Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis, en droits et pénalités, au titre des années 2014 à 2016, d'autre part, des contributions sociales correspondantes mis à leur charge, en droits et pénalités, au titre de ces mêmes années.
Par un jugement n° 1902794, 1902798 du 1er juillet 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 13 juillet 2021, 13 et 15 décembre 2022, M. et Mme B..., représentés par Me Ponsart, doivent être regardés comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er juillet 2021 ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à leur charge au titre des années 2014, 2015 et 2016 à hauteur d'un montant total de 196 598 euros en droits et pénalités ;
3°) de prononcer la décharge des contributions sociales mises à leur charge au titre de ces mêmes années à hauteur d'un montant total de 63 276 euros en droits et pénalités ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le motif retenu par les premiers juges, tenant à l'absence de justification de la nature des travaux réalisés, n'a pas été opposé par l'administration et a été soulevé d'office par le tribunal administratif alors qu'il ne s'agit pas d'un moyen d'ordre public ;
- l'administration ne peut pas écarter la qualification de travaux d'entretien et d'amélioration réalisés en se fondant uniquement sur la durée de ceux-ci et le caractère inhabitable du logement ;
- les pénalités de 40% pour manquement délibéré ne sont pas fondées.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 février 2022 et 13 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le quantum du litige est limité aux montants contestés dans la réclamation préalable, soit 183 704 euros de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et 63 276 euros de prélèvements sociaux ;
- les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, si l'application de la majoration de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts n'était pas fondée, il est sollicité une substitution de base légale par l'application de la majoration prévue à l'article 1758 A I du même code.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mosser, première conseillère,
- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique
- et les observations de Me Ponsart pour les requérants
Vu la note en délibéré enregistrée le 18 février 2024 présentée pour les requérants.
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Considérant ce qui suit :
1. La SCI Les Acacias, dont M. et Mme B... possèdent chacun la moitié des parts et dont les résultats sont imposables entre leurs mains en vertu de l'article 8 du code général des impôts, a acquis, le 22 novembre 2011, un appartement situé à Chamonix et a déduit de ses résultats, au titre des années 2014, 2015 et 2016, des frais et charges, incluant des reports de dépenses de travaux, ainsi que des intérêts d'emprunt. A l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a, par une proposition de rectification du 11 octobre 2017 établie selon la procédure de rectification contradictoire, remis en cause la déductibilité de l'intégralité des charges déduites à raison de ce bien immobilier, au motif que l'immeuble n'avait jamais été productif de loyers depuis son acquisition et que la SCI l'occupait personnellement, à titre secondaire, ce qui excluait toute possibilité de déduire les charges afférentes. Le service en a tiré les conséquences sur les résultats de la société au titre des même années, puis il a, par une proposition de rectification du même jour, informé M. et Mme B... des conséquences financières de cette rectification dans la catégorie des revenus fonciers. D'autres rectifications étaient également envisagées, relatives au nombre de parts déclarées, à la détermination de leurs traitements et salaires compte tenu du rattachement d'un de leurs enfants et aux reports des déficits fonciers qu'ils avaient pratiqués. Des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ont été mises en recouvrement, le 31 janvier 2019, pour un montant total de 466 472 euros en droits et pénalités. Les contribuables ont accepté une partie des rehaussements et n'ont contesté, par leur réclamation préalable formée le 8 mars 2019, que les impositions résultant du rehaussement des résultats de la SCI Les Acacias. Leur réclamation préalable a fait l'objet d'une décision de rejet du 20 septembre 2019. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 1er juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes tendant à la décharge partielle de ces cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du jugement attaqué qu'après avoir estimé que l'administration ne pouvait pas opposer, pour fonder le rehaussement des résultats de la SCI Les Acacias, la circonstance que celle-ci avait conservé la jouissance de l'appartement sis à Chamonix-Mont-Blanc, les premiers juges ont substitué à ce motif le motif tiré de ce que les intéressés ne justifiaient pas que les travaux réalisés dans cet immeuble consistaient en des dépenses de réparation et d'entretien déductibles des revenus fonciers. Contrairement à ce que M. et Mme B... soutiennent, l'administration fiscale a, dans son mémoire en défense présenté devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, opposé plusieurs motifs pour fonder la remise en cause de la déductibilité des dépenses de travaux et des charges afférentes à cet appartement, parmi lesquels la nature des travaux, dont l'administration indiquait qu'il s'agissait de travaux de restructuration complète de l'immeuble après démolition intérieure, équivalant à des travaux de construction, reconstruction ou agrandissement dont les dépenses ne sont pas déductibles des revenus fonciers. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les premiers juges auraient fondé leur décision sur un moyen soulevé d'office dont ils n'auraient pas été informés.
