Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 13 juin 2022, d'une part, en tant qu'il comporte une décision implicite de rejet de la demande de titre de séjour qu'elle a formée le 22 juin 2021, d'autre part, en ce qu'il porte obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et, le cas échéant, de renvoyer les conclusions relatives au refus de séjour devant une formation collégiale.
Par un jugement no 2204522 du 3 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 mai 2023, Mme C..., représentée par Me Snoeckx, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, subsidiairement de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de refus de séjour était recevable, cette décision étant mentionnée dans l'arrêté du 13 juin 2022 tandis qu'elle l'a contestée dans un délai raisonnable à compter de la naissance de cette décision ;
Sur la légalité de la décision implicite de refus de séjour :
- elle est entachée de défaut de motivation et de défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que sa fille, mineure, était titulaire d'une attestation de demande d'asile ;
Sur la légalité des décisions fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elles doivent être annulées en conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens présentés par Mme C... ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Mosser, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante géorgienne née en 1992, est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 12 décembre 2016 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile et sa demande de réexamen déclarée irrecevable par une décision de l'Office du 14 octobre 2019. L'intéressée a alors fait l'objet d'un arrêté du préfet de la Moselle du 20 novembre 2019 lui faisant obligation de quitter le territoire français. Elle a sollicité, le 6 février 2020, son admission au séjour en raison de son état de santé. Sa demande n'étant pas complète, elle n'a pas été enregistrée. Mme C... a ensuite, le 20 janvier 2021, demandé son admission au séjour à titre exceptionnel. Ainsi que les services préfectoraux l'en avaient informée, une décision implicite de rejet est née le 25 mai 2021 du silence gardé par le préfet de la Moselle. Elle a réitéré cette demande par un courrier du 22 juin 2021, reçu en préfecture le 28 juin 2021. Une décision implicite de rejet est également née du silence gardé par le préfet. Enfin, par un arrêté du 13 juin 2022, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée d'un an. Mme C... relève appel du jugement du 3 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) ; 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...) ".
3. Il ressort de l'arrêté en litige du 13 juin 2022 que l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de Mme C... est fondée aussi bien les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit compte tenu du rejet de la demande d'asile présentée par l'intéressée que sur les dispositions du 3° du même article compte tenu des décisions implicites par lesquelles le préfet de la Moselle a, antérieurement à la mesure d'éloignement en litige, rejeté les demandes de régularisation à titre exceptionnel présentées par l'intéressée les 20 janvier 2021 et 22 juin 2021. En revanche, l'arrêté du 13 juin 2022 ne comporte pas de refus de délivrance d'un titre de séjour adopté concomitamment à l'obligation de quitter le territoire français adoptée à l'encontre de Mme C.... Faute pour l'intéressée d'avoir présenté des conclusions distinctes de celles dirigées contre l'arrêté du 13 juin 2022, tendant à l'annulation de la décision implicite née le 28 octobre 2021 du silence gardé par le préfet de la Moselle sur sa demande de titre de séjour enregistrée en préfecture le 28 juin 2021, elle ne saurait utilement se prévaloir de ce que de telles conclusions ne pouvaient se voir opposer de tardiveté. Dans ces conditions, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg pouvait, sans entacher son jugement d'irrégularité, rejeter comme irrecevables les conclusions de la demande dirigées contre l'arrêté du 13 juin 2022 en tant qu'il comporterait une décision implicite de refus de la demande de titre de séjour présentée le 22 juin 2021. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait, sur ce point, entaché d'irrégularité.
Sur la légalité de l'arrêté du 13 juin 2022 :
4. Il ressort des pièces du dossier que la fille de Mme C..., qui est née le 12 septembre 2021, s'est vu délivrer, le 24 mai 2022, une attestation de demande d'asile, valable jusqu'au 23 novembre 2022. L'obligation faite à la requérante de quitter le territoire français, par une décision du 13 juin 2022, au demeurant postérieure à la délivrance à sa fille de l'attestation de demande d'asile, emporte en tant que telle comme conséquence d'imposer une séparation entre la mère et son enfant, âgée de seulement neuf mois à la date de cette décision, sauf à faire renoncer l'enfant à son droit de voir sa demande d'asile examinée et le cas échéant accueillie. Est sans incidence sur l'appréciation de la légalité de la mesure d'éloignement la circonstance que Mme C... pourrait solliciter la prolongation de son délai de départ volontaire. Le préfet de la Moselle ne saurait à cet égard sérieusement opposer à la requérante le fait de ne pas s'être prévalue auprès des services de la préfecture de la délivrance, par ces mêmes services, d'une attestation de demande d'asile à sa fille. Dans ces conditions, Mme C... est fondée à soutenir que la décision en litige est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
5. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par Mme C..., celle-ci est fondée à demander l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ainsi que, par voie de conséquence, des décisions fixant le pays de destination et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 juin 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
8. Le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Moselle réexamine la situation de Mme C.... Il y a lieu de prescrire au préfet d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente et sans délai, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais de l'instance :
9. Mme C... ayant été admise à l'aide juridictionnelle totale, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Snoeckx, sous réserve de sa renonciation au versement de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique, de la somme de 1 500 euros au titre des frais que Mme C... aurait exposés dans la présente instance si elle n'avait pas été admise à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 3 octobre 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation des décisions du 13 juin 2022 portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de destination et faisant interdiction de retour sur le territoire français.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Moselle du 13 juin 2022 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de réexaminer la situation de Mme C..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente et sans délai, une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Snoeckx la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., épouse B..., à Me Snoeckx et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Martinez, président,
- M. Agnel, président-assesseur,
- Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.
La rapporteure,
Signé : C. MosserLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 23NC01559