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12/03/2024 | FRANCE | N°21NC03027

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 12 mars 2024, 21NC03027


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'Etat à lui verser une somme de 19 600 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices causés par son licenciement irrégulier et l'absence de réintégration.





Par un jugement n° 2000346 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.





Procédur

e devant la cour :



Par une requête enregistrée le 23 novembre 2021, Mme C..., représentée par Me Woldanski, demande à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner l'Etat à lui verser une somme de 19 600 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices causés par son licenciement irrégulier et l'absence de réintégration.

Par un jugement n° 2000346 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 novembre 2021, Mme C..., représentée par Me Woldanski, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 septembre 2021 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire née du silence gardé par le ministre de l'intérieur ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 19 600 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 octobre 2019 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices causés par son licenciement irrégulier et l'absence de réintégration ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a commis des erreurs de faits et d'appréciation de son dossier :

. l'avis de sa hiérarchie était favorable à sa titularisation en décembre 2016 et non pas défavorable contrairement à ce qui est mentionné au point 5 du jugement litigieux ;

. si le tribunal administratif évoque un comportement inapproprié vis à vis d'un usager, il s'inscrit dans un contexte particulier d'insulte ;

- c'est à tort que le jugement litigieux considère dans son point 5 que l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation alors que ce point a été tranché par le jugement du 15 novembre 2018, devenu définitif, qui a annulé l'arrêté du 27 octobre 2017 prononçant son licenciement ;

- l'administration a commis deux fautes une première en prononçant à son encontre un licenciement irrégulier et un refus de titularisation comme l'a jugé le tribunal administratif de Besançon dans son jugement du 15 novembre 2018, non frappé d'appel ; une seconde, en s'abstenant d'exécuter le jugement du 15 novembre 2018 et en ne lui répondant pas alors qu'elle sollicitait la reprise du travail ;

- elle a subi un préjudice financier de 400 euros par mois, soit une somme totale de 9 600 euros au titre de son préjudice financier ;

- elle a subi un préjudice moral d'un montant de 10 000 euros dès lors qu'elle s'est retrouvée sans emploi à 57 ans alors qu'elle avait eu des assurances qu'elle serait titularisée et a été victime de mépris et d'indifférence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requérante ne peut utilement se prévaloir des erreurs de droit, de fait ou d'appréciation qui auraient été commises par les premiers juges pour contester la régularité du jugement litigieux ;

- si un avis favorable à sa titularisation a été émis, un autre défavorable a également été émis à mi-parcours en raison de ses difficultés d'assimilation et de son manque de rigueur dans l'exécution de ses tâches ;

- la requérante ne conteste pas avoir eu un comportement inapproprié envers un usager ;

- les préjudices allégués ne résultent pas directement du vice de procédure ayant entraîné l'annulation de l'arrêté du 27 octobre 2017 prononçant son licenciement : les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat, tenant au caractère direct et certain du lien de causalité entre le préjudice et la faute, cumulativement exigées, ne sont pas réunies ;

- si la requérante semble se prévaloir d'une nouvelle faute de l'Etat résultant de sa carence dans l'exécution du jugement du 15 novembre 2018, le préfet du Doubs lui a proposé de la réintégrer sur un poste à la sous-préfecture de Pontarlier, qu'elle a refusé ; aussi, aucune faute ne pourra être reconnue sur ce fondement ;

- s'agissant des préjudices indemnisables, il s'en remet à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 95-979 du 25 août 1995 modifié relatif au recrutement des travailleurs handicapés dans la fonction publique pris pour l'application de l'article 27 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été recrutée le 24 juin 2015 en qualité d'agent contractuel sur un emploi réservé et affectée à la sous-préfecture de Montbéliard sur un emploi de secrétaire administratif de classe normale à compter du 1er juillet 2015. Elle a exercé les fonctions de chargée des procédures d'immatriculation puis d'accueil et du standard. D'une durée initiale d'un an, son stage a été prolongé pour une durée de six mois à trois reprises. Par un arrêté du 27 octobre 2017, le ministre de l'intérieur a mis fin à son stage et l'a radiée du corps des secrétaires administratifs à compter du 4 novembre 2017. Par un jugement n° 1702270 du 15 novembre 2018, devenu définitif, le tribunal administratif de Besançon a annulé cet arrêté. Le 22 octobre 2019, Mme C... a demandé au ministre de l'intérieur de lui verser une indemnité en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis en raison des fautes relatives à son licenciement irrégulier et à l'absence de réintégration. Le ministre a implicitement rejeté cette demande. Mme C... a demandé au tribunal administratif de Besançon la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 19 600 euros en réparation de ses préjudices. Elle relève appel du jugement du 23 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur le bien-fondé de la demande indemnitaire dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

3. Mme C... ne peut donc utilement se prévaloir d'une erreur de fait ou d'une erreur d'appréciation qu'auraient commis les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En présentant devant la cour tant des conclusions à fin d'annulation du rejet implicite de sa demande indemnitaire préalable que des conclusions indemnitaires, la requérante doit être regardée comme ayant donné à sa requête un caractère de plein contentieux tendant exclusivement à la condamnation de l'Etat à l'indemniser de ses préjudices.