Sur le bien-fondé des impositions :
3. Aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ". Aux termes de l'article 13 du même code : " 1. Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu. / (...) ". Aux termes de l'article 28 de ce code : " Le revenu net foncier est égal à la différence entre le montant du revenu brut et le total des charges de la propriété ". Aux termes de l'article 31 : " I. - Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : 1° Pour les propriétés urbaines : a) Les dépenses de réparation et d'entretien (...) ; (...) ; b) Les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement, (...) ".
4. D'une part, les dépenses mentionnées au I de l'article 31 du code général des impôts précité ne peuvent être déduites du revenu foncier brut que dans la mesure où, notamment, les charges alléguées sont dûment justifiées par le titulaire du revenu foncier, se rapportent à des immeubles dont les revenus sont imposables dans la catégorie des revenus fonciers, sont effectivement supportées par le propriétaire et sont engagées en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu.
5. D'autre part, au sens de ces dispositions, doivent être regardés comme des travaux de reconstruction, ceux qui comportent la création de nouveaux locaux d'habitation, ou qui ont pour effet d'apporter une modification importante au gros œuvre, ainsi que les travaux d'aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à des travaux de reconstruction. Des travaux d'aménagement interne, quelle que soit leur importance, ne peuvent être regardés comme des travaux de reconstruction que s'ils affectent le gros œuvre ou s'il en résulte une augmentation du volume ou de la surface habitable. Lorsque des travaux n'ayant pas ce caractère sont effectués dans la même opération, les dépenses exposées à ce titre ne sont déductibles que si les différents travaux sont dissociables.
6. Enfin, il appartient au contribuable qui entend déduire de son revenu foncier brut les dépenses constituant, selon lui, des charges de la propriété, de justifier de la réalité, de la consistance et, par suite, du caractère déductible de ces charges, en produisant des pièces justificatives permettant d'établir avec précision la nature, le montant et la réalité de la charge supportée.
7. Il ressort du jugement attaqué que, ainsi qu'il a été dit précédemment, les premiers juges ont substitué au motif initialement retenu par l'administration fiscale pour rehausser les résultats de la SCI Les Acacias le motif tiré de ce que M. et Mme B... n'avaient apporté aucun élément pour justifier de la nature des travaux réalisés dans le bien immobilier acquis par la SCI à Chamonix au cours des trois années qui ont précédé sa mise en location tandis qu'il ressortait des photographies produites par le service que les travaux ne s'apparentaient manifestement pas à des dépenses de réparation et d'entretien.
8. D'une part, ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 6 de cet arrêt et contrairement à ce que M. et Mme B... soutiennent, il leur appartient d'établir le caractère déductible, par nature, des dépenses de travaux réalisées dans leur bien immobilier entre 2012 et 2014. D'autre part, à supposer même qu'ils aient présenté les factures correspondant à ces travaux dans le cadre du contrôle sur pièces dont ils ont fait l'objet, ce que le ministre dément au demeurant dans son mémoire en défense, les requérants, qui ne les avaient pas produites devant les premiers juges, ne les ont pas plus produites dans le cadre de leur requête d'appel. Ils se bornent à cet égard à affirmer que les dépenses de travaux prises en charge par la SCI, dont il ressort de la proposition de rectification adressée à la société, qu'elles étaient incluses dans les montants déduits en tant que " frais et charges " à hauteur de 200 721 euros en 2012, de 1 843 euros en 2013 et de 7 485 euros en 2014, visaient à apporter des éléments de confort nouveaux et mieux adaptés sans modifier la structure de l'immeuble et que la description du bien immobilier, constitué d'un appartement et d'une chambre, réaménagée en studio et " jumelée ", n'a pas varié. Ils n'apportent toutefois pas la moindre précision sur l'étendue de la rénovation à laquelle ils ont procédé, ni n'établissent que ces travaux n'ont pas affecté le gros œuvre ni entraîné d'augmentation du volume ou de la surface habitable. Dans ces conditions, M. et Mme B... ne justifient pas que les dépenses de travaux réalisées entre 2012 et 2014 avaient la nature de charges déductibles au sens de l'article 31 du code général des impôts.
