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02/04/2024 | FRANCE | N°22NC01429

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 02 avril 2024, 22NC01429


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une part, d'annuler la lettre du 18 septembre 2019 du chef d'établissement de la maison d'arrêt de Bar-le-Duc et l'arrêté du 1er octobre 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice, prorogeant son stage d'une durée de 6 mois et décidant de l'affecter à la maison d'arrêt de Châlons-en-Champagne et, d'autre part, d'ordonner au garde des sceaux, ministre de la justice, de prononcer son changement d

'affectation et de la nommer à la maison d'arrêt d'Ecrouves.





Par un jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une part, d'annuler la lettre du 18 septembre 2019 du chef d'établissement de la maison d'arrêt de Bar-le-Duc et l'arrêté du 1er octobre 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice, prorogeant son stage d'une durée de 6 mois et décidant de l'affecter à la maison d'arrêt de Châlons-en-Champagne et, d'autre part, d'ordonner au garde des sceaux, ministre de la justice, de prononcer son changement d'affectation et de la nommer à la maison d'arrêt d'Ecrouves.

Par un jugement n° 1903122 du 15 avril 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 juin 2022, Mme B..., représentée par la SCP ACG, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 avril 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) d'annuler la décision du 18 septembre 2019, ensemble l'arrêté du 1er octobre 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle prend acte de ce que le courrier du 18 septembre 2019 ne lui fait pas grief ;

- les premiers juges n'ont pas motivé le rejet de son moyen selon lequel elle a subi un harcèlement moral ;

- les premiers juges ont retenu à tort des moyens inopérants : alors qu'il s'agissait d'apprécier ses compétences sur la période d'affectation à Bar-le-Duc, le tribunal a pris en compte des éléments liés à ses prestations antérieures de travail au sein du centre de détention d'Ecrouves, puis au sein de la maison d'arrêt de Châlons-en-Champagne où elle a effectué sa prolongation de stage ;

- l'arrêté du 1er octobre 2019 est entaché d'illégalité car elle n'a bénéficié d'aucune formation, d'aucun " accompagnement " interne ou de bilan de la part de sa hiérarchie, ou encore de " rappel " pour sa prise de poste, contrairement aux allégations de l'administration ; elle a juste bénéficié de son stage à l'école nationale d'administration pénitentiaire, lequel repose sur une simple approche théorique du personnel et de la législation ;

- la prorogation de son stage qui constitue un refus de titularisation, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses compétences professionnelles :

. il existe une véritable contrariété dans son évolution professionnelle qui ne trouve pas d'explication objective ; alors qu'elle donnait entière satisfaction à la maison d'arrêt d'Ecrouves de septembre 2017 à septembre 2018, ses appréciations professionnelles ont été qualifiées de " calamiteuses " lors de son stage à la maison d'arrêt de Bar-le-Duc ;

. alors qu'elle n'a jamais été en arrêt maladie durant sa carrière professionnelle, elle a entamé une thérapie pour son état anxiodépressif qui s'est manifesté alors qu'elle effectuait son stage à la maison d'arrêt de Bar-le-Duc ;

. alors que les rapports d'audit sur l'hygiène et la sécurité sanitaire de la restauration collective de la maison d'arrêt de Bar-le-Duc sont exceptionnels, sa hiérarchie ne les a pas pris en compte dans l'appréciation de ses compétences ;

. les appréciations sur sa manière de servir sont systématiquement très défavorables et ne reposent sur aucun élément objectif sérieux ;

. il lui est reproché des faits se rapportant à des périodes où elle ne travaillait pas ou sur lesquels elle n'avait aucune prise ; les trois demandes d'explication des 5 mars 2019, 15 mars 2019 et 3 juin 2019 produites aux débats par l'administration sont " dramatisées " ;

. s'agissant de sa présentation, de sa disponibilité, de sa ponctualité et de sa conscience professionnelle, les observations écrites de son responsable hiérarchique qui l'a notée " moyen " ne reposent sur aucun élément objectif ;

. s'agissant de son aptitude à prendre en charge et encadrer la population placée sous-main de justice, les appréciations systématiquement défavorables de " moyens " ou encore " insuffisances " ne sont pas fondées ;

. s'agissant de sa capacité à travailler en équipe les appréciations systématiquement défavorables n'ont aucune réalité ;

. s'agissant de sa capacité à assurer " l'entretien et la maintenance des installations et matériels " l'appréciation systématiquement défavorable est sans fondement ;

- ce refus de titularisation et cette prorogation s'inscrivent dans un cadre d'agissements de harcèlement moral à son encontre ;

. elle a souffert d'un état anxiodépressif en raison des brimades injustifiées de sa hiérarchie ;

. les pièces médicales produites au débat permettent de faire présumer un harcèlement moral ;

. la décision de l'affecter à plus de 300 km de son domicile alors qu'elle a quatre enfants à charge est encore une manifestation de l'employeur de sa volonté de la déstabiliser.

Par une ordonnance du 29 mars 2023, une clôture d'instruction a été fixée au 31 mai 2023 à midi.

