Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département des Ardennes a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'enjoindre à M. et Mme C... de libérer les lieux qu'ils occupent au sein des haras de Signy-l'Abbaye dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, d'enjoindre à M. et Mme C... d'évacuer le matériel qui s'y trouve et de remettre les lieux en état, dans le même délai et sous la même astreinte, de les condamner à lui verser la somme de 19 287,73 euros correspondant au loyer impayé et à l'indemnité d'occupation des biens en cause et de mettre à leur charge une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1901411 du 6 octobre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a enjoint à M. et Mme C..., après avoir, au besoin, remis les biens en l'état, de quitter les locaux et terres qu'ils occupent aux haras de Signy-l'Abbaye, d'emporter les biens leur appartenant qui y seraient entreposés, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, condamné M. et Mme C... à verser au département des Ardennes la somme de 8 252,76 euros et mis à leur charge une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2020, et des mémoires enregistrés les 18 mars, et 29 juin 2022, M. et Mme C..., représentés par Me Richard, demandent à la cour dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 octobre 2020 ;
2°) de mettre à la charge du département des Ardennes une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- le bien occupé ne fait pas partie du domaine public et relève du statut des baux ruraux dès lors qu'ils exercent une activité agricole et que la double condition de la domanialité publique n'est pas remplie ;
- le tribunal administratif n'était dès lors pas compétent pour prononcer l'expulsion ni prononcer une indemnisation.
Par des mémoires enregistrés le 26 janvier 2021, le 31 mai 2022 et le 15 novembre 2022, le département des Ardennes, représenté par Me Dreyfus, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour :
1°) de condamner M. et Mme C... à lui verser la somme de 122 724,39 euros, ou a minima de 28 196,93 euros ;
2) de mettre à la charge de M. et Mme C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requête de M. et Mme C... n'est pas recevable, que les moyens de la requête ne sont pas fondés et que son préjudice s'est poursuivi jusqu'à ce que M. et Mme C... quittent les lieux en avril 2022.
Par une ordonnance du 8 novembre 2022 la clôture de l'instruction a été fixée au 9 décembre 2022.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mars 2022.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Richard, pour M. et Mme C... ainsi que celles de Me Michel, pour le département des Ardennes.
Une note en délibéré, enregistrée le 1er février 2024 a été présentée par M. et Mme C....
Une note en délibéré, enregistrée le 6 février 2024, a été présentée par le département des Ardennes.
Considérant ce qui suit :
1. Le département des Ardennes et M. et Mme C... ont signé, le 5 avril 2016, une convention d'occupation précaire portant sur l'occupation des locaux du site des haras de la commune de Signy-l'Abbaye. Cette convention a été signée pour une durée de dix mois jusqu'au 31 décembre 2016, puis a été reconduite à deux reprises avant que le conseil départemental n'informe M. et Mme C... que le contrat ne serait pas prorogé au-delà du 31 décembre 2018 par courrier du 10 septembre 2018. A l'issue de ce délai, les intéressés ont refusé de libérer les locaux. Le département des Ardennes a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à M. et Mme C... de libérer les lieux dans un délai de quinze jours et de les condamner à lui verser une somme de 28 587 euros. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 6 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif leur a enjoint de quitter les locaux et terres qu'ils occupent aux haras dans un délai d'un mois sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de verser au département une somme de 8 252,76 euros.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le département des Ardennes :
2. Aux termes des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicables à l'introduction de l'instance d'appel en vertu des dispositions de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête (...). Elle contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. Contrairement à ce que soutient le département des Ardennes, M. et Mme C..., au demeurant défendeurs en première instance, ne se bornent pas à reproduire dans leur requête d'appel intégralement et exclusivement leurs écritures de première instance, mais présentent une critique du jugement attaqué et soulèvent des moyens au soutien de conclusions tendant à l'annulation de ce jugement. Par suite, la requête d'appel est motivée et est ainsi recevable. La fin de non-recevoir doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Selon les dispositions de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, sont portées devant la juridiction administrative les litiges relatifs aux autorisation ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires. Par ailleurs aux termes de l'article L. 2111-1 du même code : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ".
5. Avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance d'un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée, indépendamment de la qualification donnée par les parties à une convention par laquelle une personne publique confère à une personne privée le droit d'occuper un bien dont elle est propriétaire, à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, avoir pour effet d'entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1.
6. Lorsque le juge administratif est saisi d'une demande tendant à l'expulsion d'un occupant d'une dépendance appartenant à une personne publique, il lui incombe, pour déterminer si la juridiction administrative est compétente pour se prononcer sur ces conclusions, de vérifier que cette dépendance relève toujours du domaine public à la date à laquelle il statue. Il lui appartient de rechercher si cette dépendance a été incorporée au domaine public, en vertu des règles applicables à la date de cette incorporation, et, si tel est le cas, de vérifier en outre qu'à la date à laquelle il se prononce, aucune disposition législative ou, au vu des éléments qui lui sont soumis, aucune décision prise par l'autorité compétente n'a procédé à son déclassement.
