Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2203658 du 28 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 janvier et 22 juin 2023, M. C... A..., représenté par Me Lebon-Mamoudy, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2203658 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy du 28 décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 21 novembre 2022 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, sous astreinte de cent euros par jour de retard, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- l'arrêté du 21 novembre 2022 est entaché d'illégalité, dès lors que, en méconnaissance de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, on ne lui a pas notifié son droit d'avertir ou de faire avertir son consulat ;
- l'arrêté en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des articles 3, paragraphe 2, et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats Membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que la requête de M. A..., qui reprend la même motivation que sa demande de première instance, est irrecevable et que, subsidiairement, elle n'est pas fondée.
Par un courrier du 27 novembre 2023, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que, en raison de l'expiration du délai de six mois, prévu au deuxième paragraphe de l'article 29 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, la requête a perdu son objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.
Des observations en réponse au courrier du 27 novembre 2023, présentées par la préfète du Bas-Rhin, ont été enregistrées le 15 décembre 2023 et communiquées le 18 décembre suivant.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951, complétée par le protocole de New-York du 31 janvier 1967 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... est un ressortissant afghan, né le 6 octobre 2003. Il a déclaré être entré irrégulièrement en France, le 6 août 2022, en vue d'y solliciter l'asile. Une demande en ce sens ayant été présentée, le 19 août suivant, au guichet unique de la préfecture de police de Paris, la consultation du fichier " Eurodac " a révélé qu'il avait été enregistré comme demandeur d'asile en Autriche le 19 juillet 2022. En application du b) du premier paragraphe de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, une demande de reprise en charge le concernant a été adressée aux autorités autrichiennes le 14 septembre 2022, qui a reçu une réponse favorable implicite le 29 septembre suivant. Par un arrêté du 21 novembre 2022, la préfète du Bas-Rhin a prononcé le transfert de M. A... à destination de l'Autriche, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. L'intéressé a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 novembre 2022. Il relève appel du jugement n° 2203658 du 28 décembre 2022 qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. ".
3. Les irrégularités entachant la notification d'un acte administratif sont sans incidence sur la légalité de cet acte. Dans ces conditions, M. A... ne saurait utilement invoquer, au soutien de ses conclusions contre l'arrêté en litige, que son droit d'avertir ou de faire avertir son consulat ne lui aurait pas été notifié. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.
4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du deuxième alinéa du deuxième paragraphe de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ". Aux termes de l'article L. 572-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 53-1 de la Constitution : " La République peut conclure avec les États européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. / Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. ". Aux termes du premier alinéa du premier paragraphe de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ". Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ".
6. La mise en œuvre par les autorités françaises de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution. Il en résulte que la faculté laissée à chaque Etat membre par cet article 17 de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
7. L'Autriche est partie, tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York du 31 janvier 1967, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Il en résulte que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre de l'Union européenne doit être présumé conforme aux exigences résultant des stipulations en cause. Toutefois, une telle présomption demeure réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre, dans ce même Etat, des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile, impliquant un traitement inhumain ou dégradant des personnes concernées. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités autrichiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
8. En se bornant à produire un article publié le 25 novembre 2022 et un rapport de visite du 12 mai 2022 du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe pointant certaines insuffisances en matière d'accueil des demandeurs d'asile en Autriche et à faire valoir, sans l'établir, que son intégrité physique et mentale peut être mise en danger s'il est transféré dans ce pays, M. A... ne renverse pas, par des éléments probants et circonstanciés concernant sa situation personnelle, la présomption de conformité énoncée au point précédent. Dans ces conditions, en ne faisant pas usage de la possibilité prévue au premier alinéa du premier paragraphe de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la préfète du Bas-Rhin n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions en cause, combinées avec celles du deuxième alinéa du deuxième paragraphe de l'article 3 du même règlement, ni méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Par suite, les moyens invoqués en ce sens doivent être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 21 novembre 2022, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie ne sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président de la chambre,
- Mme Bauer, présidente assesseure,
- M. Meisse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.
Le rapporteur,
Signé : E. MEISSE
Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N°23NC00270 2