Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la commune d'Eurville-Bienville à procéder à l'enlèvement du ralentisseur irrégulièrement implanté situé sur la RD335 au niveau de la place Notre-Dame dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Par un jugement n° 2000442 du 23 mars 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de M. A... et le surplus des conclusions de la commune d'Eurville-Bienville.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 mai 2021 et 22 avril 2022, M. A..., représenté par Me Gaulmin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune d'Eurville-Bienville a rejeté sa réclamation tendant à la démolition de l'ouvrage ;
3°) d'enjoindre à la commune d'Eurville-Bienville de retirer le ralentisseur dans un délai de trois mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de la commune d'Eurville-Bienville une somme de 3 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le dispositif n'est pas conforme aux dispositions du décret n° 94-447 du 27 mai 1994, lesquelles s'appliquent à tous les ralentisseurs présentant une forme géométrique trapézoïdale ;
- le dispositif n'est pas normalement entretenu et cause de nombreuses nuisances de sorte que sa démolition est nécessaire.
Par un mémoire enregistré le 10 août 2021, la commune d'Eurville-Bienville, représentée par Me Le Bigot, conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce que soit mis à la charge de M. A... le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ouvrage litigieux n'est pas soumis aux dispositions du décret n° 94-447 du 27 mai 1994 ;
- le requérant invoque un moyen qu'il n'avait pas soulevé devant le tribunal, en se prévalant devant la cour d'un défaut d'entretien normal ;
- la responsabilité de la commune ne saurait être engagée sur le fondement du défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, en l'absence de préjudice et d'inertie du maître de l'ouvrage.
Par un courrier du 1er février 2024, les parties ont été avisées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office l'irrégularité du jugement attaqué, dès lors que les premiers juges ont méconnu leur office en se prononçant dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, alors que les demandes tendant à la démolition d'un ouvrage public irrégulièrement implanté relèvent du plein contentieux (CE, 29 novembre 2019, n° 410689).
Par un courrier enregistré le 6 février 2024, qui a été communiqué, la commune d'Eurville-Bienville a présenté ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 94-447 du 27 mai 1994 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Samson-Dye, rapporteure,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a demandé au maire de la commune d'Eurville-Bienville, par un courrier du 10 novembre 2019, reçu le 16 novembre 2019, la suppression du ralentisseur situé place Notre-Dame au motif qu'il n'était pas conforme à la réglementation. M. A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande qu'il avait introduite devant cette juridiction en vue d'obtenir la démolition de cet ouvrage.
Sur la régularité du jugement :
2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, le juge administratif statue comme juge de plein contentieux.
3. Il ressort des mentions du jugement attaqué que les premiers juges ont regardé la demande de M. A... comme concluant à l'annulation de la décision de rejet née du silence gardé sur sa demande et à ce qu'il soit enjoint à la commune de procéder à l'enlèvement du dispositif, et qu'ils se sont prononcés comme juge de l'excès de pouvoir. Ils ont, en raison de cette erreur sur la nature du recours introduit, méconnu leur office. Leur jugement est donc entaché d'irrégularité et doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Sur les conclusions tendant à la démolition de l'ouvrage :
4. En premier lieu, lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
5. D'une part, aux termes de l'article 1er du décret du 27 mai 1994 relatif aux caractéristiques et aux conditions de réalisation des ralentisseurs de type dos d'âne ou de type trapézoïdal : " Les ralentisseurs de type dos d'âne ou de type trapézoïdal sont conformes aux normes en vigueur. /Les modalités techniques d'implantation et de signalisation des ralentisseurs de type dos d'âne ou de type trapézoïdal doivent être conformes aux règles édictées en annexe du présent décret ". Il découle de ces dispositions que ce décret réglemente uniquement les ralentisseurs de type dos d'âne ou de type trapézoïdal, mais non les autres catégories de ralentisseurs. En l'absence de définition figurant dans un acte législatif ou réglementaire, la notion de ralentisseur de type dos d'âne ou de type trapézoïdal peut être appréciée en prenant en compte, notamment, la configuration générale de ces dispositifs telle qu'elle ressort des normes auxquelles se réfère le décret.
6. La norme AFNOR NF P 98-300 du 16 mai 1994, applicable à ces deux types de ralentisseurs routiers, permet d'identifier quel type de ralentisseurs est susceptible d'être regardé comme un dos d'âne ou un ralentisseur de type trapézoïdal. Elle présente le ralentisseur de type dos d'âne comme un ouvrage dont le profil en long est de forme circulaire convexe, aménagé sur la chaussée, d'une hauteur de 10 centimètres, d'une longueur d'au plus 4 mètres et d'une saillie d'attaque de 5 millimètres. Le ralentisseur de type trapézoïdal est, quant à lui, décrit comme un ouvrage de forme trapézoïdale convexe aménagé sur la chaussée, dont le profil en long comporte un plateau surélevé et deux parties en pente (rampants), d'une hauteur de 10 centimètres, d'une longueur du plateau comprise entre 2,50 et 4 mètres, d'une saillie d'attaque de 5 millimètres et d'une pente des rampants de 7 % à 10 %. Ces deux types de ralentisseurs se distinguent d'autres, non réglementés par le décret du 27 mai 1994, qui sont les plateaux et les coussins, pour l'implantation desquels seules des recommandations ont été édictées par le centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU).
7. Il ressort du procès-verbal de constat du 13 novembre 2019 produit par le requérant que l'ouvrage litigieux est constitué par un plateau s'étendant sur environ 50 mètres, surélevant la voie de circulation d'environ 10 centimètres, et pourvu à chaque extrémité d'une rampe d'accès bétonnée d'une longueur de 2 mètres. Compte tenu de sa configuration et en particulier de sa longueur de plusieurs dizaines de mètres, ce dispositif ne peut être regardé comme un ralentisseur de type trapézoïdal au sens du décret du 27 mai 1994, éclairé par les normes auxquelles il renvoie, dès lors que sa conformation s'écarte très significativement de celle des ouvrages identifiés comme tels selon la norme précédemment mentionnée. Il correspond à un ralentisseur de type " plateau ".
8. Dès lors, cet ouvrage ne saurait être regardé comme irrégulier au motif qu'il n'est pas conforme au décret du 27 mai 1994, puisque ce plateau ne relève pas des ralentisseurs soumis à ces dispositions réglementaires.
9. D'autre part, M. A... évoque également un défaut d'entretien normal de l'ouvrage. Il n'est pas démontré que le défaut d'entretien aboutirait à rendre l'ouvrage irrégulier notamment par la méconnaissance de règles qui lui seraient applicables. Au surplus, il résulte de l'instruction que des réparations seraient possibles, de sorte que la démolition ne pourrait, en tout état de cause, être ordonnée.
10. En second lieu, à supposer que M. A... ait entendu demander la destruction de l'ouvrage en réparation des préjudices que ce dernier lui cause, le juge administratif ne peut être saisi, dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics, de conclusions tendant à ce qu'il enjoigne à la personne publique de prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage ou à en pallier les effets, qu'en complément de conclusions indemnitaires.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif doit être rejetée.
Sur les frais de l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune d'Eurville-Bienville, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A... la somme que demande la commune sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2000442 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 mars 2021 est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de M. A... et de la commune d'Eurville-Bienville au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la commune d'Eurville-Bienville.
Délibéré après l'audience du 13 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Samson-Dye, présidente-assesseure,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.
La rapporteure,
Signé : A. Samson-DyeLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : M. B...
La République mande et ordonne à la préfète de la Haute-Marne en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. B...
2
N° 21NC01477