7. Il résulte de l'instruction que par un bail emphytéotique signé le 27 septembre 1991, la commune de Signy-l'Abbaye a mis à disposition du département des Ardennes des parcelles communales pour y réaliser des ouvrages à destination des Haras Nationaux, dans le but de sauvegarder la race équine du cheval ardennais. Les locaux ont été mis à disposition du service des Haras, courses et de l'équitation du ministère de l'agriculture par une convention signée entre le département et l'Etat le 14 septembre 1993. Ce contrat a été renouvelé jusqu'à la fermeture du centre technique à la fin de l'année 2011. Les installations ont ensuite fait l'objet d'un bail rural conclu entre le département des Ardennes et l'association des Haras Buzancy Signy-l'Abbaye de 2013 à 2016. Puis le département a conclu une convention précaire avec M. et Mme C... qui occupaient le site. Cette convention signée le 15 avril 2016 a été renouvelée deux fois jusqu'au 31 décembre 2018.
8. En l'espèce, les locaux appartenant à la commune de Signy-l'Abbaye ont été mis à disposition du département des Ardennes par le bail emphytéotique dans lequel les parties ont précisé avoir l'intention d'y installer une station des Haras nationaux. Cette intention est ensuite confirmée par la convention conclue le 14 septembre 1993, avec l'Etat, représenté par le ministère de l'agriculture, service des haras, des courses et de l'équitation par laquelle les locaux en cause et les terres attenantes, ont été mis à disposition des Haras nationaux. Ce contrat a été renouvelé avec l'établissement public des haras nationaux, lors de sa création, jusqu'à la fermeture du centre de Signy-l'Abbaye à la fin de l'année 2011. S'il est constant que ces locaux n'étaient pas directement affectés à l'usage du public, ils ont été utilisés par les Haras nationaux afin d'exécuter l'une des missions de service public dont ils ont la charge, tenant à la préservation des races équines. A cette fin, le haras était spécialement aménagé pour permettre la reproduction des équidés. En conséquence, les locaux en cause doivent être regardés comme ayant été incorporés au domaine public. Contrairement à ce qui est soutenu, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces locaux auraient fait l'objet d'une décision de déclassement et ils relevaient dès lors toujours du domaine public au jour de la signature de la convention d'occupation précaire de 2016 entre le département des Ardennes et M. et Mme C....
9. Enfin, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, un bail rural ne peut être conclu s'agissant d'un bien appartenant au domaine public d'une part, et la dénomination donnée au contrat demeure sans incidence sur la compétence du juge administratif dès lors que le bien appartient au domaine public d'autre part.
10. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal administratif était incompétent pour se prononcer sur la demande de première instance du département des Ardennes.
Sur les conclusions indemnitaires et l'appel incident formé par le département des Ardennes :
11. Le département des Ardennes demande dans le dernier état de ses écritures que lui soit versée une somme de 122 724,39 euros à raison d'une indemnité de 100 euros par jour pour l'ensemble de la période durant laquelle M. et Mme C... se sont maintenus sans titre dans les locaux. Toutefois, si les collectivités territoriales ont la possibilité de s'opposer à une occupation privative irrégulière de leur domaine public et de poursuivre, le cas échéant les contrevenants, elles ne peuvent, en revanche, assujettir les occupations irrégulières à un taux majoré présentant le caractère d'une pénalité qu'il ne leur appartient ni d'instituer ni de recouvrer.
12. En conséquence, il y a lieu de limiter l'indemnité due par les requérants au montant de la redevance d'occupation tel qu'il résulte de la convention, multiplié par le nombre de mois d'occupation irrégulière, dans la limite des conclusions du département. En l'espèce, il n'est pas contesté que M. et Mme C... se sont maintenus irrégulièrement dans les locaux du mois de janvier 2019 au mois d'avril 2022, soit 39 mois pleins. Il n'est pas non plus contesté que la redevance relative au mois de décembre 2018 n'a pas été versée par M. et Mme C.... Il résulte de l'instruction que l'article 6 de la convention d'occupation temporaire conclue entre le département et M. et Mme C... prévoyait le versement mensuel d'une redevance d'occupation d'un montant de 687,73 euros. En conséquence, il y a lieu de condamner M. et Mme C... à verser au département des Ardennes la somme de 27 509,20 euros.
13. Il résulte de ce qui précède que le département des Ardennes est seulement fondé à demander, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne sur ce point.
Sur les frais d'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des Ardennes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. et Mme C... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. et Mme C... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'indemnité que M. et Mme C... sont condamnés à verser au département des Ardennes est portée à 27 509,20 euros.
Article 2 : L'article 2 du jugement n°1901411 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : M. et Mme C... verseront au département des Ardennes une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département des Ardennes, à M. B... C... et à Mme A... C..., Me Richard et Me Dreyfus.
Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Sibileau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 février 2024.
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : L. GuidiLe président-rapporteur,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au préfet des Ardennes en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
N° 20NC03431 2