Un mémoire du garde des sceaux, ministre de la justice, a été enregistré le 8 mars 2024, soit après la clôture d'instruction, et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 99-669 du 2 août 1999 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été nommée à compter du 1er octobre 2018 adjoint technique de 2ème classe de l'administration pénitentiaire stagiaire à la suite de sa réussite à un concours dans la spécialité restauration collective et affectée à la maison d'arrêt de Bar-le-Duc. Estimant sa manière de servir insatisfaisante, le garde des sceaux, ministre de la justice a décidé, par un arrêté du 1er octobre 2019, de proroger le stage réglementaire de Mme B... d'une durée de six mois supplémentaires jusqu'au 1er avril 2020 et de l'affecter pour la poursuite de son stage à la maison d'arrêt de Châlons-en-Champagne. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la lettre du 18 septembre 2019 du chef de l'établissement pénitentiaire de Bar-le-Duc l'avisant que la commission administrative paritaire avait " émis " à son encontre " une décision de prolongation de stage à compter du 1er octobre 2019 et d'affectation à la maison d'arrêt de Châlons-en-Champagne " ainsi que l'arrêté du 1er octobre 2019 portant prolongation de stage. Par un jugement du 15 avril 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne après avoir rejeté les conclusions tendant à l'annulation du courrier du 18 septembre 2019 au motif de leur irrecevabilité, a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Par les moyens qu'elle soulève, Mme B... doit être regardée comme relevant appel de ce jugement du 15 avril 2022 en tant uniquement que celui-ci a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 1er octobre 2019.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Contrairement à ce que soutient la requérante, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments, a suffisamment motivé le rejet du moyen tiré de l'existence d'un harcèlement moral au point 8 de son jugement.

4. En second lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme B... ne peut donc utilement se prévaloir de ce que le tribunal administratif aurait retenu des éléments inopérants pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Aux termes de l'article 35 du décret du 2 août 1999 portant statut particulier des personnels techniques des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Les adjoints techniques de l'administration pénitentiaire assurent l'encadrement des détenus affectés au service général. Ils exécutent également tous travaux ou réparations nécessaires au fonctionnement des services et établissements pénitentiaires, à l'entretien des bâtiments et à la maintenance des installations et des matériels. Ils peuvent être chargés de la restauration collective ". L'article 40 de ce décret dispose que les adjoints techniques stagiaires qui ne sont pas titularisés à l'issue du stage peuvent être autorisés, après avis de la commission administrative paritaire, à effectuer un stage complémentaire d'une durée maximale de six mois.

6. En l'absence de décision expresse de titularisation en fin de stage, l'agent conserve après cette date la qualité de stagiaire, à laquelle l'administration peut mettre fin à tout moment pour des motifs tirés de l'inaptitude de l'intéressé à son emploi. Un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir. Pour apprécier la légalité d'une décision de prolongation de stage, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier et en particulier des trois évaluations intermédiaires de son stage réalisées à trois, six et neuf mois, que la manière de servir de Mme B... n'était pas satisfaisante, cette dernière ne maîtrisant pas suffisamment les compétences indispensables pour occuper les fonctions de responsable de la restauration collective, qu'il s'agisse de la gestion des stocks et des commandes, de l'encadrement des personnes placées sous son autorité et de la capacité à être autonome sur son poste. Si la requérante conteste l'exactitude de ces critiques, elle n'apporte toutefois pas d'éléments suffisamment probants de nature à les remettre en cause, alors au contraire que les trois rapports d'incidents la concernant, auxquels elle a répondu, révèlent ses insuffisances que la seule production de l'audit de la maîtrise sanitaire réalisé par une société extérieure le 15 mars 2019 ne permet pas de démentir. Si la requérante soutient également que les faits qui lui sont reprochés seraient mensongers ou ne reflèteraient pas ses réelles aptitudes qui ont été reconnues lorsqu'elle officiait aux maisons d'arrêt d'Ecrouves et de Châlons-en-Champagne, il ressort des pièces du dossier et plus particulièrement des deux lettres des directeurs de ces établissements que l'intéressée présentait les mêmes défaillances. Enfin, il ressort des pièces versées à l'instance, que Mme B... a bénéficié de la formation statutaire dispensée par l'école nationale de l'administration pénitentiaire ainsi que, pendant son stage, d'un accompagnement de nature à lui permettre d'exercer ses missions et de progresser dans son apprentissage. Elle a, dans ce cadre en particulier, bénéficié d'un accompagnement pour la création d'un fichier informatisé de gestion des stocks par l'économe, d'une aide et d'un contrôle de ce dernier pour l'élaboration des bons de commande, d'un accompagnement interne assuré par l'économe et par le chef d'établissement, ainsi que de l'aide du référent restauration dans la réalisation d'un audit trimestriel. La requérante ne peut en conséquence sérieusement soutenir qu'elle n'aurait pas bénéficié d'une formation suffisante.

8. Aussi, en décidant de prolonger de six mois le stage de Mme B... à l'issue de la période réglementaire d'un an, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a pas entaché l'appréciation de sa valeur professionnelle d'une erreur manifeste.

9. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".

10. Si les arrêts maladie et les attestations médicales versées à l'instance par la requérante révèlent sa souffrance au travail en raison de la dégradation de ses relations avec le directeur et l'économe, ces seuls faits ne permettent pas de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral alors d'ailleurs que la réalité des insuffisances de Mme B... dans l'accomplissement de ses missions doit être regardée comme établie.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 1er octobre 2019.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 avril 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 22NC01429


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01429
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS ACG REIMS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;22nc01429 ?
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