Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B..., gérant de l'EURL Hashmat Group a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les décisions du 17 juin 2019 par lesquelles le préfet de la Marne lui a interdit d'engager de nouveaux apprentis et a mis un terme aux contrats de quatre apprenties avec maintien de leur rémunération jusqu'au terme de leur période d'apprentissage et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros pour chacune des requêtes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1901536, 1901538, 1901540, 1901542 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er octobre 2020, l'EURL Hashmat Group, représentée par Me Thomas, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 17 juillet 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 17 juin 2019 par lesquelles le préfet de la Marne lui a interdit d'engager de nouveaux apprentis et a mis un terme aux contrats de quatre apprenties avec maintien de leur rémunération jusqu'au terme de leur période d'apprentissage ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le principe du contradictoire n'a pas été respecté dès lors que le gérant n'a jamais été informé du rapport établi le 19 avril 2019 à l'intention du préfet ce qui a pour effet que la proposition d'arrêté préfectoral de l'inspectrice du travail du 29 avril est incomplète ;
- M. B... a été informé par courrier du 29 avril du projet d'opposition à l'engagement d'apprentis mais pas de l'interruption des contrats d'apprentissage en cours ;
- la procédure préalable à l'édiction de l'arrêté est viciée dès lors que les mises en demeure ne l'ont pas informé des conséquences de l'absence de mise en conformité ;
- le délai de trois mois prévu par l'article R. 6225-4 du code du travail entre l'expiration de la mise en demeure et la décision d'opposition n'a pas été respecté ;
- des erreurs de faits ont influencé les décisions du préfet ;
- le préfet a entaché ses décisions d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le gérant a satisfait à la plupart de ses obligations et a justifié des mises en conformité.
Le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a été mise en demeure de produire ses observations dans un délai d'un mois par un courrier du 11 février 2021.
Par une ordonnance du 19 mars 2021 la clôture de l'instruction a été fixée au 23 avril 2021 à 12 h 00.
Un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2024 a été présenté par la ministre du travail, de la santé et des solidarités et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président,
- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. L'EURL Hashmat Group exploite une boulangerie. En novembre 2018, elle a fait l'objet d'un contrôle des conditions d'emploi et de travail des salariés par les services de l'inspection du travail. A la suite d'une procédure contradictoire et d'une contre-visite, la société a été mise en demeure de régulariser sa situation par courriers du 1er mars 2019. Lors d'un dernier contrôle en avril 2019, l'administration a constaté que plusieurs manquements de la société à la législation du travail persistaient. Par quatre décisions du 17 juin 2019, le préfet de la Marne a d'une part, interdit à M. B..., gérant de la boulangerie Hashmat Group d'engager de nouveaux apprentis et a d'autre part rompu les contrats d'apprentissage de quatre apprenties. L'EURL Hasmat Group relève appel du jugement du 17 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses requêtes tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la légalité des arrêtés du préfet de la Marne du 17 juin 2019 en tant qu'ils portent interdiction d'engager de nouveaux apprentis :
2. Aux termes de l'article L. 6223-1 du code du travail : " Toute entreprise peut engager un apprenti si l'employeur déclare à l'autorité administrative prendre les mesures nécessaires à l'organisation de l'apprentissage et s'il garantit que l'équipement de l'entreprise, les techniques utilisées, les conditions de travail, de santé et de sécurité, les compétences professionnelles et pédagogiques ainsi que la moralité des personnes qui sont responsables de la formation sont de nature à permettre une formation satisfaisante. (...) ". Aux termes de l'article L. 6223-3 du même code : " L'employeur assure dans l'entreprise la formation pratique de l'apprenti. / Il lui confie notamment des tâches ou des postes permettant d'exécuter des opérations ou travaux conformes à une progression annuelle définie par accord entre le centre de formation d'apprentis et les représentants des entreprises qui inscrivent des apprentis dans celui-ci ". Aux termes de l'article L. 6223-5 de ce code : " La personne directement responsable de la formation de l'apprenti et assumant la fonction de tuteur est dénommée maître d'apprentissage. / Le maître d'apprentissage a pour mission de contribuer à l'acquisition par l'apprenti dans l'entreprise des compétences correspondant à la qualification recherchée et au titre ou diplôme préparé, en liaison avec le centre de formation d'apprentis. (...) ". Aux termes de l'article L. 6225-1 du même code : " L'autorité administrative peut s'opposer à l'engagement d'apprentis par une entreprise lorsqu'il est établi par