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15/02/2024 | FRANCE | N°23NC01056

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 15 février 2024, 23NC01056


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a implicitement refusé de lui délivrer un titre de séjour.



Par un jugement n° 2100791 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 3 avril 2023, Mme A..., représentée par Me Cissé, demande à la cour

:



1°) d'annuler ce jugement du 2 juin 2022 ;



2°) d'annuler l'arrêté du 11 février 2021 refusant de l'adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a implicitement refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2100791 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 avril 2023, Mme A..., représentée par Me Cissé, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 juin 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 février 2021 refusant de l'admettre au séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et lui interdisant de revenir sur le territoire pendant un délai de deux ans ;

3°) d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut, de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de la mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisation à rester sur le territoire français dans les délais respectivement d'un mois et de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de séjour est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au vu de sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut de motivation au regard de l'atteinte qu'elle porte à sa vie de famille ;

- elle est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité de la décision refusant de l'admettre au séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au vu de sa situation personnelle ;

- la décision lui refusant de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité de la décision refusant de l'admettre au séjour ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au vu de sa situation personnelle.

Par un mémoire enregistré le 15 mai 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français sont irrecevables en ce qu'elles sont nouvelles en appel ;

- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante du Kosovo née le 6 novembre 1987, est entrée en France le 12 novembre 2012, selon ses déclarations, avec son époux et ses deux enfants mineurs. Sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 21 mai 2014. Par un arrêté du 26 juin 2014, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par un nouvel arrêté du 27 février 2015, le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté sa demande d'admission au séjour pour raison de santé et l'a obligée à quitter le territoire français. Par un courrier du 24 mars 2020, reçu le 26 mars 2020 par les services de la préfecture, Mme A... a sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du même code. Le 10 août 2020, Mme A... a adressé une demande tendant à ce que le préfet lui communique les motifs de la décision implicite de rejet née dans le silence de l'administration sur sa demande. Par un arrêté du 11 février 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle a explicitement refusé de l'admettre au séjour. Mme A... relève appel du jugement du 2 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et lui interdisant de revenir sur le territoire français :

2. Il ressort du jugement du 2 juin 2022 que Mme A... a demandé l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de l'admettre au séjour. Les premiers juges ont estimé à juste titre que sa demande devait être regardée comme tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 février par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a explicitement refusé de l'admettre au séjour. Toutefois, les premiers juges n'étaient saisis d'aucune conclusion contre les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et d'interdiction de retour. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par le préfet et tirée du caractère nouveau en appel de ces conclusions doit être accueillie.

Sur les conclusions dirigées contre la décision portant refus de séjour :

3. En premier lieu, l'arrêté du 11 février comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement en ce qu'il vise les articles L. 313-14 et 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fait des conditions et de la durée de son séjour en France ainsi que de la scolarisation de ses trois enfants. Ainsi, le préfet de Meurthe-et-Moselle qui n'avait pas à viser toutes les circonstances de fait de la situation de Mme A..., a cité les éléments pertinents dont il avait connaissance et qui fondent ses décisions. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ". Il appartient à l'autorité administrative, en application de ces dispositions, de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... résidait en France avec son époux, également en situation irrégulière, et leurs trois enfants depuis près de huit ans à la date de la décision en litige et qu'elle a travaillé à plusieurs reprises, à compter du mois d'août 2018, au sein d'un restaurant en qualité d'agent d'entretien où elle donne entière satisfaction et que son époux bénéficierait d'un contrat de travail. Toutefois, ces circonstances ne constituent, en l'espèce, ni un motif humanitaire ni un motif exceptionnel d'admission au séjour au sens des dispositions précitées. Par suite, le préfet de Meurthe-et Moselle n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France en novembre 2012 avec son époux et leurs deux enfants mineurs. Elle a donné naissance à un troisième enfant sur le territoire français en 2014. Toutefois, la durée de sa présence est due à l'examen de sa demande d'asile puis à son maintien sur le territoire français en méconnaissance des décisions d'éloignement dont elle a fait l'objet. Son conjoint est également en situation irrégulière. En invoquant son activité professionnelle qui est récente et la scolarisation de ses enfants, l'intéressée n'établit pas avoir fixé en France le centre de ses intérêts économiques, personnel et familiaux alors qu'elle ne démontre pas être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 25 ans. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant refus de séjour a porté à [0]son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées. Par suite, la décision en litige ne méconnaît ni les dispositions de l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

9. Si Mme A... fait valoir que ses trois enfants sont scolarisés, il n'est pas démontré qu'ils ne pourraient pas poursuivre leur scolarité au Kosovo. Par ailleurs, rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue au Kosovo, pays dont sont également ressortissant son époux, cette décision qui n'implique en elle-même aucune séparation des enfants d'avec leurs parents ne méconnaît pas l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

10. En cinquième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au points 5, 7 et 9, la décision en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Cissé.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, vice-président,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

La rapporteure,

Signé : C. MosserLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 23NC01056


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01056
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Cyrielle MOSSER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : CISSE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;23nc01056 ?
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