5. Aux termes de l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors en vigueur, les travailleurs reconnus handicapés : " (...) peuvent être recruté[e]s en qualité d'agent contractuel dans les emplois de catégories A, B et C pendant une période correspondant à la durée de stage prévue par le statut particulier du corps dans lequel elles ont vocation à être titularisées. Le contrat est renouvelable, pour une durée qui ne peut excéder la durée initiale du contrat. A l'issue de cette période, les intéressés sont titularisés sous réserve qu'ils remplissent les conditions d'aptitude pour l'exercice de la fonction (...) ". Aux termes de l'article 8 du décret du 25 août 1995 visé, dans sa version en vigueur : " A l'issue du contrat, l'appréciation de l'aptitude professionnelle de l'agent par l'autorité disposant du pouvoir de nomination est effectuée au vu du dossier de l'intéressé et après un entretien de celui-ci avec un jury organisé par l'administration chargée du recrutement. / I. Si l'agent est déclaré apte à exercer les fonctions, l'autorité administrative ayant pouvoir de nomination procède à sa titularisation (...). II. - Si l'agent, sans s'être révélé inapte à exercer ses fonctions, n'a pas fait la preuve de capacités professionnelles suffisantes, l'autorité administrative ayant pouvoir de nomination prononce le renouvellement du contrat pour la période prévue à l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, après avis de la commission administrative paritaire du corps au sein duquel l'agent a vocation à être titularisé. Une évaluation des compétences de l'intéressé est effectuée de façon à favoriser son intégration professionnelle (...) ". L'article 9 de ce décret dispose que : " La situation de l'agent dont le contrat a fait l'objet d'un renouvellement dans les conditions posées soit par l'article 7 soit par le II ou par le IV de l'article 8 du présent décret est examinée à l'issue de cette période : / (...) - si l'agent n'est pas déclaré apte à exercer les fonctions, le contrat ne pouvant être renouvelé, l'intéressé peut bénéficier des allocations d'assurance chômage mentionnées au III de l'article 8 du présent décret ".

6. En premier lieu, l'illégalité d'une décision administrative constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration, pour autant qu'il en soit résulté pour celui qui demande réparation un préjudice direct et certain. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative, il appartient au juge de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties et, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel le juge administratif a annulé cette décision, si la même décision aurait pu légalement être prise.

7. En l'espèce, la décision du 27 octobre 2017 refusant la titularisation de la requérante dans le corps des secrétaires administratifs a été annulée par un jugement devenu définitif, n° 1702270, du 15 novembre 2018 du tribunal administratif de Besançon, au motif que l'administration n'avait pas, préalablement à cet arrêté, évalué les compétences de l'intéressée de nature à favoriser son intégration professionnelle au cours de la prolongation de son contrat initial. La requérante est dès lors fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute à ce titre.

8. Il résulte cependant de l'instruction et notamment des différentes pièces produites par le ministre que la requérante, affectée sur un poste de chargée des procédures d'immatriculation ainsi que sur un poste d'accueil (standard et courrier) à la préfecture de Montbéliard, a bénéficié d'une formation dédiée aux secrétaires administratifs nouvellement recrutés, deux autres relatives à l'accueil des usagers et à la réglementation, d'une aide de sa hiérarchie et d'un tuteur, destinés à faciliter son intégration dans le service au sein duquel elle a toujours été épaulée par un autre agent tout au long de son contrat. Or, malgré les formations et l'accompagnement dont elle a pu bénéficier ainsi que sa volonté de bien faire, il résulte de la notice de fin de stage du 13 juin 2017 que la requérante, après deux ans d'exercice, n'a pas réussi suffisamment à assimiler la réglementation et a commis de nombreuses erreurs mettant en difficulté le fonctionnement du service. Elle a par ailleurs eu un comportement inadapté avec certains usagers. Cette notice, très précise et circonstanciée, révèle les insuffisances très importantes de Mme C... et l'absence d'amélioration malgré le suivi mis en place : un premier entretien le 27 octobre 2015, plusieurs prolongations de stage à l'occasion desquels ses carences ont été soulignées et un entretien le 7 mars 2017. Dans ces circonstances particulières et au regard des trop nombreuses difficultés de Mme C... dans la réalisation des tâches qui lui ont été confiées et des conséquences qu'elles ont occasionnées sur le fonctionnement du service, le refus de la titulariser pour insuffisance professionnelle n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que si l'administration avait effectué une évaluation des compétences de l'intéressée de nature à favoriser son intégration professionnelle, motif qui a justifié l'annulation de l'arrêté prononçant sa radiation, la requérante aurait pu obtenir sa titularisation.

9. Par conséquent, les préjudices financier et moral qu'auraient subis Mme C... du fait de l'illégalité de l'arrêté la radiant ne peuvent être regardés comme la conséquence du vice dont cette décision est entachée.

10. En second lieu, il résulte des termes du jugement du 15 novembre 2018 que le tribunal administratif de Besançon a rejeté les conclusions de Mme C... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de la réintégrer. Elle n'est par suite pas fondée à soutenir que l'Etat, en refusant de la réintégrer, aurait commis une faute en s'abstenant d'exécuter le jugement.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 21NC03027


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC03027
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : WOLDANSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;21nc03027 ?
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