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14/03/2024 | FRANCE | N°22NC02505

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 14 mars 2024, 22NC02505


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités bulgares.



Par un jugement n° 2205796 du 27 septembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 10 octobre 2022, M. A..

., représenté par Me Thalinger, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2022 ;



2°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités bulgares.

Par un jugement n° 2205796 du 27 septembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Thalinger, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale dans un délai de quinze jours ou à défaut de réexaminer sa situation sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté de transfert est entaché d'incompétence ;

- il méconnaît l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 et l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où il n'est pas établi qu'il ait reçu les brochures l'informant de la mise en œuvre du règlement Dublin III dans une langue qu'il comprend ;

- il méconnaît l'article 5 du règlement (UE) n° 604-2013 dans la mesure où il n'est pas démontré qu'il ait bénéficié d'un entretien individuel en présence d'un interprète ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604-2013 et l'article 4 de la charte des droits fondamentaux en raison des défaillances systémiques existant en Bulgarie dans l'accueil des demandeurs d'asile ;

- en ne prenant pas ces éléments en compte, la préfète du Bas-Rhin n'a pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation du requérant ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à l'article 17 du règlement n° 604-2013, l'article 4 de la charte des droits fondamentaux et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où il démontre l'existence d'un motif humanitaire justifiant son maintien sur le territoire français pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 juin 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, la requête d'appel est irrecevable en l'absence d'éléments nouveaux ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan, a présenté une demande d'asile auprès du guichet unique de la préfecture le 25 mai 2022. La consultation du fichier Eurodac a fait ressortir que l'intéressé a préalablement été identifié en Bulgarie. Le 2 juin 2022, la préfète a saisi les autorités bulgares d'une demande de reprise en charge, lesquelles ont donné implicitement leur accord le 17 juin suivant en application du 1. de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013. Par un arrêté du 4 août 2022, la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités bulgares. M. A... relève appel du jugement du 27 septembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, le requérant reprenant en appel, sans apporter d'élément nouveau, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'arrêt en litige et de la méconnaissance de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à juste titre par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg dans son jugement du 27 septembre 2022.

3. En deuxième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". Par ailleurs, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

4. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

5. M. A... soutient que son transfert vers la Bulgarie l'expose à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en raison des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile qui existent dans ce pays. Toutefois, en se référant à la lettre de mise en demeure adressée par la Commission européenne aux autorités bulgares le 18 novembre 2018 alors que la Commission n'a déclenché aucune procédure en manquement à l'encontre de la Bulgarie et n'a pas recommandé de suspendre les transferts de demandeurs d'asile vers cet Etat, le requérant n'établit pas la réalité de ses craintes quant au défaut de protection des demandeurs d'asile dans ce pays, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De même, si le requérant se prévaut de la circonstance que le taux d'admission au statut de réfugié des demandeurs d'asile afghans était très faible en Bulgarie comparativement à d'autres nationalités et à d'autres Etat membres, d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant la Bulgarie (D c. Bulgarie, 20 juillet 2021, n° 29447/17) mais portant sur des faits survenus en 2016, ainsi que des rapports d'organisations non gouvernementales et du département d'Etat américain datant de 2019 et 2020, ces éléments ne suffisent pas à établir qu'il existerait, à la date de l'arrêté en litige, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant. En outre, s'il produit deux articles de mai et juin 2022 émanant d'organisations non gouvernementales faisant état de refoulements de migrants à la frontière entre la Bulgarie et la Turquie, ces éléments qui ne concernent pas des demandeurs d'asile faisant l'objet d'un transfert d'un autre Etat membre. Par ailleurs, M. A... n'établit pas qu'il risquerait d'être personnellement exposé à de tels traitements en cas d'un transfert en Bulgarie se bornant à alléguer qu'il a fait l'objet de cinq refoulements avant de pouvoir entrer en Bulgarie, aurait subi des violences policières lors de son interpellation et de sa rétention et alors que les photographies qu'il produit, non datées et non circonstanciées, ne permettent pas de démontrer la réalité des mauvais traitements qu'il soutient avoir subis en Bulgarie. Enfin, il n'est pas démontré que sa demande d'asile serait rejetée sans faire l'objet d'un examen préalable par les autorités bulgares et qu'il serait ainsi nécessairement renvoyé dans son pays d'origine en cas de transfert en Bulgarie. Par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté en litige serait contraire au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à l'article 4 de la charte européenne des droits fondamentaux et à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

6. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et alors qu'il vient d'être dit que le risque de subir des traitements inhumains et dégradants en raison de l'existence de défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile en Bulgarie n'est pas établi, que la préfète du Bas-Rhin aurait entaché son arrêté d'un défaut d'examen sérieux de la situation du requérant en décidant de son transfert aux autorités bulgares.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La mise en œuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". Aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

8. Ainsi qu'il a été exposé au point 5, le requérant n'établit pas que sa demande d'asile, enregistrée par les autorités bulgares, ne sera pas examinée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, ni enfin que les autorités bulgares le renverront en Afghanistan sans réel examen des risques auxquels il y serait exposé. Par suite, et alors que le requérant n'établit l'existence d'aucune circonstance particulière susceptible de déroger au critère de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile, la préfète du Bas-Rhin n'a pas commis d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013. Ce moyen doit ainsi être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par la préfète du Bas-Rhin, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en annulation. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Thalinger.

Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.

La rapporteure,

Signé : C. MosserLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 22NC02505


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02505
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Cyrielle MOSSER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : L'ILL LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 20/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-14;22nc02505 ?
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