les autorités chargées du contrôle de l'exécution du contrat d'apprentissage que l'employeur méconnaît les obligations mises à sa charge, soit par le présent livre, soit par les autres dispositions du présent code applicables aux jeunes travailleurs ou aux apprentis, soit par le contrat d'apprentissage ". Aux termes de l'article L. 6225-2 du même code : " En cas d'opposition à l'engagement d'apprentis, l'autorité administrative décide si les contrats en cours peuvent continuer à être exécutés ". Aux termes de l'article L. 6225-3 du code du travail : " Lorsque l'autorité administrative décide que les contrats en cours ne peuvent continuer à être exécutés, la décision entraîne la rupture des contrats à la date de notification de ce refus aux parties en cause. / L'employeur verse aux apprentis les sommes dont il aurait été redevable si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme ou jusqu'au terme de la période d'apprentissage ". L'article R. 6225-1 du code du travail dispose : " Lorsqu'il est constaté, soit lors d'un contrôle de l'inspection de l'apprentissage ou de l'inspection du travail, soit lors de l'examen accompli par l'organisme chargé de l'enregistrement du contrat ou le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, que l'employeur méconnaît les obligations mentionnées à l'article L. 6225-1, l'inspecteur du travail ou l'inspecteur de l'apprentissage met l'employeur en demeure de régulariser la situation et de prendre les mesures ou d'assurer les garanties de nature à permettre une formation satisfaisante ".
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".
4. L'EURL Hashmat Group soutient que le principe du contradictoire a été méconnu dès lors que le gérant n'a jamais été informé du rapport établi le 19 avril 2019 adressé par les services de l'inspection du travail au préfet de la Marne. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la société a eu communication des rapports de visites et qu'à la suite des contrôles sur place l'administration lui a notifié une mise en demeure reprenant les griefs relevés à son encontre.
5. En deuxième lieu, la société Hashmat Group soutient que les mises en demeure qui lui ont été adressées le 1er mars 2019 ne comportaient aucune indication sur les conséquences d'une éventuelle absence de mise en conformité. Toutefois, cette mise en demeure est expressément fondée sur les articles L. 6225-1 relatif à l'opposition à l'engagement d'apprentis, R. 6225-1 et R. 6225-3 du code du travail relatifs à la mise en demeure préalable à l'opposition et la société ne pouvait donc ignorer qu'elle encourait une décision d'opposition à l'engagement d'apprentis. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'un échange contradictoire a eu lieu tout au long de la procédure entre l'administration et le gérant de la société préalablement aux arrêtés préfectoraux du 17 juin 2019. A cet égard, le courrier du 29 avril 2019 relatif à la contre-visite du 19 avril 2019 informait la société d'une éventuelle décision d'opposition à l'engagement de futurs apprentis et invitait la société à présenter ses observations, ce que cette dernière a fait par un courrier du 29 mai 2019.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 6225-4 du code du travail dans sa version applicable : " Dans les cas prévus à la section 1, la décision d'opposition du préfet à l'engagement d'apprenti intervient, s'il y a lieu, dans un délai de trois mois à compter de l'expiration du délai fixé par la mise en demeure de l'inspecteur du travail ou d'apprentissage ". En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la mise en demeure du 1er mars 2019 a été notifiée à l'EURL Hashmat Group le 7 mars suivant. Cette mise en demeure donnait à la société un délai de quinze jours pour, notamment, régulariser la situation, prendre toutes mesures et assurer les garanties de façon à permettre une formation satisfaisante et encore remédier aux différents manquements constatés lors des contrôles. Elle enjoignait à la société, sans délai, de mettre en place un décompte horaire réel de la durée de travail pour chaque apprentie. Dès lors, le délai le plus tardif ouvert par les dispositions de l'article L. 6225-4 précité courrait jusqu'au 22 juin suivant. La société Hasmat Group n'est dès lors pas fondée à soutenir que les arrêtés du 17 juin 2019 seraient intervenus au-delà du délai prévu par l'article L. 6225-4 du code du travail.
7. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 4121-3 du code du travail : " L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l'impact différencié de l'exposition au risque en fonction du sexe. / A la suite de cette évaluation, l'employeur met en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l'ensemble des activités de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement. / Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l'application du présent article doivent faire l'objet d'une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat après avis des organisations professionnelles concernées ". Aux termes de l'article R. 4121-1 du même code : " L'employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3. / Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques ".
