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12/03/2024 | FRANCE | N°22NC02840

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 12 mars 2024, 22NC02840


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 3 mars 2020 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a décidé de prononcer son licenciement pour insuffisance professionnelle à compter du 9 mars 2020 et d'enjoindre à ce dernier de procéder à sa réintégration dans ses fonctions de surveillante pénitentiaire et de la titulariser sans délai à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de cinquan

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 3 mars 2020 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a décidé de prononcer son licenciement pour insuffisance professionnelle à compter du 9 mars 2020 et d'enjoindre à ce dernier de procéder à sa réintégration dans ses fonctions de surveillante pénitentiaire et de la titulariser sans délai à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, et, à défaut, dans ce même délai et sous la même astreinte, de procéder au réexamen de sa situation personnelle.

Par un jugement n° 2003962 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 novembre 2022, Mme A..., représentée par Me Sgro, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 décembre 2021 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 mars 2020 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a décidé de prononcer son licenciement pour insuffisance professionnelle à compter du 9 mars 2020 ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de procéder à sa réintégration dans ses fonctions de surveillante pénitentiaire et de la titulariser sans délai à compter de la notification de la présente décision, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, et, à défaut, dans ce même délai et sous la même astreinte, de procéder au réexamen de sa situation personnelle ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté du 3 mars 2020 est entaché d'un vice de procédure, tiré du défaut de communication de son dossier individuel et du défaut d'information quant à la possibilité de présenter des observations ; cet arrêté a été pris après la fin de son stage intervenue le 15 décembre 2019, à une date à laquelle elle n'était plus stagiaire mais relevait d'une situation régie par les dispositions applicables aux fonctionnaires titulaires de la fonction publique et notamment par les articles L. 553-2 et L. 532-4 du code général de la fonction publique ;

- l'arrêté du 3 mars 2020, qui se fonde sur des fautes disciplinaires, est entaché d'un vice de procédure car elle n'a pas pu bénéficier des garanties attachées à la procédure disciplinaire :

. elle n'a pas eu connaissance de son dossier et des griefs qu'il contenait ;

. elle n'a pas pu présenter ses observations ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, dès lors qu'elle a été victime d'une discrimination en raison de son état de santé ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, eu égard à sa manière de servir ; elle produit de nombreuses attestations qui démontrent son professionnalisme.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 janvier 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête d'appel de Mme A....

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif a considéré qu'en l'absence de titularisation expresse en fin de stage, Mme A... avait conservé la qualité de stagiaire, de sorte que le licenciement intervenu à compter du 9 mars 2020 était un licenciement en fin de stage ;

- l'arrêté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation : contrairement à ce que soutient la requérante, le motif tiré de l'absentéisme dont elle a fait preuve durant son stage n'est pas de nature à faire regarder l'arrêté du 3 mars 2020 comme étant de nature disciplinaire ;

- dans le cadre de l'effet dévolutif, il s'en réfère à ses écritures de première instance.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991

- le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;