9. Par suite, l'administration fiscale a pu, pour ce motif soulevé à bon droit devant les premiers juges, tirer les conséquences de la remise en cause des charges déduites des résultats de la SCI Les Acacias sur les bases imposables de M. et Mme B... à l'impôt sur le revenu au titre des années 2014 à 2016.
Sur les pénalités :
En ce qui concerne la pénalité pour manquement délibéré :
10. Aux termes des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi (...) incombe à l'administration ". La majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts sanctionne la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir le manquement délibéré, l'administration fiscale doit apporter la preuve de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations du contribuable, et de son intention délibérée d'éluder l'impôt.
11. Pour justifier l'application de la pénalité pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration fiscale a retenu que, dès l'acquisition du bien immobilier situé à Chamonix, M. et Mme B... avaient déduit d'importants frais et charges, minorant artificiellement les bénéfices de la SCI Les Acacias alors qu'ils occupaient ce bien à titre privé en qualité de résidence secondaire et ne pouvaient ainsi ignorer qu'ils en avaient conservé la jouissance personnelle depuis son acquisition, alors d'ailleurs que M. B..., qui exerce la profession de notaire, ne pouvait méconnaître les règles élémentaires applicables en matière de revenus fonciers. Toutefois, si l'administration se réfère à la déclaration faite par M. B..., en tant que gérant de la SCI des Acacias, au service des impôts des particuliers de Sallanches le 20 mars 2015 indiquant qu'il occupait cet immeuble à usage d'habitation, elle reconnaît qu'un bail civil a été produit pour la location de cet immeuble à compter du 15 novembre 2014 et qu'elle avait pu " légitimement supposer " que le bien n'était pas offert à la location. Aussi, en se fondant sur la seule circonstance que M. et Mme B... occupaient le bien à titre privé, l'administration fiscale n'a pas établi le caractère délibéré des inexactitudes de leurs déclarations d'impôt sur le revenu.
12. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a mis à leur charge les pénalités de 40% pour manquement délibéré à raison des droits supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales procédant du seul rehaussement des résultats de la SCI Les Acacias.
En ce qui concerne l'application de la pénalité de l'article 1758 A du code général des impôts par voie de substitution de base légale :
13. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à titre subsidiaire au juge de l'impôt de procéder à la substitution de la majoration de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts à la majoration de 40 % de l'article 1729 du même code.
14. Aux termes de l'article 1758 A du code général des impôts : " I. - Le retard ou le défaut de souscription des déclarations qui doivent être déposées en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu ainsi que les inexactitudes ou les omissions relevées dans ces déclarations, qui ont pour effet de minorer l'impôt dû par le contribuable ou de majorer une créance à son profit, donnent lieu au versement d'une majoration égale à 10 % des droits supplémentaires ou de la créance indue ".
15. Si l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en en modifiant le fondement juridique, c'est à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi et que l'administration invoque, au soutien de sa demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée.
16. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'administration a fondé la pénalité pour manquement délibéré sur la circonstance que M. et Mme B... ne pouvaient ignorer qu'ils occupaient à titre privé l'immeuble acquis par la SCI Les Acacias à Chamonix. Ces faits n'étant pas établis par l'administration, ils ne sont pas de nature à justifier l'application des pénalités prévues par l'article 1758 A précité. Par suite, la demande de substitution de base légale sollicitée par le ministre doit être écartée.
17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir partielle soulevée par l'administration, que M. et Mme B... sont seulement fondés à demander la réformation du jugement attaqué dans la mesure de la décharge des impositions en litige résultant du point 12.
Sur les frais de l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie succombant à titre principal dans la présente instance, verse à M. et Mme B... une somme au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : M. et Mme B... sont déchargés des pénalités pour manquement délibéré résultant du rehaussement des résultats de la SCI Les Acacias.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 1er juillet 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... et du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Rousselle, présidente,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.
La rapporteure,
Signé : C. Mosser La présidente,
Signé : P. Rousselle
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 21NC02016