Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 25 juillet 2019 par lequel le président de la communauté de communes de l'Alsace Bossue l'a placée en disponibilité d'office à compter du 18 juin 2019, ensemble la décision du 23 octobre 2019 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1909250 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 14 septembre 2021 et 14 décembre 2022, Mme B..., représentée par Me Marty, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 juillet 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 juillet 2019 ;
3°) d'enjoindre au président de la communauté de communes de l'Alsace bossue de placer Mme B... en activité à compter du 4 juillet 2019, le cas échéant sur un poste adapté ;
4°) de mettre à la charge de la communauté de communes de l'Alsace bossue la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme B... soutient que :
- l'arrêté du 25 juillet 2019 la plaçant en disponibilité d'office pour raison de santé ne pouvait retirer la décision du 20 juin 2019 lui accordant le report de ses congés annuels puisque celle-ci constitue une décision créatrice de droits qui n'est pas illégale et ne pouvait donc être retirée ;
- il est illégal en ce que la décision de placement en disponibilité d'office pour raisons médicales à titre rétroactif à compter du 18 juin 2019 intervient à l'issue d'une période de reprise d'activité lui ouvrant à nouveau droit à des congés de maladie ordinaire ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que l'administration ne l'a pas informée de son droit à formuler une demande de reclassement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2022, la communauté de communes de l'Alsace bossue, représentée par Me Gillig, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 86-68 du 13 janvier 1986 ;
- le décret n°85-1250 du 26 novembre 1985 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mosser,
- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique,
- et les observations de Me Cheminet, représentant la communauté de communes de l'Alsace bossue.
Considérant ce qui suit :
1. Attachée territoriale, Mme B... est affectée auprès de la communauté de communes de l'Alsace Bossue. Elle a été placée en congé de maladie ordinaire à compter du
18 juin 2018 et a sollicité, par courrier du 1er mars 2019, un congé de longue maladie. Par un avis du 24 mai 2019, le comité médical départemental a émis un avis défavorable à l'octroi d'un congé de longue maladie mais favorable à la prolongation du congé de maladie ordinaire de l'intéressée jusqu'au 17 juin 2019, date à laquelle l'agent est apte à la reprise des fonctions sur une affectation différente de son précédent emploi. Par une décision du 20 juin 2019, la communauté de communes a autorisé Mme B... a bénéficié d'un report de ses congés annuels du 18 juin au 3 juillet 2019. Le 4 juillet 2019, le médecin de prévention a toutefois estimé que l'état de santé de Mme B... était incompatible avec une reprise de ses fonctions au sein de la collectivité qui a saisi le comité médical supérieur. Par un arrêté du 25 juillet 2019, le président de la communauté de communes de l'Alsace Bossue a, dans l'attente de l'avis du comité médical supérieur, placé Mme B... en disponibilité d'office à compter du 18 juin 2019. Mme B... relève appel du jugement du 8 juillet 2021 du tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, ensemble la décision du 23 octobre 2019 rejetant son recours gracieux.
Sur la légalité de la décision du 25 juillet 2019 :
2. L'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. "
3. Les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. S'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires ou des militaires, l'administration ne peut, en dérogation à cette règle générale, leur conférer une portée rétroactive que dans la mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation.
En ce qui concerne la décision du 20 juin 2019 :
S'agissant de sa légalité :
4. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 : " Le fonctionnaire en activité a droit : / 1° A un congé annuel avec traitement dont la durée est fixée par décret en Conseil d'Etat. (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. (...) ". L'article 72 de cette même loi dispose : " (...) / La disponibilité est prononcée, soit à la demande de l'intéressé, soit d'office à l'expiration des congés prévus aux 2°, 3° et 4° de l'article 57. (...) ". Aux termes de l'article 19 de la loi n° 86-68 du 13 janvier 1986 relatif aux positions de détachement, de disponibilité, de congé parental des fonctionnaires territoriaux et à l'intégration : " La mise en disponibilité peut être prononcée d'office à l'expiration des droits statutaires à congés de maladie prévus au premier alinéa du 2° (...) de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 et s'il ne peut, dans l'immédiat, être prononcé au reclassement du fonctionnaire dans les conditions prévues aux articles 81 à 86 de la loi du 26 janvier 1984. (...) ". L'article 5 du décret du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux prévoit : " (...) le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par l'autorité territoriale ".
5. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dispositions font obstacle à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période s'éteigne à l'expiration de celle-ci. Le droit au report des congés annuels non exercés pour ce motif n'est toutefois pas illimité dans le temps. Si, selon la Cour, la durée de la période de report doit dépasser substantiellement celle de la période au cours de laquelle le droit peut être exercé, pour permettre à l'agent d'exercer effectivement son droit à congé sans perturber le fonctionnement du service, la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d'un temps de repos ainsi que d'un temps de détente et de loisirs, s'oppose à ce qu'un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives puisse avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une durée de report de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive.
6. Les dispositions de l'article 5 du décret du 26 novembre 1985 précité qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive citée au point 3 et, par suite, illégales. En revanche, ces mêmes dispositions permettent en principe à l'autorité territoriale de rejeter une demande de report des jours de congés annuels non pris par un fonctionnaire territorial en raison d'un congé de maladie lorsque cette demande est présentée au-delà d'une période de quinze mois qui suit l'année au titre de laquelle les droits à congé annuels ont été ouverts.