- le décret n°2006-441 du 14 avril 2006 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été nommée en janvier 2018 en qualité d'élève dans le corps des personnels d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire. Son stage, d'une durée d'un an, a débuté le 15 septembre 2018 à la maison d'arrêt de Mulhouse et a été prolongé, par un arrêté du 29 juillet 2019, à compter du 15 septembre 2019 pour une durée de trois mois. Après avis de la commission administrative paritaire émis le 27 février 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice a, par un arrêté du 3 mars 2020, prononcé son licenciement en fin de stage pour insuffisance professionnelle, à compter du 9 mars 2020. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler cet arrêté du 3 mars 2020. Elle relève appel du jugement du 2 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 5 du décret du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'Etat et de ses établissements publics : " La durée normale du stage et les conditions dans lesquelles elle peut éventuellement être prorogée sont fixées par le statut particulier du corps dans lequel le fonctionnaire stagiaire a vocation à être titularisé. / Sauf dispositions contraires du statut particulier, le stage ne peut être prolongé d'une durée excédant celle du stage normal (...) ". Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Le fonctionnaire stagiaire peut être licencié pour insuffisance professionnelle lorsqu'il est en stage depuis un temps au moins égal à la moitié de la durée normale du stage. / La décision de licenciement est prise après avis de la commission administrative paritaire prévue à l'article 29 du présent décret, sauf dans le cas où l'aptitude professionnelle doit être appréciée par un jury. / Lorsque le fonctionnaire stagiaire a la qualité de fonctionnaire titulaire dans un autre corps, cadre d'emplois ou emploi, il est mis fin à son détachement et l'intéressé est réintégré dans son administration d'origine dans les conditions prévues par le statut dont il relève. / Il n'est pas versé d'indemnité de licenciement ". L'article 3 du décret du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, alors en vigueur, dispose que : " Les membres du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire participent à l'exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. / Ils maintiennent l'ordre et la discipline, assurent la garde et la surveillance de la population pénale et participent aux modalités d'exécution de la peine et aux actions préparant la réinsertion des personnes placées sous main de justice (...). / Les premiers surveillants et les majors pénitentiaires assurent l'encadrement des surveillants, surveillants principaux et surveillants brigadiers (...) ". L'article 7 de ce décret ajoute que : " Les élèves dont la scolarité a donné satisfaction sont nommés surveillants stagiaires et affectés selon leur rang de classement dans un établissement pénitentiaire ou tout autre service relevant de l'administration pénitentiaire. Ils sont classés à l'échelon de stagiaire du grade de surveillant. / Les élèves dont la scolarité n'a pas donné satisfaction sont, après avis de la commission administrative paritaire, soit autorisés à prolonger leur scolarité, soit licenciés, soit, s'ils avaient déjà la qualité de fonctionnaire, réintégrés dans leur corps ou cadre d'emplois d'origine selon les dispositions qui leur sont applicables. L'autorisation de prolongation de la scolarité ne peut être accordée qu'une fois ". L'article 9 de ce décret précise en outre que : " Le stage dure un an. / Les stagiaires dont le stage a été jugé satisfaisant sont, après avis de la commission administrative paritaire compétente, titularisés et classés selon les modalités prévues par le chapitre IV du présent titre. Ceux qui ne sont pas titularisés à l'issue du stage peuvent être autorisés à accomplir un stage complémentaire d'une durée maximale d'un an. /Les stagiaires qui n'ont pas été autorisés à effectuer un stage complémentaire ou dont le stage complémentaire n'a pas donné satisfaction sont, après avis de la commission administrative paritaire, soit licenciés s'ils n'avaient pas la qualité de fonctionnaire, soit réintégrés dans leur corps ou cadre d'emplois d'origine selon les dispositions qui leur sont applicables ".

3. D'une part, en l'absence de décision expresse de titularisation en fin de stage, l'agent conserve après cette date la qualité de stagiaire, à laquelle l'administration peut mettre fin à tout moment pour des motifs tirés de l'inaptitude de l'intéressé à son emploi.

4. D'autre part, un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire, la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne. L'autorité compétente ne peut donc prendre légalement une décision de refus de titularisation, qui n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et règlements, que si les faits qu'elle retient caractérisent des insuffisances dans l'exercice des fonctions et la manière de servir de l'intéressé. Cependant, la circonstance que tout ou partie de tels faits seraient également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation, pourvu que l'intéressé ait été alors mis à même de faire valoir ses observations. Pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.

5. En premier lieu, il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de décision expresse de titularisation en fin de stage, la requérante a conservé la qualité de stagiaire et qu'elle avait donc toujours cette qualité le 3 mars 2020 lorsque le ministre de la justice l'a licenciée pour insuffisance professionnelle. Par suite, sa situation relevait des dispositions du décret du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'Etat et de ses établissements publics. Le moyen tiré de ce que les dispositions applicables aux fonctionnaires titulaires licenciés devaient lui être appliquées doit être écarté comme étant inopérant.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que pour licencier Mme A... pour insuffisance professionnelle, l'administration a considéré qu'à l'issue de la période de stage initiale d'une année sa pratique professionnelle a été jugée moyenne, médiocre, voire mauvaise, raison pour laquelle elle a bénéficié d'une prolongation de stage. A cette occasion, elle a multiplié les absences non justifiées qui ont révélé un manque de disponibilité, d'implication et d'intérêt professionnel entraînant une qualité de travail insuffisante de nature à mettre en péril la sécurité des agents et de l'établissement. Alors que ces reproches ont été reconnus par la requérante lors d'un entretien qu'elle a eu le 27 juin 2019 avec le directeur interrégional, par les pièces qu'elle produit dont des attestations de collègues, un témoignage postérieur à la décision contestée et son évaluation au stage découverte réalisé lorsqu'elle était à l'école nationale d'administration pénitentiaire, la requérante ne conteste pas sérieusement les reproches de l'administration quant à son insuffisance professionnelle. C'est par suite sans erreur manifeste d'appréciation que le ministre de la justice a pu, par l'arrêté contesté du 3 mars 2020, prononcer son licenciement en fin de stage pour insuffisance professionnelle

7. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que l'administration n'a pas fondé sa décision sur des motifs disciplinaires. Par suite, le moyen tiré de ce que Mme A... aurait été privée des garanties attachées à la procédure disciplinaire, doit être écarté comme inopérant.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. / Toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions (...) ".

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt que la décision de licenciement est motivée par les insuffisances professionnelles de Mme A... et non en raison de son état de santé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 3 mars 2020.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis , présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. B...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. B...

2

N° 22NC02840


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02840
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SGRO

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;22nc02840 ?
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