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 3171-2 du code du travail : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ". Aux termes de l'article L. 3171-3 du même code : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ". L'article D. 3171-8 du même code dispose : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ".
9. La société soutient que les arrêtés sont entachés d'erreur de fait. Si les arrêtés mentionnent à tort que le boulanger, maître de stage de deux des apprenties n'était pas présent lors du contrôle de l'inspection du travail le 20 novembre 2018 cette erreur n'a exercé aucune influence sur la légalité des décisions contestées dans la mesure ou l'absence du maître de stages a été constatée lors d'autres visites sur place. Par ailleurs, si la non-conformité des installations sanitaires n'a pas été relevée à l'occasion du contrôle du 20 novembre 2018, ce manquement a toutefois été relevé le 22 février 2019. Ensuite, contrairement à ce que la société allègue les décisions n'ont pas retenu le grief tiré de l'absence du document d'évaluation des risques professionnels mais celui de l'absence de mise à jour de ce document et d'une réelle évaluation des risques. De même, la société ne peut utilement se prévaloir d'un procès-verbal de vérification des installations électriques qu'elle a fait réaliser le 16 mai 2019 postérieurement aux dates de contrôle sur place. S'agissant, enfin, du décompte réel de la durée de travail des salariés de la boulangerie et notamment des apprenties, l'erreur de fait alléguée ne saurait être accueillie faute pour la société requérante de justifier avoir effectivement mis en place un tel décompte, la seule production de plannings ne suffisant pas à justifier d'un décompte réel et effectif au sens des dispositions précitées. En conséquence, et alors même que les arrêtés du 17 juin 2019 comportent des inexactitudes matérielles, de telles erreurs ne sont pas de nature à vicier la légalité des décisions attaquées.
10. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des différents comptes-rendus des visites opérées par les services de l'inspection du travail, des termes des mises en demeure du 1er mars 2019 et des décisions attaquées que le gérant de la société Hashmat Group et l'employé de la boulangerie ne remplissent pas les obligations qui leur incombent en leur qualité de maître d'apprentissage, en raison de leurs nombreuses absences et de leur indisponibilité pour assurer la formation des apprenties, et pour le second, d'une activité professionnelle différente du champ du diplôme d'employé de vente préparé par les apprenties. En outre, il n'est pas justifié d'un décompte réel de la durée de travail des salariés et une absence de conformité des installations électriques ainsi qu'une absence d'évaluation des risques et de mise à jour du document unique ont été relevées. Dans ces conditions, l'EURL Hashmat Group n'est pas fondée à soutenir qu'en prononçant à son encontre une interdiction d'engager de nouveaux apprentis le préfet a entaché les arrêtés attaqués d'une erreur d'appréciation.
Sur la légalité des arrêtés du préfet de la Marne du 17 juin 2019 en tant qu'ils mettent fin aux contrats de quatre apprenties :
11. Si la société requérante a été avisée, au cours de la procédure, que l'autorité administrative compétente était susceptible de prendre à son encontre une mesure d'opposition à l'engagement de nouveaux apprentis, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les services ont informé la société que le préfet pouvait décider de mettre fin à l'exécution des contrats en cours. Le moyen tiré du défaut de procédure contradictoire sur ce point est de nature à entacher d'illégalité les arrêtés du préfet de la Marne en tant qu'ils mettent fin aux contrats de quatre apprenties.
12. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Hashmat Group est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de la Marne du 17 juin 2019 en tant qu'ils mettent fin aux contras de quatre apprenties.
Sur les frais d'instance :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, le versement de la somme demandée par l'EURL Hashmat Group au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1901536, 1901538, 1901540, 1901542 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé en tant qu'il rejette la demande de l'EURL Hashmat Group tendant à l'annulation des arrêtés du préfet de la Marne du 17 juin 2019 en tant qu'ils mettent fin aux contrats de quatre apprenties.
Article 2 : Les arrêtés du préfet de la Marne du 17 juin 2019 en tant qu'ils mettent fin aux contrats de quatre apprenties sont annulés.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'EURL Hashmat Group est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Hasmat Group, à Me Thomas, et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Sibileau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 février 2024.
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : L. GuidiLe président-rapporteur,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
N° 20NC02867 2