du 6 mars 2023 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à chaque requérant un document provisoire de séjour en sa qualité de bénéficiaire de la protection temporaire dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Dravigny, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, la somme totale de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F..., à M. C... F..., à Mme B... F... née E..., à Mme D... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 20 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- M. Meisse, premier conseiller,

- M. Barteaux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

Le président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC03065 à 23NC03068 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03065
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : DRAVIGNY

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;23nc03065 ?
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