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21/03/2024 | FRANCE | N°23NC01617

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 21 mars 2024, 23NC01617


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2022 par lequel le préfet du Doubs l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et subsidiairement, de lui délivrer une autorisation

provisoire de séjour dans un délai de huit jours, et de mettre à la charge de l'État une somme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2022 par lequel le préfet du Doubs l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et subsidiairement, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, et de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2201733 du 21 décembre 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté les demandes de M. C....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 mai 2023, M. C..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 21 décembre 2022 et l'obligation de quitter le territoire français notifiée par le préfet du Doubs ;

2°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir et dans l'attente de lui remettre un récépissé avec des droits similaire dans un délai de huit jours ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à renouveler jusque ce qu'il soit statué sur son droit au séjour, le réexamen devant intervenir dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- il n'a pas été invité à présenter des observations écrites ou orales en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-1 du code de relations entre le public et l'administration consacrant le droit d'être entendu de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- il a présenté une demande de titre de séjour qui a été implicitement rejetée et la décision portant refus de séjour méconnait les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il encourt des risques en cas de retour dans son pays d'origine et la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire enregistré le 28 juin 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par courrier du 26 octobre 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre la décision de refus de titre de séjour.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Peton, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant kosovare né le 16 août 1973, déclare être entré en France le 25 février 2019. Sa demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 29 octobre 2021. A la suite de cette décision, et en l'absence de saisine de la Cour nationale du droit d'asile, le préfet du Doubs a obligé M. C... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné par un arrêté du 12 octobre 2022. M. C... relève appel du jugement du 21 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses demandes.

Sur la légalité de la décision du 12 octobre 2022 :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision portant refus de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 ". Il résulte de ces dispositions que dans l'hypothèse où la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été refusé, l'autorité administrative peut prendre à l'encontre de l'étranger concerné une obligation de quitter le territoire français laquelle découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice.

3. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige a été prise sur le fondement des dispositions de l'article L. 611-1 après que sa demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 29 octobre 2021. Cette mesure d'éloignement ne résulte pas d'un refus de séjour. Si M. C... soutient avoir déposé une demande de titre de séjour, il ne l'établit pas. Et contrairement à ce qu'il allègue, il ne résulte pas des termes de la décision contestée qu'il aurait déposé une demande de titre de séjour. En conséquence, les moyens dirigés contre une décision portant refus de séjour ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Ce droit ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a pu présenter les observations qu'il estimait utiles lors de l'examen de sa demande d'asile. Alors qu'il ne pouvait ignorer qu'en cas de rejet de cette demande, il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, il n'allègue pas avoir sollicité en vain un entretien auprès des services préfectoraux, ni même avoir été empêché de présenter des observations avant que ne soit prise la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français en litige. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. M. C... est entré en France en 2019 alors qu'il était âgé de quarante-six ans. Il soutient avoir conclu un pacte civil de solidarité avec Mme A... qu'il connaît depuis 1997, avec laquelle il a vécu au Kosovo jusqu'en 2012 et a eu quatre enfants. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a quitté le domicile conjugal en 2012 avant de renouer avec sa famille après son arrivée en France en 2020. M. A... et ses enfants bénéficient depuis 2016 de la protection subsidiaire et n'ont pas vocation à retourner dans leur pays d'origine. Toutefois, les contacts de M. C... avec sa famille ne sont que très récents après une longue interruption. Les trois enfants du couples encore vivants sont majeurs. Et si Mme A... présente une dépression chronique sévère réactionnelle à la suite du décès violent du quatrième enfant du couple, M. C... ne démontre pas le caractère indispensable de sa présence à ses côtés. Dans ces conditions, eu égard au caractère très récent du séjour en France de M. C..., aux conditions de son séjour en France où il n'établit pas avoir tissé des liens d'une intensité particulière, l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En troisième lieu, au regard de ce qui est énoncé au point précédent, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision portant obligation de quitter le territoire français sur l'appréciation de la situation personnelle de M. C... doit être écarté

9. En quatrième lieu, M. C... n'est pas fondé à se prévaloir d'une méconnaissance des stipulations de de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors que ses enfants sont tous majeurs d'une part, et les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont sans incidence s'agissant d'une décision portant obligation de quitter le territoire français.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

10. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

11. Si M. C... soutient qu'il encourt des risques qu'en cas de retour en Kosovo, il n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 octobre 2022 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel il pourrait être éloigné doivent être rejetées et que ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C....

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, la somme demandée par le requérant au bénéfice de son conseil au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à Me Bertin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 21 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public, par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 23NC01617


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01617
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;23nc01617 ?
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