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14/03/2024 | FRANCE | N°23NC01324

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 14 mars 2024, 23NC01324


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités bulgares et l'a assigné à résidence.



Par un jugement n° 2300767 du 15 février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enreg

istrée le 28 avril 2023, M. A..., représenté par Me Gaudron, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du 15 févri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités bulgares et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2300767 du 15 février 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 avril 2023, M. A..., représenté par Me Gaudron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 février 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2023 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile dans un délai de huit jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du présent arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 440 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de transfert méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard aux défaillances systémiques existants dans le système d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie et des maltraitances et humiliations qu'il a subies en Bulgarie ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à l'article 17 du règlement n° 604-2013 dans la mesure où il démontre l'existence d'un motif humanitaire justifiant son maintien sur le territoire français pour l'examen de sa demande d'asile ;

- la décision portant assignation à résident est illégale eu égard à l'illégalité de la décision de transfert. ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation en ce que la préfète ne démontre pas en quoi cette mesure est justifiée et proportionnée.

Par un mémoire enregistré le 1er septembre 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- la requête d'appel étant une simple reproduction de la demande de première instance, elle n'est pas recevable ;

- les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fins d'annulation de la décision de transfert attaquée. En effet, l'expiration du délai d'exécution du transfert de 6 mois défini à l'article 29 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, interrompu par le recours présenté devant le tribunal administratif et qui recommence à courir à compter de la date de notification au préfet du jugement se prononçant sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert, entraîne la caducité de cette décision et a pour conséquence que la France devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale (cf Conseil d'Etat n° 420708 Mme C... 24 septembre 2018 et Conseil d'Etat n° 421276 Ministre de l'intérieur c/ Mme B...). La décision de transfert ne pouvant plus dès lors être légalement exécutée, les conclusions tendant à son annulation deviennent ainsi sans objet.

Par un mémoire enregistré le 1er décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin a précisé que le délai de transfert de M. A... avait été porté à 18 mois et courrait jusqu'au 15 août 2024 en raison de la méconnaissance des modalités de son assignation à résidence. Par suite, ses conclusions ne sont pas sans objet.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan, a sollicité une première fois son admission en France au titre de l'asile le 10 décembre 2021, a fait l'objet d'une procédure de réadmission et a été effectivement remis aux autorités bulgares le 31 août 2022. Il a présenté une nouvelle demande d'asile au guichet unique le 23 novembre 2022. La consultation du fichier Eurodac a fait ressortir que l'intéressé a déposé une demande d'asile en Bulgarie. Le 2 décembre 2022, la préfète a saisi les autorités bulgares d'une demande de reprise en charge, lesquelles ont donné leur accord le 14 décembre suivant. Par un arrêté du 10 janvier 2023, la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités bulgares et l'a assigné à résidence. M. A... relève appel du jugement du 15 février 2023 par lequel la magistrate désignée par le président tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la décision de transfert :

2. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains ou dégradants ".

3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

4. M. A... soutient que son transfert vers la Bulgarie l'expose à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en raison des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile qui existent dans ce pays. Il se prévaut à cet égard du rapport 2021/2022 de l'organisation non gouvernementale Amnesty international faisant état des mauvaises conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie et de cas de refoulement à la frontière entre la Bulgarie et la Turquie, d'un article de " Lighthouse report " du 8 décembre 2022 témoignant de retenues illégales de migrants à la frontière dans des lieux non déclarés et d'un article d'un site d'informations bulgare d'octobre 2022 indiquant la présence de quatre corps de migrants non identifiés et conservés à la morgue d'un hôpital à Burgas en Bulgarie. Toutefois, ces éléments ne suffisent pas à établir qu'il existerait, à la date de l'arrêté en litige, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant dans ce pays, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, M. A... n'établit pas qu'il risquerait d'être personnellement exposé à de tels traitements en se bornant à alléguer que lors de son premier passage en Bulgarie, il aurait été retenu dès son arrivée, ses empreintes auraient été recueillies sans qu'il ne soit informé au préalable de la procédure et qu'il aurait subi des violences de la part des policiers bulgares et que lors de son transfert, il aurait été retenu trois jours avant d'être relâché sans avoir pu déposer de demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige serait contraire au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

5. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La mise en œuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". Aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

6. Ainsi qu'il a été exposé au point 4, le requérant n'établit pas que sa demande d'asile ne sera pas examinée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'il existerait des défaillances systématiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, ni enfin que les autorités bulgares le renverront en Afghanistan sans réel examen des risques auxquels il y serait exposé. En outre, si le requérant se prévaut de la présence en France de son frère, installé en France depuis 2012 et qui a obtenu la nationalité française, il n'apporte aucun élément de nature à démontrer les liens qui les unit tandis qu'il soutient que ce dernier l'héberge. En tout état de cause, cette seule circonstance n'est pas de nature à justifier une dérogation au critère de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. Dès lors, la préfète du Bas-Rhin n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013. Ce moyen doit par suite être écarté.

Sur la décision portant assignation à résidence :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision de transfert à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant assignation à résidence.

8. En second lieu, aux termes du troisième paragraphe de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. "

9. La préfète du Bas-Rhin fait valoir sans être contredite que M. A... ne dispose ni de moyens lui permettant de se rendre en Bulgarie, ni de la possibilité d'acquérir légalement ces moyens et que son transfert demeure une perspective raisonnable. Dès lors, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que la préfète ne lui a pas octroyé un délai de départ volontaire mais a pris à son encontre une mesure d'assignation en application des dispositions précitées.

10. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la préfète que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en annulation. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Gaudron.

Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.

La rapporteure,

Signé : C. MosserLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 23NC01324


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01324
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Cyrielle MOSSER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : GAUDRON

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-14;23nc01324 ?
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