7. Il est constant que le comité médical départemental a estimé dans son avis du 24 mai 2019 que Mme B... était apte à reprendre le travail à compter du 18 juin 2019 sur une affectation différente de son précédent emploi dans des conditions à définir avec la médecine de prévention. Le 19 juin 2019, Mme B... a demandé à bénéficier, à compter du 18 juin jusqu'au 3 juillet inclus, de ses congés annuels qu'elle n'avait pas été en mesure de prendre au cours de l'année écoulée en raison de son placement en congés de maladie ordinaire. Elle a ainsi procédé à cette demande dans le délai de quinze mois qui suit l'année au titre de laquelle les droits à congé annuels ont été ouverts, tel qu'il ressort de la jurisprudence européenne précitée. Enfin, ayant été déclarée apte, elle pouvait reprendre ses fonctions sans que cette reprise soit conditionnée par l'avis de la médecine de prévention. Par suite, en autorisant ce report, la collectivité a, par la décision du 20 juin 2019, régulièrement placé Mme B... en congés annuel pour une durée de trois semaines.
S'agissant de son retrait par la décision du 25 juillet 2019 :
8. La décision du 20 juin 2019 par laquelle la communauté de communes place Mme B... en congés annuels constitue, ainsi qu'il a été dit, une décision légale et créatrice de droits. Si la médecin de prévention a estimé le 4 juillet suivant que l'agent n'était pas apte à reprendre son travail dans la collectivité, cette circonstance, intervenue postérieurement, n'est pas de nature à faire regarder la reprise du service et le placement concomitant de Mme B... en congés annuels comme étant entachée d'illégalité. Dès lors, la collectivité ne pouvait, sans méconnaitre les dispositions de l'article L. 242-1 citées au point 2, retirer cette décision en la plaçant à titre rétroactif en disponibilité d'office pour raisons de santé. Par suite, la décision en litige du 25 juillet 2019 est illégale en tant qu'elle a retiré la décision du 20 juin 2019.
En ce qui concerne le placement en disponibilité d'office :
9. Le premier paragraphe de l'article 5 du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des comités médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux dispose : " Le comité médical supérieur institué auprès du ministre chargé de la santé par le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 susvisé peut être appelé, à la demande de l'autorité compétente ou du fonctionnaire concerné, à donner son avis sur les cas litigieux, qui doivent avoir été préalablement examinés en premier ressort par les comités médicaux. ". Le deuxième paragraphe de l'article 17 du même décret dispose : " Lorsque le fonctionnaire a obtenu pendant une période de douze mois consécutifs des congés de maladie d'une durée totale de douze mois, il ne peut, à l'expiration de sa dernière période de congé, reprendre son service sans l'avis favorable du comité médical. (...) Le paiement du demi-traitement est maintenu, le cas échéant, jusqu'à la date de la décision de reprise de service, de reclassement, de mise en disponibilité ou d'admission à la retraite. ". Lorsque, pour l'application de ces dispositions, le comité médical supérieur est saisi d'une contestation de l'avis du comité médical, il appartient à l'employeur de prendre une décision provisoire dans l'attente de cet avis pour placer le fonctionnaire dans l'une des positions prévues par son statut.
10. La collectivité qui a saisi le comité médical supérieur, était tenue de placer Mme B... dans une position statutaire règlementaire dans l'attente de son avis. Ayant repris son service le 18 juin 2019 et ayant bénéficié ainsi qu'il a été dit au point 7 régulièrement de ses congés annuels pour une durée de trois semaines, l'agent pouvait à nouveau bénéficier de congés de maladie ordinaire dans les conditions prévues au 2° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984. Ses droits statutaires à congés de maladie ordinaire n'étant pas expirés, la collectivité ne pouvait, alors que l'avis du comité médical était favorable à sa reprise de fonctions, légalement, même par une décision à caractère provisoire et sous réserve de régularisation ultérieure, la placer en disponibilité d'office pour raisons de santé. Par suite, c'est à tort que la collectivité a, par la décision du 25 juillet 2019, placé Mme B... en disponibilité d'office pour raisons de santé.
11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. La présente annulation implique nécessairement que la communauté de communes de l'Alsace Bossue réintègre Mme B... à compter du 4 juillet 2019 et reconstitue sa carrière à compter de cette date.
Sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes de l'Alsace Bossue une somme de 2 000 euros à verser à Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme B... une somme au titre des frais non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 juillet 2021 et la décision du 25 juillet 2019 de la communauté de communes de l'Alsace Bossue sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la communauté de communes de l'Alsace Bossue de réintégrer Mme B... à compter du 4 juillet 2019 et de reconstituer sa carrière à compter de cette date.
Article 3 : La communauté de communes de l'Alsace Bossue versera à Mme B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la communauté de communes de l'Alsace Bossue sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la communauté de communes de l'Alsace Bossue.
Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Rousselle, présidente,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.
La rapporteure,
Signé : C. MosserLa présidente,
Signé : P. Rousselle
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
2
N° 21NC02490